Sicario : La Guerre des cartels - critique coupée au sang

Simon Riaux | 26 juin 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 26 juin 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

En 2015, Sicario avec Emily BluntJosh Brolin et Benicio Del Toro devait durablement assoir l’éclatante réputation de Denis Villeneuve (PrisonersEnemyBlade Runner 2049). Si l’annonce d’une suite de ce thriller crépusculaire ne date pas d’hier, elle pouvait sembler un tantinet absurde, la tonalité du film laissant peu de place à l’installation d’une franchise, au sens où l’entend actuellement l’industrie hollywoodienne. Cette dernière est pourtant devenue réalité. Elle s'appelle Sicario : La Guerre des cartels, et c'est Stefano Sollima qui s'en est chargée.

 

ALL CARTELS ARE BASTARDS

Là où on pouvait redouter que ce Sicario : La Guerre des cartels échoue entre les mains d’un exécutant sans génie, tout en jouant très opportunément des relations plus que tendues entre les Etats-Unis de Donald Trump et les autorités mexicaines, c’est à une danse plus réjouissante et macabre que nous sommes conviés. Un écueil qu’aura justement évité l’embauche de Stefano Sollima, avec le retour de Taylor Sheridan au scénario.

 

Photo captureNe jamais énerver un automoboliste

 

Réalisateur des épisodes de Romanzo criminale, de Suburra et du trop méconnu A.C.A.B.le cinéaste est rompu à l’art de représenter les ravages de la violence, tout comme la cartographie d’une criminalité sous-terraine et toute-puissante. Quand Villeneuve faisait des cartels mexicain une pieuvre omniprésente, capable de surgir aussi bien dans un diner du Nouveau Mexique, au cœur d’une villa luxueuse, dans les fondations d’un bâtiment anonyme ou en plein embouteillage, Sollima prend l’exact contrepied de son prédécesseur.

Le Cartel est partout, et par conséquent nulle part. Sitôt nos soldats de fortune à ses trousses, c’est un nouveau chausse-trappe qui se referme sur eux pour les transformer en hachis parmentier. Alors que l’ultra-violence sature l’écran, souvent maculé de viscères et matière cérébrale, que des passeurs fous de la gâchette s’énervent ou que paniquent des flics corrompus, on découvre progressivement combien l’adversaire est puissant, insatiable, mais surtout insaisissable.

 

Photo Benicio Del ToroBenicio Del Toro passe une très, très longue journée

 

FRONT TIERS

Ce principe permet au metteur en scène de dérouler un discours politique limpide mais terrible, en forme de réquisitoire contre les politiques occidentales de lutte contre le terrorisme. Car dans Sicario : La Guerre des cartels, une série d’attentats imputés rapidement aux passeurs dépendant des Cartels mexicain pousse les autorités américaines à les assimiler aux organisations terroristes « classiques », afin de leur déclarer la guerre.

Dès lors, le métrage peut interroger la propension des Etats-Unis (mais pas seulement) à exploiter ses propres tragédies pour s'en prendre à l’ennemi du moment, répandant un chaos qui ne pourra être endigué que par un surplus de brutalité extrême. Le monde que décrit Sollima (le nôtre) est celui du flou permanent, de l’affaiblissement des frontières, de la balkanisation totale et irrémédiable de tous les combats, de toutes les valeurs, par ceux-là mêmes qui prétendent les sacraliser.

 

Photo Josh BrolinCroyez-le ou non, mais Thanos à côté, c'est de la petite bière

 

Pour ce faire, le réalisateur use de toute son expérience de chorégraphe balistique. Explosions, ballet de fusillades, opérations clandestines, vendettas urbaines : tout y passe, avec une maestria technique qui sidère le plus souvent. Alternant hyper-réalisme et découpage iconique, connectés par un montage étouffant, l’image impulse au spectateur le pouls délirant d’une intrigue d’une rare cruauté.

 

BENICIO DEL MUERTO

Pour arriver à ce résultat, Stefano Sollima choisit de s’éloigner de Denis Villeneuve en matière d’écriture des personnages. L'épisode précédent faisait de ses porte-flingues de quasi-monolythes et usait de ses protagonistes comme autant d’effets de manche, jusqu’à s’en désintéresser presque totalement lors de son ultime tiers. Ils sont ici le moteur d’un récit où l’humain reprend progressivement sa place.

 

Photo Josh Brolin"Avoir un bon copain"

 

Sauf qu’ici, la montée en puissance de l’humanité au cœur du déroulé narratif n’est pas synonyme de chaleur, sinon celle des canons rougis appuyés sur les tempes de quidams innocents par Josh Brolin et Benicio Del Toro. Tous deux forment un duo létal irrésistible, l’alliance d’intérêts divergents, mais réunis par une soif de chaos inextinguible. Ils incarnent brillamment la folie d’une guerre motivée uniquement par sa propre perpétuation.

Au sein de ce tableau fumant, saturé d’idées de mise en scène, on regrettera une poignée de choix narratifs et twists dans le dernier acte, pensés pour amener un peu de surprise au sein d’une histoire dépressive, ou tout simplement motiver le public à retrouver ses anti-héros pour un troisième volet déjà évoqué. Ainsi, quelques tentatives d'adoucir les personnages sonnent étrangement faux, quand ils se mettent soudain à opérer des choix à la limite de l'absurde. Ces anicroches ne sont pas suffisantes pour altérer le plaisir pris devant le film, mais lui interdisent d’échapper complètement à sa nature de suite destinée à laisser le spectateur sur sa faim, plutôt que repus.

 

Affiche française

Résumé

Réquisitoire contre une guerre motivée seulement par sa propre continuation, ce nouveau Sicario est plus agressif et tétanisant que jamais, en dépit de certaines facilités d'écriture.

Autre avis Geoffrey Crété
La Guerre des cartels est à la hauteur de l'idée de faire une suite à Sicario. C'est donc parfaitement dispensable, vain, poussif, incongru, et déjà oublié.
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Lecteurs

(3.8)

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commentaires
Lord z
26/09/2018 à 01:34

Vous pouvez m expliquer la fin du film de sicario 2 svp? Il meurt ou pas? Rien compris

Groug
20/07/2018 à 10:31

Vu hier ... plaisant visuellement. Cela fait vraiment plaisir de retrouver Del Toro et Brolin dans leurs personnages, les scènes d'actions m'ont bien fait vibrer également, je les ai trouvé bien faites.
Mais le scénario ... pfff ... j'ai trouvé que cela manquait beaucoup d'ambitions. L'idée de nous montrer une ouverture du business des cartels avec les migrants est intéressante mais j'ai plus eu l'impression de voir une originalité scénaristique qu'une vrai envie de montrer quelque chose. Toute l'histoire de l’enlèvement qui tourne mal pour ensuite devenir un road trip, à moitié une vengeance (d'ailleurs encore une fois pourquoi avoir choisit la guerre des cartels dans le titre ??? mais c'est quoi ces distributeurs français de merde : connards) ... pffffff que c'est lourd tout ça, que c'est loooong, que c'est compliqué pour finalement nous donner à la fin ce que l'on a envie de voir depuis le début : la super "badassisation" d'un personnage : hey les gars, quitte à transformer la franchise en film d'action, fallait faire ça dès le début !!
Une remarque quand même sur l'ado américano-mexicain pas génial dans la dimension qu'il prend (alors qu'au début c'était intéressant).
Bref, ce film plaisant fait descendre de plusieurs marches cette licence issue du film Sicario de Denis Villeneuve. Donc : revoir Sicario, revoir Traffic, bruler les dernières copies existantes de Cartel de Scott ; et bien sur relire La griffe du chien et Cartel de Don Winslow.

fabio
05/07/2018 à 00:18

Mais quel dommage de sentir l'hydre hollywoodienne prendre peu à peu possession d'une oeuvre pour mieux la dénaturer jusqu'à ce qu'elle ne soit plus qu'un pur produit industriel.
Pour preuvres, ces facilités scénaristiques de la fin du film, et ces absurdités temporelles où j'ai eu comme une vague impression que Sheridan sacrifiait tout à la possibilité d'une suite. Les franchises sont les pires des sicarios.

Baneath88
28/06/2018 à 21:03

Très bonne suite. Différente et pourtant raccord avec le premier. Script une nouvelle fois épuré mais tortueux, personnages fiévreux et une tension toujours présente. Pas de doute, c'est le même univers délicieusement fumant du Sicario. Stefano Sollima fait honneur à son prédécesseur, respectant une esthétique aussi précise que tranchante, bien qu'il ménage quelques secousses pour rappeler qu'à défaut de refermer l'obscurité sur les personnages, il entend bien ici la faire exploser au grand jour pour les éclabousser tous. Les scènes d'assauts sont particulièrement sauvages, la violence entoure le récit dans sa globalité. Tant et si bien que même les personnages qu'on avait appris à craindre apparaissent aujourd'hui presque pathétiques, tant ils semblent empêtrés dans un monde où ils pensaient avoir un rôle à jouer et sont réduits à l'impuissance face à un chaos qu'ils génèrent et nourrissent d'eux-mêmes.

Dutch Schaefer
28/06/2018 à 18:52

Vu ce matin!
Une suite de qualité! Je vais même jusqu"à dire qu'elle est du même niveau que son premier opus!
Bien souvent les suites de (bons!) films déçoivent, mais là ce n'est absolument pas le cas!
Si on nous offre une trilogie comme cela est prévu, j'en serais enchanté! Reste pour cela à trouver un brillant réalisateur, qui laissera ce drame au haut niveau auquel il se situe!
PS: que ça fait du bien de voir autre chose que du Marvel, que ça fait du bien de voir du cinoche pour adultes!

Ronnie
27/06/2018 à 14:05

@Benjamin j'espère aussi ! le premier avec son ambiance, ses plans long sur les persos entre ceux qui savent ce qu'il va se passer (benicio) et ceux qui ne savent pas trop ce qu'ils font là et ce qu'il va se passer (blunt), la scène filmé de haut quand ils sont en 4x4 à la frontière, la musique... le mix de tout ça en fait un super film :)

Benjamin
27/06/2018 à 12:53

Merci, messieurs!
J'irais me faire mon avis, mais j'avais peur que ça singe Villeneuve en moins bon. Ça ne semble pas être le cas heureusement.

Zanta
27/06/2018 à 10:44

Merci pour la/les réponse(s) ;)

Geoffrey Crété - Rédaction
27/06/2018 à 01:40

@Benjamin

Et moi qui trouve la mise en scène et les partis pris de Sicario de Villeneuve formidables, j'ai été agréablement surpris par ce film.

A mes yeux, Sollima reste dans une zone très proche en terme de mise en scène, d'imagerie, d'ambiance, de sound design, mais y apporte son énergie, brise plusieurs fois ces codes. Si bien que cette Guerre des cartels ne renie jamais le précédent film, ne l'imite pas, mais avance en parallèle dans une direction similaire. D'où une impression de fausse familiarité et d'harmonie très bien utilisée - notamment pour surprendre le spectateur.

Baneath88
26/06/2018 à 23:11

Tiendrait-on la première vraie bonne suite de l'année 2018?
J'attends beaucoup de ce deuxième Sicario. J'ai beaucoup apprécié le premier. Une mise en scène léchée, un script à la fois épuré et précis et un casting irréprochable.
Réponse demain.

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