Annihilation : critique au-delà du réel

Geoffrey Crété | 13 mars 2018 - MAJ : 06/06/2022 15:08
Geoffrey Crété | 13 mars 2018 - MAJ : 06/06/2022 15:08

Hier scénariste de Danny Boyle (28 jours plus tardSunshine), Alex Garland a été remarqué dès ses premiers pas de réalisateur avec Ex Machina, histoire d'intelligence artificielle avec Oscar IsaacDomhnall Gleeson et Alicia Vikander. Le voilà de retour avec Annihilation, adaptation du roman de Jeff VanderMeer avec Natalie PortmanJennifer Jason LeighTessa Thompson et Oscar Isaac à nouveau. Un film très attendu qui atterrit sur Netflix en France, le 12 mars.

ASCENSION

Des livres de Jeff VanderMeer, qui a écrit une trilogie intitulée Southern Reach, il reste surtout les grandes lignes dans Annihilation - titre du premier opus. A savoir une mystérieuse zone dont la nature échappe aux scientifiques et autres experts, où plusieurs expéditions ont disparu dans d'étranges circonstances, et qu'une équipe composée de plusieurs femmes va explorer à son tour.

Un postulat de départ à mi-chemin entre Stalker de Tarkovski et Monsters de Gareth Edwards, qui offre de fantastiques pistes pour l'imaginaire de tout amateur du genre, d'autant que le casting est emmené par les excellentes Natalie PortmanJennifer Jason Leigh et Tessa Thompson.

L'autre évidente raison s'appelle Alex Garland : le scénariste de Danny Boyle avait démontré son amour du film de genre avec 28 jours plus tard et Sunshine, puis gagné une place privilégiée dès sa première réalisation, Ex Machina. Classique dans le fond, cette histoire d'intelligence artificielle lui avait valu les louanges de la critique et du public, propulsant immédiatement son nom parmi les espoirs de demain. Plus cher (une quarantaine de millions, contre 15 pour son premier film), plus ambitieux, et logiquement plus attendu, Annihilation devait donc transformer l'essai.

 

Photo Natalie PortmanNatalie Portman vs wild

 

INTROSPECTION 

Annihilation a des qualités et défauts proches de ceux d'Ex Machina : un amour évident du genre, une mise en scène très soignée, et une écriture qui manque de finesse, ou du moins d'envergure dans ses motifs et thématiques. De la même manière que l'éveil d'une intelligence artificielle, traité mille fois dans la science-fiction sur le petit et grand écran, posait un cadre très strict à son premier film, l'exploration en milieu hostile d'un groupe qui se découvre et se déchire, impose des figures incontournables.

Des petites révélations aux tensions sourdes, des mises à mort des personnages secondaires aux flashbacks pour nourrir le portrait de l'héroïne, Annihilation traîne les scènes classiques avec une certaine paresse. Malgré un nombre de personnages très réduit et près de deux heures au compteur, le film a bien du mal à donner de la vie et des nuances à Ventress (Jennifer Jason Leigh), Anya (Gina Rodriguez), Josie (Tessa Thompson) et Cass (Tuva Novotny), malgré le talent des actrices. 

 

PhotoAvant le cauchemar

 

Plutôt que d'embrasser la dimension presque abstraite des livres, où les scientifiques ne sont par exemple pas nommées, Alex Garland force le trait pour donner une consistance très grossière (et finalement dispensable vu la teneur des flashbacks), à cette biologiste incarnée par Natalie Portman. Du temps et de l'énergie dépensés au détriment du vrai cœur du film, à savoir cette fabuleuse et dangereuse zone. 

C'est lorsqu'il invite délicatement le spectateur à entrer dans cette dimension au-delà du réel que le cinéaste et scénariste est le plus à l'aise, et clairement le plus excité. Des ellipses inquiétantes au rayons trop présents d'un soleil qui n'a plus rien de familier, des fleurs dont la beauté devient troublante aux présences féroces tapies dans l'ombre irréelle, Annihilation créé une bulle dont les teintes rosées et éclatantes ne sont qu'une illusion qui masque un écosystème venu d'ailleurs, gigantesque machine à avaler et transformer. 

 

Photo Natalie PortmanL'entrée dans la zone mystérieuse

 

ASSIMILATION

Alternance classique entre découvertes mi-merveilleuses mi-morbides et coups d'angoisse, la première partie de l'aventure dans la zone interdite avance à pas prudents. Un aperçu peu ragoûtant de tripes, une vision hallucinée et picturale d'un corps exp(l)osé sur un mur comme sur une toile terrifiante, des paumes en pleine métamorphose insidieuse, et Alex Garland installe discrètement un trouble, aidé par la photo étincellante et audacieuse de Rob Hardy, qu'il retrouve après Ex Machina. Et derrière ses airs de grosse série B, une scène de rencontre très rapprochée avec une créature invoque une étrangeté saisissante.

Mais c'est dans sa dernière ligne droite qu'Alex Garland énonce le plus clairement ses envies et ambitions, quitte à dévoiler ses fragilités de narrateur et filmeur. Le virage aurait certainement mérité plus de finesse et d'ampleur, à l'image d'une mort végétale magnifique qui perd de son impact au montage, mais le réalisateur se réserve une vingtaine de minutes finales pour s'envoler. 

 

Photo Natalie Portman Le tunnel de l'angoisse

 

Dans cette partie, il se positionne du côté des plus ambitieux récits de science-fiction, avec le désir de décoller vers des étoiles hallucinatoires qui rappellent le très beau Sunshine de Danny Boyle qu'il a scénarisé, Lovecraft bien sûr, voire des passages du grandiose Hyperion de Dan Simmons. Alex Garland y va sans peur, avec des partis pris stylistiques aussi fascinants que casse-gueules qui dénotent des couleurs d'ordinaire plus sobres et sombres, et invoque aussi bien Alien que Solaris. C'est aussi là qu'Annihilation étonne par sa radicalité, et des choix bien plus audacieux que l'emballage très propre et gentiment irréprochable d'Ex Machina.

Derrière la curiosité plastique des ultimes scènes dans la zone se dessine ainsi une beauté inattendue et indéchiffrable, sur laquelle le réalisateur pose un long regard aussi curieux qu'hypnotisant. Il suffit de quelques notes ennivrantes (musique de Ben Salisbury et Geoff Barrow, comme Ex Machina), d'une carcasse métallisée, d'une valse inquiétante ou d'une fournaise destructrice pour offrir des frissons d'autant plus marquants qu'ils résonneront avec un mystère insoluble.

 

Photo bande-annonceUne des nombreuses images étranges et perturbantes

 

C'est aussi dans cette conclusion que le film trouve son sens, en illustrant avec une frontalité de plus en plus évidente la mélancolie de ses personnages, aspirés et ingurgités par l'Autre et l'Ailleurs. Il s'agit moins d'anéantissement ("Annihilation") que d'assimilation pour ces êtres qui, au fond, veulent disparaître et être avalés, et cesser de lutter - contre la peur, l'addiction, la solitude sociale, le désespoir, ou simplement la mort. Et si la petite conclusion semble là encore illustrer une pure mécanique de spectacle pas franchement utile, Annihilation laisse flotter un étrange et beau parfum de trouble inquiétant et noir, lorsque son générique de fin multicolore défile.

 

Affiche

 

 

Résumé

Annihilation manque de finesse, grille certaines étapes sur l'autel de l'efficacité et au détriment de ses ambitions, mais propose une odyssée troublante, visuellement étonnante, avec de fascinantes et parfois radicales pistes de décollage pour l'imaginaire.

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Lecteurs

(3.9)

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commentaires
KhaliDrogo
09/02/2019 à 04:16

Persos j'ai passé un moment vraiment spécial en voyant ce film. Rare sont les film ayant la capacité d'immerger, d'intrigués et même chambouler à ce point les spectateurs. L'ambiance est terriblement derengeante, les images sont saisissante, l'histoire est à la fois métaphorique et metaphisyque... et pour couronné le tout la bande son est INCROYABLE! Envoutante, perturbante je dirais même bouleversante!
Bref une expérience de cinéma à vivre absolument

Andarioch
12/07/2018 à 10:00

Etrange.
A la fois chiant et troublant, j'ai du mal à m'empêcher de me dire que ça pourrait être très bien si...
Mais si quoi?
J'imagine qu'il faut rentrer dedans, être dans un certain état d'esprit. A éviter après une rude journée de travail.
Un film qui dépend trop des conditions de visionnage, donc.
Vous êtes prévenus

corleone
30/04/2018 à 17:59

Le pire film que j ai vu depuis tres longtemps. Encore je suis resté parce que je m attendais a une fin haletante mais c encore pire que le film. Lent, des flashback inutiles, un mec qui se fait sauter a la grenade en souriant, on sait pas pourquoi la physicienne se transforme en plante et personne d autre... on ne sait pas le pourquoi du comment. Une theorie de prisme incomprehensible...une vraie perte de temps avec comme seul suspense un ours et un croco je sais meme pas pourquoi c est le sac a dos et pas les jambes que il a attaqué....

Chris
31/03/2018 à 15:42

Haha merci pour tes éclaircissements Alien ;) Pour te répondre, de quelle bulle de savon parles-tu ? Je ne me souviens pas d'un tel effet quand les nanas franchissent la frontière de la zone. Pour les chars et hélicos, ok pour les systèmes électroniques déglingués, mais à ce moment-là les mecs n'avaient qu'à revenir vite fait faire un rapport pour qu'ils envoient des véhicules sans électronique après... Sinon tu dis qu'ils avaient déjà étudié les organismes mutants avant ? Je ne me souviens pas d'une référence à ça, mais cela dit l'erreur peut venir de moi car je n'ai pas été 100% attentif tout le temps. Après je sais bien que je chipote et que c'est un film qui se veut profond, mais quand la forme est aussi ratée ça ne peut pas marcher pour moi. Faut déjà que ça soit regardable au premier degré avant d'aller chercher d'autres niveaux de lecture.

Alien
23/03/2018 à 04:09

Le genre de films qu on doit gratter au fin fond du trou du cul d internet pour pouvoir trouver (tiens c est comme pour la musique) (j exagère je pense). Ca m a vraiment plu car même si on retrouve les bons vieux clichés du film d horreur (qui peuvent présenter la forme comme dit si bien Neon) on en a pas moins une intrigue et un scénario qui donne matière a réflexion (le fond) et de manière générale j aime les films de ce genre. C est vrai quoi on s en fout finalement que Gertrude crève de manière débile. Nous ce qu on veut c est le concept du schmilblick et la facon dont sont transmis l univers ainsi que l ambiance. Les images de synthèse sont sensationnelles en plus de cela.
Néanmoins Chris tes questions m ont semblees pertinentes aussi puis je apporter des éléments de réponse (purement subjective bien sur). Survoler la zone je pense deja fait mais quand les mecs se heurtent en altitude a une immense bulle de savon immonde, degalasse et qu ils voient rien a l interrieur, je peux comprendre qu ils décident de trouver une autre solution. Envoyer des chars et des hélicoptères peut faire gagner du temps mais attention. Ces appareils sont en général munis de systèmes électroniques et etant donné que le miroitement fout bien la merde a ce niveau la, bah au mieux tu tombe en panne en roulant au pire tu te crashe. Concernant les saloperies a étudier, déjà fait mais apparemment cela apportait encore plus de question et je pense que pour trouver la réponse, il vaut mieux aller a la source du bordel. Pour la psy qui s est fait butter avant Machine, elle a eu juste le malheur d etre arrivé avant . Premier arrivé premier servi comme pour Alien

MalikEstAuCiné
21/03/2018 à 16:11

ça m'a juste donné envie de revoir Predator de Mc Tiernan ! :D

Bebop
19/03/2018 à 12:26

Ni vraiment un navet ce qui supposerait un certain plaisir ... ni vraiment nanars ce qui supposerait un certain charme ... non juste une MEGA BOUSE pseudo freudienne.

dams50
18/03/2018 à 20:18

Plutôt passé un bon moment.
M'a donné envie de revoir le Solaris (celui de Tarkovski).
Et j'ai trouvé la musique excellente. D'ailleurs, quand j'ai vu le nom, Geoff Barrow, je me suis dit "mais mais, je connais ce nom, c'est le gars derrière Portishead !" Ahh, "only you", "all mine", et leurs accents John Barry-siesques, mortalou ...

Chris
18/03/2018 à 11:20

Film vu hier, je ne sais pas encore si c'est un navet ou un nanar. Par où commencer... La construction en flashback/flashforwards c'est méga relou, usé jusqu'à la corde et surtout totalement sans intérêt. Les scènes de la vie de couple de Machine et Trucmuche (j'ai oublié les noms) sont d'une platitude sans nom et ne servent qu'à étirer le récit et donner un semblant de substance aux personnages, "semblant" étant le mot principal de la phrase, la psychologie se résumant à "Machine aime Trucmuche (même si elle couchait aussi avec Machin, accessoirement)". Toute l'histoire est totalement impossible à croire : n'y a-t-il donc aucune route qui mène jusqu'au phare ? Pourquoi s'emm**der à y aller à pied par la jungle plutôt qu'en char ou en hélico ? Comment est-ce possible que personne dans cette base militaire n'ait survolé la zone pour la filmer et rapporter des images ? Que personne, dans les groupes qui y sont allés, n'ait eu l'idée de rentrer à la base dès que ça commençait à chauffer pour sauver sa vie, déjà, puis pour rapporter des images ou des organismes mutants à étudier ? Il y a quelques scènes sympa lorsqu'elles se font pourchasser par le croco et l'ours, qui m'ont fait me dire qu'ils auraient mieux fait d'opter pour un film d'anaconda géant à la place. La fin est grotesque, purement nanardesque, la psy qui se fait désintégrer on ne sait comment, mais pas Machine, non, parce que l'extraterrestre sait que c'est l'héroïne et qu'il ne faut pas la tuer. S'ensuit cette séquence ridicule avec le "clone" et Machine, bref... Tout ça n'a ni queue ni tête.

Je veux bien que certains y voient une grande portée symbolique et métaphysique, mais si l'histoire ne fonctionne pas au premier degré, c'est que c'est raté. Il faut déjà qu'on puisse y croire un minimum avant de s'essayer à la branlette intellectuelle.

Neon
15/03/2018 à 13:32

Du cinéma immersif avec quelques défauts en effet, mais quelle expérience. Il demande certe un peu d'investissement et d'implication de la part du spectateur, mais rare sont les films dont on se rappelle le lendemain dans cette époque ou le cinéma privilégie la forme au détriment du fond. Perso ce que j'ai vu de mieux en S.F depuis Bladerunner 2049.

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