Au bout du conte : critique enchantée

Sandy Gillet | 5 mars 2013
Sandy Gillet | 5 mars 2013

En deux films (celui-ci inclus) le couple Jaoui-Bacri semble s'être racheté une virginité cinématographique. 

Alors que Le goût des autres et Comme une image avaient contre eux une certaine morgue de gauche donneur de leçons et une réalisation atone pour ne pas dire insignifiante, Parlez-moi de la pluie et maintenant ce Au bout du conte donnent enfin la pleine mesure à leur indéniable talent d'écriture et de direction d'acteurs avec en plus ici une mise en scène, signée comme toujours Agnès Jaoui, enfin débridée aux confluents du merveilleux et de l'apesanteur. Les recherches formalistes y sont évidentes et servent un propos non plus asséné mais suggéré à l'image de ces aquarelles numériques qui parsèment un film cherchant à comprendre ce qu'il y a après le conte et le « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants ».

 

 

Pour y arriver le couple reprend avec bonheur les codes du film choral en grossissant les ressorts et ficelles dramatiques. Conte oblige. Un joyeux bestiaire mené comme de bien entendu par un Jean-Pierre Bacri toujours aussi rosse, bougon et rationaliste mais qui l'âge aidant se met à nu de quelques failles dont celui de croire, à son corps défendant, à la prédiction d'une voyante qui lui dévoile la date de sa mort. Il est le fil rouge de personnages qui veulent tous croire, chacun à leur manière, aux contes de fées ou autres superstitions. L'une ici (Agathe Bonitzer, archétype d'un certain cinéma français détestable mais qui sous la baguette d'Agnès Jaoui devient papillon) qui croit avoir rencontré le prince charmant (Arthur Dupont, meilleur à chaque nouveau film), l'autre qui espère toujours devenir une comédienne reconnue (Agnès Jaoui toujours aussi précieuse devant la caméra) mais qui s'accomplit dans la mise en scène de spectacles d'enfants.

 

 

Les enfants justement qui apparaissent pour la première fois dans leur cinéma. Preuve encore une fois d'une certaine maturité. D'une envie de voir ailleurs et de raconter des histoires qui ont un avenir. De faire un cinéma non plus fermé en des certitudes de jeunesse mais ouvert au débat et en la conviction que leur film n'est qu'un objet de passage et non une chose sacrée et exacerbée. Dégagé ainsi de ces scories plombantes, ce qui a toujours été le talent du couple (vision acerbe recrachée façon humour noir des petits et gros travers de notre société), éclate plus que jamais au grand jour. Ce qui n'était qu'un traitement légèrement bilieux, bien que souvent bien vu, de situations données sans suite devient ici une composition d'orfèvre qui fait enfin sens.     

 

 

Et nous de prendre un pied magistral devant un tel tourbillon, mélange de savoir-faire et de talent que l'on n'espérait plus car ne sachant pas encore si Parlez-moi de la pluie était un accident ou non. Film qui n'avait de toute façon pas l'ampleur choral ni tout à fait la posture assurée de celui-ci. Pour s'en convaincre une ultime fois, il suffit de voir comment le personnage de grand méchant loup interprété par Benjamin Biolay est amené et traité. Sorte de Casanova carnivore et carnassier à la voix suave, il est le point anguleux et la mise en abyme d'un film à l'intelligence et à la richesse formelle étonnante. L'enchantement est alors réel car le discours n'est pas de détruire la magie du conte mais plutôt d'en donner une relecture baroque et à rebours. Tout le monde s'en donne à cœur joie (même Bacri), on savoure chaque instant et on en redemande.

 

Résumé

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