Critique : Jimmy P. - Psychothérapie d'un indien des plaines

Sandy Gillet | 18 mai 2013
Sandy Gillet | 18 mai 2013

De prime abord Jimmy P. peut détonner dans la filmo de Desplechin. Le cinéaste des portraits de groupes de préférence familiaux, héritier direct d'un pan de la Nouvelle Vague façon Resnais ou Truffaut, s'attaque ici à l'adaptation d'un livre peu connu du grand public, Psychothérapie d'un indien des plaines, qui a donné naissance à l'ethnopsychiatrie (discipline à la croisée de l'anthropologie - l'étude de l'humain à la fois physique et culturel -  et de la psychanalyse). Livre fondateur de Georges Devereux, il est aussi le seul ouvrage de psychanalyse qui donne à voir l'intégralité d'une analyse, décrite minutieusement séance par séance. Un aspect repris à l'identique par Desplechin qui en fait d'ailleurs son fil rouge scénaristique et de mise en scène. Une trame, un angle qui pour le cinéaste lui permet de réaliser un film à la puissance cinématographique indéniable

Jimmy P. c'est Jimmy Picard (Del Toro tel un monolithe aussi impressionnant que touchant), un indien originaire de la tribu des Blackfoot vétéran de la Seconde Guerre Mondiale qui souffre de maux de tête, d'hallucinations, de crises d'angoisse, de cécités temporaires... quand il est admis à l'hôpital militaire de Topeka, au Kansas, un établissement spécialisé dans les maladies du cerveau. On le pense atteint de schizophrénie mais ce n'est pas l'avis du psychanalyste français George Devereux (Amalric débarrassé de ses scories et tics d'acteurs façon "Nouvelle Vague pour les nuls") appelé en renfort car réputé pour sa connaissance des cultures amérindiennes. Le film raconte la rencontre entre ces deux hommes et leurs séances quotidiennes qui vont permettre de dévider l'écheveau apparemment inextricable d'une conscience tourmentée. Une complicité puis une amitié naissante viendra sceller cette thérapie d'un autre genre se nourrissant, comme Freud d'ailleurs, de l'interprétation des rêves et des souvenirs que Desplechin filme à la façon d'une enquête (on n'est pas loin du film noir) et en scope. C'est que géographiquement on est à la source même du mythe américain, celui de la nouvelle frontière mais aussi du génocide indien. La psychanalyse à laquelle on assiste en devient ainsi plus passionnante à suivre faisant dès lors échos au trauma post Seconde Guerre Mondiale d'une Amérique pansant ses plaies tout en prenant enfin le temps de regarder dans le rétroviseur de sa toute jeune Histoire. Desplechin en profite aussi pour rendre à sa façon hommage aux westerns classiques des années 40 et 50 tels ceux de Ford qui est d'ailleurs expressément cité avec un extrait de Young Mr. Lincoln (que l'on sait avoir combattu le chef indien Black Hawk) que Jimmy Picard découvre au cinéma avec Devereux.

À l'image de ce psychanalyste français et juif venu étudier les civilisations du Nouveau Monde pour en régurgiter une science propre à mieux en comprendre les névroses et les enjeux futurs d'une société encore en devenir, Desplechin se positionne en témoin éclairé d'une cinéphilie réinterprétée de la plus belle des façons. Sa mise en scène privilégie une sorte de parole visuellement mature où l'individu est le centre des débats et fait office de valeur intransigeante de cadre. On se rappelle alors de La sentinelle, hommage à peine voilée au cinéma d'espionnage où Desplechin rendait déjà compte de son amour du cinéma américain, à l'image donc des « jeunes turcs » de la Nouvelle Vague. Avec Jimmy P., le voici donc revenu à ses premiers émois de cinéma qui ne peuvent que réjouir l'aventurier cinéphile tapi en chacun de nous.

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