Cogan : critique Killing Them Softly

Simon Riaux | 22 mai 2012 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 22 mai 2012 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Andrew Dominik avait marqué les esprits avec son précédent film, L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, anti-western contemplatif et crépusculaire, il nous tardait donc de le voir revenir aux affaires. Tout indique que nous n'étions pas les seuls à guetter La Mort en douce, puisque la soixante-cinquième édition du festival de Cannes lui aura fait l'honneur de le sélectionner en compétition officielle, histoire de donner à Brad Pitt une chance de succéder à Jean Dujardin.

La précédente œuvre du cinéaste prenait à rebrousse poil tout un pan du western et de l'histoire américaine, la nouvelle s'attaque au thriller et à ses ramifications récemment sanctifiées par la pop culture tarantinesque. Sur le papier, tous les ingrédients d'un film d'arnaque gouailleur et énervé sont réunis : personnages azimutés, machination brinquebalante, mafieux adipeux et lubriques, tueurs déphasés et némésis impitoyables. Sauf qu'il ne sera ici jamais question d'agencer tout ce petit monde autour d'une suite de rebondissements rigolards et cyniques, encore moins de transformer les protagonistes en hommages sur pattes. Car si Killing Them softly est éminemment cinématographique, il se garde bien de convoquer ses ancêtres et influences de manière trop visible. Au contraire, il s'évertue à piétiner systématiquement les icônes charriées par un script en apparence très convenu.

 

photo, Scoot McNairy, Ben Mendelsohn

 

Le casting s'en donne à cœur joie, Brad Pitt (impérial) en tête, suivi de près par un James Gandolfini qui trouve là tout simplement son meilleur rôle au grand écran, sorte de morse dépressif et violent, dont l'implosion guette à chaque seconde. Mais Dominik ne se contente pas de distribuer les bonnes répliques et les poses mémorables, il use de sa distribution comme d'un outil signifiant, comme en témoigne le rôle tenu par Ray Liotta. Ce dernier connaîtra une destinée aussi pathétique que tragique, dont le seule raison d'être semble le renoncement au noir romantisme scorsesien. À l'inverse, le rôle qui aurait dû être celui du parrain est tenu par l'archétype le plus contraire qui soit, à savoir Richard Jenkins, qui prête ici ses traits à un avocat, émissaire d'un nébuleux conseil d'administration. Qu'on se le dise, les classiques et les cadors n'ont qu'à bien se tenir, car ils n'ont pas leur place ici.

 

 

photo, Ray Liotta

 

L'esthétique du film saura heureusement se faire moins discursive que le script (un peu bavard il est vrai), et se “contenter“ d'enchaîner séquences et images élégantes, voire classieuses. Elles auront encore toujours dans l'idée de subvertir l'atmosphère que le spectateur est en droit d'attendre de tel ou tel passage obligé, mais leur réussite est ailleurs. À l'instar L'Assassinat de Jesse James... on demeure estomaqué par la propension de Dominik à toujours trouver où placer sa caméra, et de quelle manière conférer à son récit l'impact le plus puissant. Qu'il s'agisse de la vibration d'une portière, du travelling minimaliste accompagnant un cul-sec ou de l'insert hilarant sur la trogne d'un chihuhua apeuré, la mise en image du film est une mine de trouvailles aussi racées que cohérentes avec l'esprit de ce "ride" dépressif.

 

 

photo, Brad Pitt

 

Dépressif car Killing them softly est l'un des films consacrés à la crise économique les plus désespérés et définitifs qu'on ait vu depuis longtemps, bien qu'il ne soit pas le premier à appeler de ses vœux une démystification du rêve américain. Les plus optimistes verront dans la période choisie par le réalisateur le signe que Dominik considère l'Amérique PRÉ-Obama comme une terre de déréliction (les débats de second tour entre l'actuel président et le candidat républicain rythmant l'intégralité du métrage), les autres ne pourront réprimer un frisson, quand lors d'une tirade finale implacable, Pitt renvoie dos à dos ces deux visions, faces opposées de la même pièce contrefaite.

 

Qu'on ne s'y trompe pas, le monde de Cogan n'est pas celui des gangsters et autres trafiquants, il n'a valeur que d'allégorie de l'entreprise occidentale moyenne. Celui qui jadis en eut été le maître incontesté s'est transformé en exécuteur des basses œuvres, commandité par un anonyme conseil d'administration, pour liquider le petit personnel. America is not a country, it's a business.

 

 

Affiche française

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