Critique : Ugly

Marjolaine Gout | 28 mai 2014
Marjolaine Gout | 28 mai 2014

« Ma mère m'a tué ;  mon père m'a mangé ; ma sœur a enterré mes os, sous le genévrier. Bel oiseau que je suis. »  Cet extrait du conte du genévrier, rédigé jadis par la plume des frères Grimm, résume allégrement la violence et la cruauté qui émanent d'Ugly! Si Anurag Kashyap  ne recourt pas à l'imagerie du merveilleux,  la nature chaotique de l'être humain, dictée par des bas instincts, se déploie avec une dimension féroce. C'est ainsi un thriller asphyxiant que capture Kashyap et ce dans toute sa laideur : le portrait de la déliquescence de notre espèce, l'homo sapiens, donne des envies irrépressibles de virer de bord et d'échanger sa couenne contre la pelisse de n'importe quel animal voire de briguer celle d'un organisme photosynthétique pourvu que ceux-ci soient dénués de toute conscience!

Kali, une fillette de divorcés, disparait. Avec comme point de départ, l'enlèvement d'une enfant, on ne peut s'attendre qu'à voir débouler sur grand écran une battue effrénée, soutenue par un concerto de parents en pleurs et un crescendo de trémolos de violons ! Certes, si Anurag Kashyap est un féru de cinéma et de genre, le mélodrame ne fait pas partie de son répertoire. Ici, sous le son des guitares distordues, les masques choient et la morale prend la poudre d'escampette laissant le champ libre à l'avidité, la cupidité, l'égoïsme, la corruption ou encore la vengeance! Faisant table rase  de toute humanité, un florilège de violence vient ainsi ponctuer ce métrage avec en prodrome de cet univers vérolé : un suicide manqué, une volée de châtaignes, pêches et autres mandales gastronomiques relevée d'un accident où un humanoïde se fait éparpiller façon Jackson Pollock sur la chaussée !

Certes, le récit court, un tantinet, derrière une mise en scène des plus réalistes. Efficace et pesante, la réalisation d'Anurag Kashyap révèle une critique acerbe et prégnante fustigeant l'évolution de notre société. Une société rivée à son iPhone et  à des mirages. Le réalisateur prend donc  soin d'illustrer cet univers décadent, borné à des frivolités, en le démantelant plan par plan et laissant ainsi poindre une vacuité béante à vous faire frémir le rachis !  Dans ce triste marasme, on y retrouve cependant un des leitmotivs salvateurs de la filmographie d'Anurag Kashyap : l'humour. Temporisant ce fait divers sordide, les parades comiques permettent à la narration cauchemardesque une rupture. Si ces cocasses répits rythment ce film ingénieusement, en maintenant la tension dramatique, la satire qui en jaillit est d'autant plus frappante. A la manière de la comédie satirique Soodhu Kavvum, Kashyap raille avec malice un système gangrené. Ainsi, le poste de police, garant de l'ordre et de la loi, a davantage l'allure de cirque et d'hôpital psychiatrique dirigé par des dadaïstes ! C'est par ailleurs par ces touches légères que s'élèvent irrésistiblement le propos et la teneur du film. D'autant que c'est dans la comédie que la satire devient implacable en renvoyant au spectateur un miroir peu flatteur. Car bien que le film se déroule en Inde et dénonce les maux de ce pays, Anurag Kashyap y dresse en fait le portait de notre monde. Un monde au bord de l'implosion !

En bref : Si Rousseau affirma que la société corrompt l'âme humaine, Anurag Kashyap en offre une illustration choc ayant pour vocation d'éveiller les consciences !

Résumé

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