Critique : Queen and country

Chris Huby | 22 mai 2014
Chris Huby | 22 mai 2014

John Boorman revient avec Queen and Country à un récit semi- autobiographique, 27 ans après Hope and Glory. Suite directe de ce dernier métrage, l'histoire se déroule au début des années 50, dans une Angleterre qui est encore marquée par l'empreinte de la seconde guerre mondiale.

 

Le héros entame son service militaire alors que naissent ses premiers amours. La contradiction douloureuse entre les deux univers vont le construire âprement. D'un côté nous retrouvons donc un univers masculin où l'autorité se confronte à la légèreté de la jeunesse, de l'autre un environnement familial et amical construit autour de l'attirance envers les femmes. Comme le premier film, tout se déroule du point de vue restreint du personnage principal, qui n'est autre qu'un avatar du jeune Boorman.

Via ce procédé, le metteur en scène confie ici sa construction sentimentale et intellectuelle. Issu d'un milieu cultivé, le héros n'aura de cesse d'apporter sa contradiction à l'appareil militaire via sa vision personnelle de la vie, sans doute trop indépendante pour le MI5 comme le montre d'ailleurs l'une des scènes. S'en suit des séquences plutôt potaches tout au long des deux heures du film, ridiculisant tour à tour la fameuse rigidité britannique ainsi que tout le pouvoir, du petit chef frustré jusqu'à la Reine d'Angleterre. Dans ces moments-là, on saisit mieux comment a bien pu se nourrir le metteur en scène de Délivrance et d'Excalibur. Libre penseur, il n'aura de cesse de se méfier de l'ordre et de ses outils. Politique et analyste, on comprend que ses jeunes expériences furent essentielles, d'autant plus qu'elles ont été éclairées par des adultes d'une finesse redoutable et à la générosité rare. Au-delà du regard critique sur les institutions, ce que nous montre Boorman c'est tout le sel qu'apporte l'amour, les liens indéfinis entre les êtres, ceux qui donnent sans jamais juger.  

Imagerie inspirée d'un Tchekhov, la maison familiale juchée sur une île proche de la nature laisse à penser comment le jeune homme fut marqué à plusieurs niveaux. Les films de Boorman délivrent en effet souvent un message sur le rapport ambigu qu'entretient l'homme avec son environnement. Par ailleurs, le fait de se trouver dans un espace réduit, loin des autres et « insulaire » comme le signifie la mère du héros en plaisantant, a fondé une forme de protection intellectuelle qui a nourrit la carrière du britannique.

Le vrai fond du film se trouve pourtant dans son rapport au féminin. Boorman y donne les clés d'interprétation mélancoliques de sa vision du monde. Les femmes qui entourent Bill possèdent toutes un caractère extrêmement fort, ce qui n'est guère étonnant lorsque l'on découvre la mère, personnage de tête absolument remarquable et présent partout, à la limite de l'envahissant. L'attirance du héros pour la douleur, pour une jeune femme remplie de tristesse et quelque peu déjà brisée par la vie, va forger une incompréhension et une souffrance qui le marquera à jamais. Les feux de l'amour ne s'éteindront donc pas, mais la sensualité féminine si riche et si vivante, celle notamment de la petite infirmière, finira par prendre le dessus.

Car ce qui caractérise ce film, au-delà de toute son intelligence et de sa maitrise, c'est son rapport à la beauté de la vie, à sa matière positive. Boorman fait renaitre les moments d'une existence que l'on imagine sans peine bien remplie. Il signe ainsi encore un métrage d'une beauté renversante, d'une grande richesse et à la sensibilité exacerbée. On y devine toute l'urgence qu'il peut y avoir dans la tête de quelqu'un de plus de 80 ans qui ne demande qu'à vivre intensément. En forme de don, il livre ici une œuvre qui donne pleinement envie de mordre dans le présent.    

 

En bref : Le metteur en scène britannique parvient à donner vie à une période de sa vie qui a forme de carrefour intellectuel et sentimental. Parfaitement maitrisé, le film prend sa force au moment où le héros tente de comprendre ce qu'il se passe en lui, notamment via son rapport aux femmes qui l'entourent. Une petite merveille.

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(1.5)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire