Critique : Bullhead

Aude Boutillon | 21 février 2012
Aude Boutillon | 21 février 2012

Il est désormais devenu impossible, depuis quelques années, de douter de l'incroyable vigueur du cinéma belge, à qui l'on doit des Koen Mortier, Bruno Dumont et autres Fabrice du Welz redorant le blason d'un pays trop souvent oublié sur la scène cinématographique mondiale. Avec son premier long-métrage, Michaël R. Roskam s'inscrit indubitablement dans la lignée de ses prédécesseurs, voire frappe encore plus fort, en livrant un étrange et fascinant objet à la puissance émotionnelle universelle (là où les autres s'aventuraient sur des terrains plus référencés ou déviants), soutenu par une maîtrise technique qui force le respect.

Bullhead, c'est avant tout le portrait d'un homme brisé, abîmé par la vie dans ses plus tendres années, compensant les séquelles d'un drame par une absorption massive de testostérone. A ce titre, et sans le moindre doute, le film de Michaël R. Roskam ne pourrait prétendre à son excellence sans la partition déchirante d'un Matthias Schoenaerts (déjà vu dans le très bon Left Bank) animal, véritable brute épaisse à la maturité affective d'un petit garçon perdu dans un monde qu'il ne comprend pas, et qui le lui rend bien. C'est la mise en abîme de ce caractère bestial qui constituera l'essence de Bullhead, conférant ainsi tout son sens à son titre. Jacky Vanmarsenille, l'œil absent et le muscle tendu, effraie autant qu'il fascine, et redéfinit purement et simplement la notion de virilité, à mesure qu'il halète, grogne, et transperce l'air d'uppercuts déchaînés, sous l'œil attentif et patient de la caméra. Dès lors, Michaël R. Roskam se joue des acquis et des présupposés, redessine et interroge les frontières du bien et du mal, et filme avec la plus grande des compassions les déboires d'un être bestial soumis à ses pulsions.

La force de Bullhead réside également dans sa construction. Après un monologue introductif d'une noirceur écrasante, le film de Roskam débute en effet comme un polar agraire, certes inhabituel dans son thème mais classique en son fond - l'étau se resserre autour d'un groupe de trafiquants d'hormones flamands, après le meurtre d'un policier. Ce n'est qu'à mi-parcours qu'est révélé, à l'occasion d'un flashback d'une force émotionnelle viscérale, le traumatisme vécu par le jeune Jacky, qui ne peut qu'amener le spectateur à reconsidérer ce qu'il avait vu jusqu'à présent, et à appréhender ce qui l'attend d'un œil nouveau. Les non-dits prennent alors tout leur sens, de même que les affrontements muets entre Jacky et son ami d'enfance, sommet de lâcheté empreint de bonnes intentions.  C'est également cette révélation qui fera définitivement basculer Bullhead dans le registre du drame humain, où l'intrigue policière, bien loin d'être reléguée au second plan comme en argueront certains, contribuera à consolider l'empathie pour Jacky, créature tragique prise dans des filets qui se resserrent inexorablement. Michaël R. Roskam a en effet souhaité faire de son personnage principal le point de convergence de son histoire, centre dévastateur autour duquel gravite une foisonnante galerie de protagonistes hauts en couleur et d'une importance cruciale, dans leur extrême banalité ; l'unique personnage féminin conséquent, vendeuse de parfum pipelette et passe-partout, se pose ainsi en potentielle bouée de sauvetage de cet homme perdu et sans repères. 

Force est de constater que Michaël R. Roskam accorde à son personnage principal toute la force de son récit, et offre à son interprète la responsabilité de porter son film sur ses très larges épaules. Si Bullhead permet ainsi la révélation d'un acteur d'exception, il signe aussi un premier essai en forme de remarquable maîtrise technique, où le drame, l'intrigue et l'esthétique sont menés de main de maître par un surdoué de la mise en scène dont il nous tarde de voir le prochain méfait.

 

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