Critique : Le Démantèlement

Nicolas Thys | 3 décembre 2013
Nicolas Thys | 3 décembre 2013

"Goriot mettait ses filles au rang des anges, et nécessairement au-dessus de lui, le pauvre homme ! Il aimait jusqu'au mal qu'elles lui faisaient." Honoré de Balzac.

On avait découvert Sébastien Pilote au festival de la Rochelle en 2012 avec son très beau Le Vendeur, premier long courageux et réussi, joli succès au Québec mais jamais sorti dans l'hexagone. Cinéaste à suivre, il revenait cette année à Cannes à la Semaine de la critique où il a remporté le prix du meilleur scénario. Et effectivement, cette amour d'un père qui ferait tout pour ses deux filles, relecture contemporaine d'un thème balzacien et jamais mieux traité que dans Le Père Goriot, est d'une grande limpidité. Deux parties, deux filles et une vie qui s'en va. D'une simplicité déconcertante, le sujet du Démantèlement est rare au cinéma et pourtant idéal.

Mais le film de Sébastien Pilote va au-delà de cette simple histoire. Il ancre son film non dans une grande ville comme le roman de Balzac mais à la campagne. Le protagoniste est un paysan dans un monde en crise : ses voisins partent, et s'ils démantèlent leur propriété ce n'est pas par gaité de cœur mais parce que leur profession est menacée. Nul ne les voit, nul ne les comprend, ils n'ont rien sauf leur envie envolée d'aller au bout. Si en France, on est habitué à ce genre de personnages et de paysages, et ce n'est pas Raymond Depardon qu'on fêtera bientôt à la Cinémathèque comme au Grand Palais qui nous contredira, allez trouver un film québécois qui s'y déroule. C'est comme si ces contrées venaient d'être découvertes par le cinéaste, qui s'éloigne tout autant de la vie urbaine que des grandes forêts ou des plaines désertiques, lieux communs du cinéma canadien.

Sébastien Pilote signale souvent que ce film est le dernier tourné en pellicule et en technicolor à Montréal. Et cela se voit. Alors que son premier film était marqué par quelques traces colorées discrètes, bleues ou rouges qui revenaient comme un motif plan après plan, Le Démantèlement fonctionne sur un régime inverse : il exp(l)ose ses couleurs automnales. Les marron, orange et verts sont partout dans les extérieurs comme si le cinéaste se faisait peintre. Le paysage, à l'iconographie très américaine quand son traitement narratif est plutôt français, s'étire à perte de vue et s'oppose encore plus nettement au blanc sépulcral de la dernière demeure du héros et aux espaces étroits des habitations.

Mais Le vieil homme mourrait pour ses filles malgré leur absence et la manière qu'elles ont, surtout la plus âgée, de l'utiliser ou de l'ignorer. Comme il le dit, tout le monde croit qu'il vit pour son métier mais il vit pour ses filles : plutôt partir, démanteler que de les voir malheureuses. Et ce départ est l'autre thématique importante du film. Départ à la fois cruel et doux, synonyme autant de désespoir que de rapprochement et qui met à rude épreuve sa naïveté et son caractère. C'est un réveil après plusieurs décennies d'une vie en vase clos, sans arrêt, à toujours bouger. Doté d'une mise en scène plutôt classique et calme, comme pour mieux observer chaque réaction, chaque élément du cadre, Le Démantèlement est une œuvre touchante, dure mais ni larmoyante ni tragique, ce qu'on apprécie.

Il est en outre porté par deux acteurs magnifiques, dont il est impossible de ne pas souligner la justesse. Gabriel Arcand, frère de Denys, réalisateur du Déclin de l'empire américain et des Invasions barbares. Son allure d'ours revêche mais doux de même que son tempérament à la fois docile et imperturbable portent le film de bout en bout et conviennent parfaitement à ce rôle de père aimant et peu social. La deuxième est la plus jeune des deux filles, Sophie Desmarais. Actrice en devenir, croisée dans Curling de Denis Côté, elle est la révélation de l'année et est apparue deux fois à Cannes cette année (aussi dans le sensible Sarah préfère la course de Chloé Robichaud où elle excelle) et trois fois au Cinéma du Québec à Paris (avec en plus la délirante Chasse au Godard d'Abbittibbi). Parions qu'on la reverra souvent et c'est une excellente chose !

"Les pères doivent toujours donner pour être heureux. Donner toujours, c'est ce qui fait qu'on est père" Honoré de Balzac.

Résumé

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