Suspiria : critique délirium

Alexandre Janowiak | 6 janvier 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Alexandre Janowiak | 6 janvier 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Suspiria de Dario Argento est devenu avec le temps une oeuvre culte, sorte de mètre étalon du genre, intouchable et irremplaçable. Lors de l'annonce d'un remake réalisé par Luca Guadagnino et porté par Dakota Johnson et Tilda Swinton, les nombreux fans du long-métrage fantastico-horrifique originel ont donc frémi. Et à dire vrai, le doute était plus que permis concernant l'utilité de ce remake, finalement présenté en compétition à la Mostra de Venise 2018.

CALL ME MOTHER !

Présenter Suspiria comme un pur (ou simple) remake du film de Dario Argento est une grave erreur. Dès ses premières minutes, le film ouvre des perspectives bien différentes de celles du long-métrage originel. Ici, il n'est pas question de garder le mystère sur l'identité maléfique ou magique des professeurs de la prestigeuse école de danse.

Très rapidement, et afin, sans doute, de ne pas pasticher le produit original, le spectateur a très vite conscience de la sorcellerie ambiante menée par ces enseignantes autoritaires et inquiétantes.

 

photo, Tilda SwintonInquiétante et mystérieuse Madame Blanc, alias l'incroyable Tilda Swinton

 

Au fil des minutes, plus qu'une relecture de l'oeuvre du réalisateur des Frissons de l'angoisse, le Suspiria de Luca Guadagnino se dévoile donc plus comme une adaptation plus profonde du livre de Thomas De QuinceySuspiria de Profundis. La structure littéraire du long-métrage, découpé en six actes et un épilogue, n'est d'ailleurs pas une coïncidence mais surtout le mythe des trois soeurs funestes (Mater Lacrimarum, Mater Tenebrarum et Mater Suspiriorum) est au coeur de l'oeuvre de l'Italien.

Le Suspiria de Dario Argento, s'il s'inspirait bien évidemment de la même nouvelle, était surtout un film d'ambiance. Le film porté par Jessica Harper (qui fait un petit caméo dans cette nouvelle adaptation) reposait avant tout sur son esthétique baroque, ses couleurs flashies, ses éclairages hallucinés et la musique terrifiante de Goblin. Ici, Luca Guadagnino s'adonne évidemment à instaurer une ambiance sensorielle puissante mais s'attèle surtout à créer un véritable univers autour du mythe des trois Mater.

 

PhotoMother Tenebrarum, Mother Lacrimarum et Mother Suspiriorum

 

VOX FEMINA

Ainsi, le passé de Susie Bannion est plus fouillé. Son enfance américaine est, par exemple, évoquée à travers quelques rapides flashbacks. L'évolution continue de la jeune femme tout au long des 2h30 du métrage permet également d'évoquer des thématiques importantes : du deuil à l'émancipation sexuelle, du pouvoir à l'inévitable maternité.

Loin de se concentrer uniquement sur son héroïne, le scénario développe durablement les innombrables personnages gravitants autour de la jeune danseuse américaine. Mieux, au lieu de simplement s'arrêter sur le point de vue des élèves de l'école dont ceux de Patricia (Chloë Grace Moretz) et Sarah (superbe Mia Goth), le film se glisse dans l'intimité des professeurs. Un choix permettant d'exposer intensément la guerre interne qui sévit au sein des coulisses de la prestigieuse école et de créer une plus grande tension.

Enfin, la création du personnage du Docteur Jozef Klemperer, joué par le mystérieux Lutz Ebersdorf (qui n'est en fait que Tilda Swinton grimée en vieillard) ouvre également une autre facette du récit. Sa présence permet d'aborder les événements se déroulant dans le monde entourant l'académie de danse. En ligne de mire, ce Berlin des années 70 divisé par son mur, les actes terroristes de la Bande à Baader et les souvenirs douloureux de la Seconde Guerre mondiale et des déportations juives.

 

Photo"Bienvenue à notre école"

 

Cet approfondissement des personnages et cet enrichissement de l'intrigue sont particulièrement intéressants. Indéniablement, tout ce qui tourne autour du mythe des sorcières est des plus captivants. L'élaboration minutieuse de nombreuses personnalités féminines dans le récit insuffle un véritable vent révolutionnaire à SuspiriaLe réalisateur de Call Me by Your Name surfe assurément sur le contexte politique actuel pour livrer une vaste oeuvre profondément féministe et anti-patriarcale.

Ce n'est d'ailleurs sans doute pas anodin si finalement, ce sont les sujets liés au Docteur - le personnage masculin central incarné par une femme, soit le symbole évident d'une oeuvre anti-patriarcale jusque dans sa conception - qui paraissent maladroits. L'ensemble des parallèles historiques établis avec les événements de l'école et ceux se déroulant à Berlin (ou renvoyé au nazisme de la Seconde Guerre mondiale) ne sont pas très opportuns (voire carrément hors de propos).

 

PhotoUne intrigue intéressante autour du Docteur mais des sujets maladroits

 

A BIGGER INFERNO

Malgré ses quelques stries, le scénario plus approfondi et élaboré de David Kajganich apporte donc une vraie valeur ajoutée à ce faux-remake. Et au-delà d'accroître le mythe surnaturel, le réalisateur italien propose un travail exceptionnel derrière la caméra. S'il préfère une photographie austère et grisâtre à celle colorée et lumineuse de l'oeuvre d'Argento, Luca Guadagnino emprunte énormément au maître du Giallo pour la mise en scène de son Suspiria

Le cinéaste joue ainsi de cadrages déconcertants, d'effets de lumières sophistiqués et d'un montage ultra-rapide pour créer une tension permanente et grandissante. Puis, il s'appuie logiquement sur la musique composée par le chanteur de Radiohead, Thom Yorke (à la fois primitive et onirique) et surtout une ambiance sonore organique terriblement angoissante.

Par conséquent, des séquences de découvertes macabres (dont une dans les recoins cachés d'une salle de cours) à une scène de danse d'une violence inouïe (malheureuse Elena Fokina) en passant par les cauchemars extatiques de Susie, Suspiria recèle de sublimes trouvailles visuelles et acoustiques.

 

photo, Dakota JohnsonDakota Johnson est parfaite dans le rôle de Susie

 

Un festin esthétique qui atteint son apogée lors d'un ultime acte d'une radicalité affolante. Cette séquence démentielle (à tous les niveaux) plonge le spectateur dans l'inconfort, où une violence sanguinaire et frénétique se mêle à une forme de fascination morbide envoûtante et ensorcelante. 

Un parti-pris extrême qui divisera forcément le public, entre ceux qui se laisseront emporter ou hypnotiser et ceux qui n'y verront qu'une esbrouffe grotesque et grand guignolesque.

En tout cas une chose est sûre, ce grand final (et l'ensemble du long-métrage) est l'occasion pour Dakota Johnson, interprète de Susie, de prouver son talent incontestable d'actrice (tout comme Tilda Swinton confirme son talent de caméléon). Dommage cependant que seul Luca Guadagnino, qui l'avait déjà magnifiée il y a deux ans dans A Bigger Splash, réussisse à tirer profit de la jeune comédienne au cinéma.

 

Affiche française

Résumé

Suspiria est un mythe brillant, une expérience viscérale folle et un sublime complément de l'oeuvre culte de Dario Argento.

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Lecteurs

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commentaires
Ikea
07/01/2021 à 19:40

J'ai adoré ce film qui reprend certaines thématiques de l'original tout en les traitant avec un regard actuel (notamment en réinstaurant les sorcières comme symbole d'une marginalité et d'un féminisme radical). Et cette fin... Grotesque, certes, mais un grotesque qui rappelle qu'il est l'endroit où, dans les fantasmes (ante)religieux, le diable se terre (rappelez-vous des scènes blasphématoires de "La Chiesa" de Soavi par exemple). Bref, une bonne claque.

[)@r|{
07/01/2021 à 18:39

Difficile de passer après Dario Argento. Il maestro.

Même sujet, deux films radicalement différents sur le fond comme sur la forme.

En parlant de maître et pour les amateurs de cinéma ; Arte diffuse ce soir [Jeudi 7 Janvier à 23 h 45] "Sisters" de Brian De Palma. Bonne séance.

Ciao a tutti !

Dario 2 Palma
07/01/2021 à 11:10

@rientintinchti

"Beaucoup de réals se cachent derrière une esthétique et un esprit dans l'air du temps pour fabriquer des trucs de ce genre qui n'ont rien à raconter...
Des gens comme Gaspard Noé etc.
Les films de Winding-regfn genre drive avec leur esthétique néon eighties vintage cache misère.
Un peu comme la pseudo-coolitude fétichiste et vintage de tarantino qui dissimule bien sa nullité."

J'ai un peu le même ressenti sur le travail de certains de ces réalisateurs (et j'ajouterai à cette liste les Quentin Dupieux, Mandico..) avec leurs projets qui seraient peut-être plus adaptés à la durée de courts ou moyens métrages plutôt que de s'épancher laborieusement sur 1h30 ou 2h et révéler leurs carences d'écriture et de rythme, entre autres.
Pour SUSPIRIA 2018, je ne l'ai pas revu depuis la sortie cinéma...j'ai le souvenir d'un film là encore mal écrit et construit, d'une durée excessive, et ampoulé...je lui redonnerai une chance un de ces quatre, même si je ne suis pas trop pressé quand même de le revoir.

Anto
07/01/2021 à 09:32

@rientintinchti

Faut arrêter ces discours extrémistes et facile en disant qu'un film doit absolument raconter quelque chose, être cohérent, nia nia nia parceque la beauté ça cache la misère bla bla bla c'est de l'art et certaines oeuvres cinématographiques ne racontent absolument pas grand chose niveau scénario mais propose une expérience visuelle et sensorielle. Ça en fait un mauvais film? Non
Des propositions il en faut dans toutes les formes sous tous les aspects. C'est ce qui fait la diversité dans le cinema et ça c'est beau.

Après si vous préférez vous pignoler uniquement devant des films Coréens (dont je suis un grand fan également) eh bah regardez que des films Coréens et basta

Trop brouillon ce que je dis il me faut un café.

Kyle Reese
07/01/2021 à 01:29

@ rientintinchti

“Bcq se cachent derrière une esthétique et un esprit dans l’ère du temps”

Oui c’est certain, mais c’est justement tout l’inverse des cinéastes que vous citez qui fabriquent leur propre codes esthétiques et proposent des œuvres à contre courants des modes.
Après qu’on aime ou qu’on déteste chacun ses goûts mais ne vous déplaise, c’est du cinéma et parfois du grand cinéma tout comme certains films coréens que vous semblez tant aimer.

On peut apprécier le cinéma dans sa grande diversité et sous toutes ses formes pour peu qu’ on arrive à se débarrasser de ses propres préjugés et œillères.

Je dois particulièrement raffoler des films qui ne raconte rien moi.

rientintinchti
07/01/2021 à 00:44

Beaucoup de réals se cachent derrière une esthétique et un esprit dans l'air du temps pour fabriquer des trucs de ce genre qui n'ont rien à raconter...
Des gens comme Gaspard Noé etc.
Des trucs comme Holy motors de leos carax.
Les films de Winding-regfn genre drive avec leur esthétique néon eighties vintage cache misère.
Un peu comme la pseudo-coolitude fétichiste et vintage de tarantino qui dissimule bien sa nullité.
côté hexagonal, le cinéma est en train de tomber très bas. quand je vois des acteur comme Pierre Niney ou Guillaume Gallienne je me dis que le cinéma français est fini.
Quand je pense qu'on appelle ça du cinéma.
C'est un scandale je vous dis! Allez remboursez-moi tout ça... et à bas l'imposture.
Heureusement qu'on a d'autres oeuvres qui viennent d'ailleurs et qui redonnent espoir.
Je pense par exemple au cinéma coréen.

Sanchez
06/01/2021 à 21:35

Film qui se la pète, boursouflé de partout et réalisé par un mec dont le melon ne passe pas les portes. 2h30 c'est forcément trop pour un film d'horreur, surtout quand on a rien à raconter

Kyle Reese
06/01/2021 à 20:59

Je suis totalement en phase avec cette critique.
Pour peu qu'on mette de coté l'original, que je n'ai pas revu depuis sa découverte il y a bien longtemps sur C+ et que j'avais adoré et qu'on se laisse porter par cette ambiance très particulière, ce film est un sacré trip passionnant de bout en bout. On pourrait croire juste à un film "arty" mais il est bien plus que cela. Un film dense et très libre, comme les chorégraphies, qui sort des canons habituel cinématographique du genre.
Le casting emmené par Dakota Johnson et Tilda Swinton est excellent. Et puis la musique de Thom York est absolument sublime, et tout particulièrement Suspirium et Unmade, frissons garantie à leur écoute pour ma part. Plus qu'un film une véritable œuvre d'art qui se moque des modes et du box office.

Pour ceux que ça intéresse, les versions live des 2 morceaux cité enregistrés dans le studio de Jimy Hendrix.

https://www.youtube.com/watch?v=C8RllKVvfR4&ab_channel=ThomYorke
https://www.youtube.com/watch?v=C8RllKVvfR4&ab_channel=ThomYorke

Thom York = The Artist

Decker
08/04/2019 à 04:21

Film ridicule, honteux, tout y est mauvais, à coté de la plaque... Ce navet est à l'original ce qu'Hight School Musical est à Chantons Sous la Pluie... Le melon en plus.

clarence bodicker
13/01/2019 à 11:42

EXCELLENT REMAKE! qui apporte des choses supplémentaires vraiment intéressante. les actrices sont toutes parfaites, la Bo, un final incroyable, bref je comprends pas les mauvaises critiques. Avec Hérédité cette année on a été gâté, j'ai vraiment accroché!

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