Dunkerque : critique qui bombarde

Simon Riaux | 8 mai 2023 - MAJ : 09/05/2023 11:41
Simon Riaux | 8 mai 2023 - MAJ : 09/05/2023 11:41

Il compte parmi les derniers metteurs en scène à réaliser des blockbusters. En dehors des modes et défenseur d'un cinéma pensé comme un art visuel avant d'être une source de marques et de franchises interchangeables, Christopher Nolan s'attaque désormais au film de guerre avec Dunkerque, qu'il repeint de ses obsessions et de ses figures de styles favorites.

THE DARK INTERCEPTION RISES

Vendu par Warner comme un film de guerre total, Dunkerque a en revanche été présenté par son réalisateur comme un survival. Si sur le papier ces deux approches ne s’excluent pas et peuvent même se répondre, il semble que le nouveau film de Christopher Nolan soit encore autre chose, une proposition hybride et passionnante. Il s’agit tout simplement d’une gigantesque abstraction, un bac à sable virtuel où l’artiste a disposé tous ses motifs et obsessions.

Depuis Memento, il questionne notre rapport au temps, sa perception et notre capacité à influer sur son cours (Interstellar). Ici, nous suivons trois soldats précipités à trois moments distincts d’une même bataille. Un fantassin coincé sur une plage française durant une semaine, un volontaire britannique en mer le temps d’une journée pour rapatrier les troupes et un aviateur de l’Air Royal Force pendant une heure de combats décisifs.

 

PhotoLe but du jeu à la fin du film, c'est de ne pas tous les confondre

 

Soit un trio précipité dans un décor qui combine à la fois les artefacts techniques et guerriers de la trilogie The Dark Knight, la plage en forme de piège et la menace liquide convoqués dans Inception et Interstellar. Le champ de bataille de Dunkerque n’a en réalité plus rien à voir avec l’épisode guerrier du même nom ou une quelconque déroute militaire. Nolan nous invite dans un univers surréel, tantôt menaçant, tantôt poétique, où il va pouvoir déployer tout son art, avec une énergie décuplée.

 

Dunkerque : Photo Harry Styles, Fionn Whitehead"Elle est bizarre cette guerre."

 

IL FAUT MOUILLER LE SOLDAT RYAN

Et c’est là la grande force de son film. Sitôt passée son introduction, ou après une cavalcade urbaine désespérée, un jeune soldat débarque sur les immenses plages du Nord, transformées par les évènements et la mise en scène en vaste théâtre (d’opérations), le métrage mute et devient un pur trip sensoriel.

Christopher Nolan ne vise alors rien d’autre qu’un enchaînement de situations, toutes plus organiques, vertigineuses, les unes que les autres. Il y parvient le plus souvent, grâce à une maîtrise absolue de son art. Jamais jusqu’à présent le cinéaste n’aura atteint une telle harmonie en termes de montage, de découpage et de photographie, le tout au service d’une narration pensée comme un char d’assaut sommé de faire feu à volonté sur le spectateur.

 

PhotoFionn Whitehead dans le rôle de Tommy, soldat du CEB

 

L’effet est bien souvent dévastateur et les images impressionnent la rétine comme autant de shrapnels, portés par la partition assourdissante de Hans Zimmer. Le musicien prolonge son travail de déstructuration et opte pour une composition tout en grincements, sirènes, tic-tacs et violoncelles fous. Ses envolées décuplent la tension et induisent une panique rarement ressentie à l’écran avec autant de ballistique acuité.

Quand s’entrechoquent un ballet de Spitfires lancés à la poursuite d’un bombardier Heinkel, de la masse désarticulée de milliers de corps se jetant soudain au sol pour survivre à un tapis de bombes, ou des infinies nuances des embruns et nuages mêlés dans le ciel du nord, Dunkerque élabore un dispositif pictural dont le pouvoir de sidération est indiscutable.

 

Photo Kenneth BranaghKenneth Branagh, Commandant de la Royal Navy 

 

BABY WARRIOR

Si Nolan n’a jamais été aussi maître de ses effets, il n’a également jamais été aussi rachitique, contradictoire et insuffisant en matière de narration. L’éclatement temporel renforce l’immersion mais rend souvent confuse la progression dramatique du récit. Si les dialogues se font heureusement plus rares que dans les derniers films du réalisateur, le récit s’embourbe dès que les protagonistes ouvrent la bouche. À force de dialogues sur-signifiants et de métaphores pataudes, on ne sait trop si les héros de Dunkerque composent un plaidoyer contre la lobotomie ou se présentent à un concours de mirliton de la RATP.

 

Fionn WhiteheadL'ouverture du film est un de ses plus grands moments

 

Les comédiens ne sont pas en cause, chacun faisant ce qu’il peut avec l’embryon de personnage qui lui est assigné. Les plus expérimentés, Cillian Murphy et Mark Rylance, sont logiquement ceux qui s’en sortent le mieux, même s’il convient de noter que Fionn Whitehead assure dans le rôle compliqué d’une chaussette mouillée mal essorée. Il faut toute l’intensité de son charisme pour nous faire oublier l’obscénité avec laquelle Nolan gère les séquences à suspense entourant le personnage (« Ohohoh ai-je tué le figurant N°42 ou notre humide héros ? »).

La fonction de chacun devient alors évidente. Chaussette qui Goutte se veut le cœur émotionnel du récit, Super Rylance la caution morale et sermonneuse, tandis que Tom Hardy se paie une pause syndicale assis dans un avion, histoire d’assurer les jonctions temporelles. Cette disposition pensée grossièrement mais montée avec brio devient petit à petit trop transparente pour que la tension et le suspense y survivent. Ne restent plus alors au spectateur qu’à encaisser simultanément la maestria plastique de l’œuvre et sa bêtise non moins synthétique.

 

Fionn WhiteheadLa version adulte du success baby ?

 

PS : avec la sortie du film, apparaît une polémique concernant la place donnée aux troupes françaises. À ce titre, rappelons que Nolan se focalise sur trois personnages britanniques quasi-exclusivement, et qu’il s’agit là de son droit le plus absolu.

En revanche, si Dunkerque n’a pas pour mission de brosser le spectateur hexagonal dans le sens du chauvinisme, les rares scènes où les soldats français (dont plusieurs dizaines de milliers moururent pour permettre l’évacuation des troupes anglaises) apparaissent, ils sont montrés incompétents, lâches, voire déserteurs et pas franchement finauds. Jamais à des fins idéologiques, toujours pour servir la dramaturgie d’une séquence donnée. Le résultat est maladroit, voire franchement indélicat eu égard au sujet traité, mais ne relève pas pour autant d’un véritable point de vue sur l’armée française et son rôle dans l’opération Dynamo.

 

Dunkerque : Affiche française

Résumé

Tour à tour virtuose et benêt. Le soldat Nolan est un grand horloger qui ne sait pas lire l'heure.

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commentaires
Loeilheaume
06/07/2023 à 15:25

Le film commence 1 heure trop tard. Pour être honnête avec le sujet dont il est sensé traiter (peu importe qu'il focalise sur le point de vue anglais, au contraire!), l'ouverture du film aurait dû se faire sur la décision unilatérale de l'état majeur anglais de se retirer vers l'Angleterre en abandonnant ses alliés français et belges, allant jusqu'à fortement influencer la décision belge de capituler.

On ne peut pas peindre le reste de l'opération dynamo sans d'abord exposer ce fait.

Donc manquant de début, tout le reste du film est biaisé, les pleurnicheries de l'amiral Brannagh à l'approche de la flottille marchande (Ah oui, ça aussi, c'est avant tout la marine marchande et non civile qui participa à l’opération, mais on est plus à une approximation près) n’apporte rien.

Comme disait je ne sais plus qui, « le scénario, le scénario et rien que le scénario », si le scénario ne tient pas la route, le film ne peut pas fonctionner, peu importe la technique, la mise en scène, la photographie, le jeu des acteurs, les costumes, etc. Et c’est ce qui se passe ici, avec pour ma part, le pire film de la filmographie de Nolan.

Sanchez
09/05/2023 à 00:06

Un des meilleurs Nolan avant qu’il ne retombe dans ces histoires à la mord moi le noeud

matelot2B
25/05/2021 à 15:22

Complétement décu par ce film. Etre obligé d'utiliser le Maillé Brézé comme seul escorteur devant Dunkerque et, en plus, obligé de le filmer en deux fois (babord en gris, tribord en camouflé), Pour le spectateur non à genoux devant Nolan cela se résume à un film dont il est très difficile de comprendre la trame qui n'apparait pas du tout au premier abord.
Qu'a-t-il voulu dire exactement devant cette débauche de fric dont les plans ne se suivent absolument pas. Un coup la mer est mauvaise, les plans suivants on se croirait devant un lac.
Bref, une nullité. Rien à voir, par exemple à un week end à Zuidcoote.

Hank Hulé
09/03/2020 à 11:07

un poil déçu au ciné, j'ai surkiffé le second visionnage en 4k UHD.. Va comprendre...

major fatal
09/03/2020 à 10:07

Vue hier.....Déçu.
En + en 2018 utiliser un:Hispano Aviación 1112 pour le faire passer pour 1 Bf109 c'est un scandale!
Les reals utilisent la 3d pour tout et n'importe quoi mais quand il le faudrai ils ne le font pas!

Sinon le film bof.

Arnaud (Le vrai)
09/03/2020 à 09:05

Film qui n'a pas les moyens de ses ambitions et ca se voit clairement (ou alors l'armée allemande n'avait que 2 avions et aucun ne tire sur les soldats sur la plage ? pas de mitrailleuse a l'avant ?), une plage impeccable malgré la presence diegetique de 300 000 soldats et historique (mais maintenant l'Histoire on s'en tape ...) de 10aines de camionettes, chars et autres blindés (et je ne parle pas des bombes qui ne font aucun cratere ni dommage a la plage ...)

Un rythme plutot haché, qui baisse souvent et qui ne monte pas suffisamment haut dans les moments plus tendus ...

Bref je sais pas, pour moi c'est vraiment pas un bon Nolan. Une realisation pas recherchée du tout, un sujet historique mal maitrisé, un manque criant de moyen et un rythme assez batard. Ca donne 4uUn film tres moyen

maxleresistant
09/03/2020 à 00:22

Film superbe et magistral.
Dunkerque est conçu comme un moment immersif du ressentit ressentir de la guerre.
Le film est un compte à rebours en 3 temps.
Ça prends aux tripes et c'est beau. L'émotion elle était là. Je suis pas prêt d'oublier le plan de Tom Hardy devant son avion en flammes.

1917 c'est un peu le même genre, mais il est vrai avec plus d'émotions.

M1pats
08/03/2020 à 22:59

Les gens qui citent les films de guerre sans parler de la ligne rouge

Kyle reede
08/03/2020 à 20:37

Bon mais c’est le Nolan que j apprécie le moins. Manque d émotion, ça reste très froid et surtout surtout des les premières images des détails qui me sortent du film et notamment la présence dans le décor de fond de maison avec des velux sur le toits. Et aussi la présence d immeubles qui semblent bien trop moderne, des années 70 avec bcq de verre, en bordure de plage.
Ça m’a vraiment sorti du film des le départ et je ne comprend pas comment cela n’a pas été effacé en post prod.
Sinon le film vaut le coup essentiellement pour le moment clef de la convergence des 3 différentes timelines avec une monté incroyable, intenable du suspens jusqu’à ce moment sublime. Tout le film mène à cette séquence et à ce moment là c’est une pure jouissance cinématographique. Pour ce moment unique ou j étais en lévitation sur mon siège je pardonne à Nolan les gros défauts de son film.
Et j’attend avec une grande impatience l’arrivée de TENET sur les écrans.

toto17
08/03/2020 à 20:36

Nolan le réalisateur le plus sur-coté de tous les temps et ce film le montre très bien.

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