Numéro Une : Critique de requins
Emmanuelle Devos affronte les requins du monde des affaires pour devenir la première femme à diriger une entreprise du CAC 40 : un sujet dans l'air du temps, dont Tonie Marshall s'empare pour réaliser un thriller également porté par Suzanne Clément, Richard Berry et Benjamin Biolay. Si la formule vous effraie, détendez-vous : Numéro Une est une bonne surprise.
MARSHALL TOUTE
Que Tonie Marshall s'attelle à la question de la place de la femme dans la société est presque naturel : elle est la seule cinéaste à avoir reçu le César du meilleur réalisateur, pour Vénus beauté (institut) en 1999. Depuis, il y a eu moins de gloire : Au plus près du paradis, France boutique, Passe-passe ou encore Tu veux ou tu veux pas ont (très) moyennement brillé, en salles ou dans le cœur des spectateurs.
Numéro Une a donc une certaine valeur dans sa filmographie. Retrouvant Emmanuelle Devos après le téléfilm Tontaine et Tonton, Tonie Marshall s'essaye au thriller pour filmer les tours glaciales de la Défense, les bureaux chics du pouvoir, et les passes d'armes entre les chevaliers des grandes entreprises.
DIVINE DEVOS
Première évidence : Emmanuelle Devos est à nouveau remarquable. Si le talent de l'actrice n'est plus une surprise, sa capacité à se fondre dans ce paysage est saisissante. Armée de ce léger petit sourire et de sa beauté étrange, elle porte ce personnage de super-héroïne des buildings avec une aisance folle, trouvant un équilibre presque magique.
Numéro Une brasse des thématiques sérieuses et actuelles, menaçant régulièrement de tomber dans une didactique un peu mécanique et scolaire, mais Emmanuelle Devos traverse le film avec un naturel fascinant, offrant une dimension humaine très forte. Les seconds rôles composent une belle galaxie autour d'elle, de l'excellente Suzanne Clément au solide Richard Berry en passant par un Benjamin Biolay parfait en ordure féline.
LES TOURS INFERNALES
Le risque d'un film comme Numéro Une est d'enfoncer des portes ouvertes, se ranger derrière un discours politiquement correct ou être dans la charge caricaturale d'un sexisme anti-hommes tout aussi nauséabond. Tonie Marshall évite ces pièges, notamment parce qu'elle place au milieu de l'échiquier une héroïne qui n'a a priori aucune conviction féministe. Cette Emmanuelle a évolué dans le milieu des affaires en effaçant au mieux son genre, refusant catégoriquement d'utiliser ou étaler son identité. C'est évidemment une des nombreuses questions soulevées par le scénario, qui balaye sans insister outre mesure les nombreuses facettes du sexisme - un geste anodin, un silence lourd de sens, ou les confidences d'employées d'un plate-forme.
Tonie Marshall a consciemment choisi le milieu de l'industrie plutôt que le décor évident de la politique, propice à une dramaturgie plus féroce aux rouages excitants, de Borgen à House of Cards en passant par Manipulations. L'intention est intéressante, et offre d'ailleurs un beau cadre cinégénique - la réalisatrice s'est inspirée de l'ambiance de Margin Call même si sa mise en scène est nettement plus simple et attendue. Mais parce qu'elle refuse d'aller pleinement dans le thriller, de plonger dans la lutte pure et dure, elle prive son film d'une dimension qui semblait pourtant naturelle.
Le scénario refuse ainsi de se salir, et de salir son héroïne, qui aurait gagné à être plus complexe et ambigüe. À la violence, à la peinture noire d'une société loin de surmonter ses problèmes, la réalisatrice préfère l'optimisme, voire la candeur. Même lorsqu'elle accepte finalement d'utiliser les armes de ses adversaires pour réussite, avec la grande question de la fin qui justifierait sur les moyens, Numéro Une reste trop poli. Ainsi, la montée en puissance se heurte à un mur, assez classieux certes, mais qui empêche au suspense et à la tension de véritablement décoller. Reste alors un film bien ficelé, dans l'air du temps, qui marche sur des œufs avec Emmanuelle Devos en première ligne.
Lecteurs
(3.0)