Albert Nobbs : Critique

Laure Beaudonnet | 18 janvier 2012
Laure Beaudonnet | 18 janvier 2012

Glenn Close est hantée depuis trente ans par le spectre d'Albert Nobbs, une femme troublante déguisée en majordome pour survivre dans l'Irlande du XIXème siècle. L'histoire n'a jamais lâché l'esprit de la comédienne. En 1982, elle s'éprend du personnage sur les planches, incarnant cet être fragile dans une mise en scène signée Simone Benmussa. Marquée par ce rôle, elle se réapproprie la nouvelle de George Moore pour en faire l'adaptation, multipliant les casquettes (scénariste, productrice, interprète). Comme un chef d'orchestre, elle place Rodrigo Garcia, rencontré sur le tournage de Ce que je sais d'elle... d'un simple regard, derrière la caméra et libère une vision personnelle de l'histoire. 

 

 

Albert Nobbs est un personnage fascinant, étouffé par la crainte et emprisonné par son mensonge. Il est si riche sur le plan fictionnel qu'il aspire la substance des autres acteurs du récit, les abandonnant à leur terrible platitude. Glenn Close traduit une fragilité troublante de son regard azuré, un mélange de sincérité et d'asservissement. Aussi méconnaissable qu'une Nicole Kidman dans The Hours, on se surprend à oublier sa féminité derrière le masque du mensonge. Insaisissable, amphigourique, Albert Nobbs est surtout inachevé en tant qu'individu. Il a gardé les vieux réflexes de l'enfance, témoignant d'une inquiétante naïveté. Fait-il la distinction entre les sexes ? A-t-il conscience de ses appétences sexuelles ? La question plane car il semble surtout guidé par les conventions.

 

 

Noyau de l'intrigue, Albert "Glenn Close" Nobbs irradie l'écran et accentue l'insoutenable médiocrité de ses prédateurs. Si le film repose sur un personnage solide, le classicisme de la mise en scène est à la mesure de son intrigue. Le spectateur a toujours un coup d'avance sur les événements. Un défaut qui désert l'efficacité du propos, essoufflant le rythme de la narration. La fraîcheur du héros est peu à peu aspirée dans les limbes du perfectionnisme.

 

Résumé

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commentaires
Flo
16/11/2023 à 16:41

Pas Nobel, pas Albert Londres, et puis on est à Dublin. ;-)
Glenn Close revient à un personnage qu’elle a incarné à ses débuts d’actrice au théâtre, fonctionnant à l’opposé des rôles ultérieurs qui lui apporteront la renommée au cinéma… quoique, pas tant que ça.
Puisque ce mr Nobbs a beau être d’une sobriété maladive, il contient ainsi en lui la même tendance à l’exagération presque hystérique des rôles cultes de l’actrice chez Stephen Frears, Adrian Lyne etc…
Le réalisateur Rodrigo García s’acquitte de la tâche de transposer 30 ans plus tard cette pièce de théâtre en un film lent et doux, comme à son habitude – aux comédiens de faire le gros du boulot. Malheureusement l’intégralité du casting se contente de jouer une partition très usitée (tenancière obséquieuse, jeune fille un peu rebelle, jeune séducteur irresponsable)… Certain d’entre eux sont même là pour gonfler le casting de ce film indépendant en y apportant une touche irlandaise (Jonathan Rhys-Meyers ne fait que passer, Brendan Gleeson y est à peine développé), et on y entraperçoit même Phoebe Waller-Bridge et Emerald Fennell.

Mais de toute façon, on reste focalisé sur seulement deux actrices : Close donc. Et même très « close » puisque le cinéma se permet ce que le théâtre ne peut pas… faire des gros plans. En l’occurrence sur le visage de cire de ce personnage de femme traverstie dans l’Irlande victorienne, à la fois pour fuir un viol traumatisant et pour avoir un travail qui lui permette de mener une vie tranquille. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas vraiment un Tootsie à l’envers puisque cette identité de Albert Nobbs n’est même pas un homme, selon les normes connues. Rien qu’un valet, au service de ses maîtres sans poser de questions, sans faire un quelconque étalage de virilité, tout discret (pratique dans un hôtel où passe la Haute Société). Et surtout un pantin, aux mouvements raidis par les gaines qui enserrent et affaiblissent son corps, à la face figée, de peur de montrer la moindre once de féminité – l’inverse alors d’un Buster Keaton des grands jours, celui dont le corps de pantin était vecteur d’action, et dont le visage impassible ne l’empêchait pas de séduire et se marier à la fin. Disons qu’on n’est pas loin du Keaton de « Boulevard du crépuscule »… c’est la même allure de Clown Blanc mais en mode tragi-comique et funèbre.

Un pathétisme chez ce « phénomène de foire » (dixit quelqu’un qui ne connait même pas son genre d’origine), qui menace le film de s’aligner sur le même ton s’il n’était pas régulièrement galvanisé par les apparitions de Janet McTeer, l’équivalent du clown Auguste. Travestie virile amusante qui symbolise tout ce que Nobbs a raté, notamment en s’interdisant d’aimer et d’être aimé, tout à ses projets de magasin de Tabac et de retraite dans 15 ans avec magot planqué sous les planches (dès qu’on voit tout ça, on sait que ça ne peut que mal finir).
Alors le personnage fascinant (mais de façon optimiste) de Hubert/McTeer, capable comme l’actrice d’exprimer aussi bien la masculinité la plus goguenarde et la féminité la plus voluptueuse, se voit comme une antithèse qui apporte une légère lueur d’espoir dans cette histoire plutôt amère.

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