Ma vie avec John F. Donovan : critique épistolaire

Geoffrey Crété | 26 novembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 26 novembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Annoncé en grande pompe, passé par une post-production longue et complexe, Ma vie avec John F. Donovan, premier film en anglais de Xavier Dolan mené par Kit HaringtonJacob TremblayNatalie Portman ou encore Susan Sarandon, était particulièrement attendu, surtout après avoir été plutôt froidement accueilli dans les festivals. 

J'AI TUÉ MOI-MÊME

J'ai tué ma mèreLes Amours imaginairesLaurence AnywaysTom à la fermeMommyJuste la fin du monde : chacun aura son petit avis sur les sommets et dérives du cinéma de Xavier Dolan, tantôt adoubé tantôt conspué, au gré des surprises et phénomènes épuisants. Avec son casting de premier ordre, ses ambitions affichées et un désir à peine camouflé d'entrer dans la cour des grands à Hollywood, Ma vie avec John F. Donovan avait tout pour être le point de rupture définitif, où quelque chose passe ou casse pour de bon.

C'est pourtant le contraire qui se passe, tant le septième film de Xavier Dolan n'est ni une démonstration de force, ni la quintessence du soit-disant ego du cinéaste étiquetté prodige. Malgré son armure en or massif, Ma vie avec John F. Donovan est un film d'une fragilité de tous les instants, qui chancelle à chaque scène, et offre autant de moments forts que d'instants déconnectés.

 

photo, Jacob TremblayJacob Tremblay, vu dans Room et The Predator 

 

LES IMAGES IMAGINAIRES

Difficile de ne pas avoir en tête que le montage de Ma vie avec John F. Donovan a été compliqué, surtout pour un réalisateur d'ordinaire si efficace. Première annoncée au casting dans le rôle d'une journaliste odieuse, présente sur les affiches, Jessica Chastain a finalement été coupée du film. Bella Thorne aussi. Le film était censé être présenté à Cannes en 2018, mais Dolan a préféré décliner, car mécontent du film à l'époque.

À l'écran, il est facile de sentir non pas qu'il manque des éléments dans l'intrigue, mais que le film patine et pèche par excès. L'histoire démarre autour de l'interview de Rupert Turner adulte, qui ouvre le récit (dans un gros hommage à Titanic) en se remémorant sa relation épistolaire avec John F. Donovan, une star montante qui l'obsédait lorsqu'il était jeune. Commence alors la valse, avec d'un côté Rupert enfant en Angleterre, et de l'autre, ce fameux John dans sa vie à New York.

 

photoL'interview centrale, amusante et touchante

 

Se téléscopent ainsi deux films (voire trois, tant l'interview avec Thandie Newton et Ben Schnetzer, qui revient régulièrement, est réussie), chacun étant porté par ses enjeux, ses personnages, ses décors et ses couleurs. C'est là le principal frein de Ma vie avec John F. Donovan : les deux univers avancent en parallèle mais dans leurs coins, sans jamais véritablement prendre vie ensemble ensemble.

La fascination du môme pour cet acteur de mauvaise série n'est jamais expliquée, prouvée ou creusée, mais simplement établie comme le ciment de l'histoire. Elle ne fera jamais sens au-delà du pitch, d'autant plus que les interactions entre les deux garçons se résument donc à des lettres, et que ces lettres sont survolées, là encore posées comme des données.

Jamais le lecteur n'est invité à pénétrer dans leur intimité si étrange et précieuse, pour comprendre comment tout a commencé, et s'est construit au fil des années. Par conséquent, jamais il ne pourra se laisser embarquer dans cette passion et ces connexions presque magiques entre eux.

  

photo, Kit Harington La starlette en pleine dépression

 

JUSTE LA FAIM DU MONDE

L'homosexualité orageuse, la figure maternelle ambivalente, la fascination qui vire à l'autodestruction, les rapports de force, le fossé entre le monde des adultes et celui des enfants, et même le regard désabusé sur les médias (qui était sûrement plus féroce à l'origine, vu la description du personnage de Jessica Chastain) : les raisons qui ont précédé la naissance de ce John F. Donovan sont évidentes au sein de la carrière de Xavier Dolan. Le film a même des airs de gros bilan, et de best of empreint d'un classicisme hérité du cinéma américain si cher aux yeux du réalisateur.

 

photo, Jacob Tremblay, Natalie PortmanY'a même de la pluie

 

Mais persiste l'impression d'avoir sous les yeux une version lissée, tronquée, rendue plus polie et claire, après des films à fleur de peau souvent assimilés à la post-adolescence de Dolan. Ma vie avec John F. Donovan survole tant ses personnages et ses sujets, qu'il semble souvent vidé de sa substance, sacrifiée sur l'autel d'un film qui rentre dans les clous (il dure deux heures, mais avait de quoi s'étendre nettement plus). Il rappelle à certains égards Laurence Anyways, autre grand mouvement romanesque et bancal du réalisateur.

Le traitement en pointillé de la starlette interprétée par Kit Harington l'illustre très bien. Avec ses scènes vues mille fois (un photoshoot, une boîte de nuit, un dérapage sur un tournage) et ses motifs survolés (la double vie, la quête de gloire, le malheur qui va avec), ce personnage ne va pas au-delà de l'archétype. Il représente toute la difficulté qu'a le film à créer de l'émotion et de l'empathie.

 

Photo Natalie PortmanNatalie Portman s'en sort mieux que les autres, avec plus de scènes

 

Emportés dans ce tourbillon, presque tous les personnages semblent vidés. Il pourrait manquer une douzaine de scènes à Kathy BatesEmily Hampshire, et dans une moindre mesure Susan Sarandon, et ça ne serait pas étonnant tant elles sont étouffées. Natalie Portman et surtout l'excellent Jacob Tremblay y échappent puisque le film leur laisse plus d'espace pour exister et gagner des nuances, quand l'impeccable Thandie Newton et Ben Schnetzer s'en sortent étonnamment bien malgré la partie plus ingrate de l'interview-amorceur narratif.

Ma vie avec John F. Donovan est réellement le premier film que Dolan n'écrit pas seul, puisqu'il était accompagné de Jacob Tierney (Tom à la ferme était co-écrit avec l'auteur de la pièce de théâtre). Il y avait un pari évident pour lui, qui a par ailleurs porté ici encore de multiples casquettes (crédité au montage, aux costumes, et même aux sous-titres français).

Qu'il ait depuis réalisé Matthias & Maxime, un film plus modeste au Québec, sans effet d'annonce précoce ou de gros noms au casting (mais Anne Dorval de retour), en dit certainement beaucoup. Comme le beau et étrange sourire du dernier plan de Ma vie avec John F. Donovan, l'espoir est bien là, mais sûrement ailleurs. Loin de ce tumulte romanesque, dans des choses plus simples et terre-à-terre.

 
Affiche française

Résumé

Ma vie avec John F. Donovan n'est ni le grand film, ni le gros raté de Dolan. Mais c'est peut-être son essai le plus fragile et étrange, tiraillé entre des moments très beaux et des limites évidentes en terme d'écriture.

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Lecteurs

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commentaires
#diez
26/11/2019 à 20:10

Autoproclamé ? Un artiste c'est prétentieux, ok normal, il faut bien ça à un artiste pour réaliser de grandes choses et donner du relief à ses ambitions.

Mais autoproclamé faut pas exagéré. Uwe Boll est à ce titre autoproclamé bon réal. Pourtant contrairement à Dolan, pas certain qu'il soit loué par le public pour de réelles qualités artistiques.

memede1971@sfr.fr
16/03/2019 à 20:12

Personnages hystériques,mise en scène pompeuse,musique assourdissante, figure de la mère envahissante, nous sommes bien dans un film du génie autoproclamé Dolan qui n en fini pas de rendre hommage au matriarcat, quant à l histoire des correspondances entre in puceau de 11ans et une star de série télé on s en tamponne.

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