Critique : Elles

Laure Beaudonnet | 30 janvier 2012
Laure Beaudonnet | 30 janvier 2012

Malgorzata Szumowska a fait le choix du réalisme pour parler de la prostitution estudiantine. Anne (Juliette Binoche), journaliste pour le magazine Elle, investit le sujet du point de vue de deux étudiantes, l'une française, l'autre d'origine polonaise. A l'aide de cette bourgeoise, propre sous tous rapports, le film s'attaque à un tabou social et brise certaines idées préconçues. Ainsi se confrontent deux mondes, celui de la gauche caviar, faussement féministe et celui d'une jeunesse précaire à la sexualité débridée. L'usage d'une journaliste offre le luxe d'aborder les questions interdites et de palper la complexité de cette frange de la jeunesse féminine. Les langues se délient pudiquement, laissant poindre une intimité insolente, parfois choquante, mais toujours illustrée.

Charlotte et Alicja sont-elles désespérées ? Aiment-elles le sexe au point d'en faire un moyen ou sont-elles victimes de leur condition ? Loin des trottoirs de Pigalle et des abords du bois de Boulogne, elles livrent les dessous d'une activité indécente ultra-rémunératrice qu'elles dissimulent à leur proche. Un quotidien teinté de soumission, de jeux, parfois de fantasmes salaces. Sans doute valorisant d'un certain point de vue, sacralisées par ces hommes mûrs. Une activité à la lisière du sociale, ramenant à certaines vertus de la catin, thérapeute des âmes perdues. A l'écoute de leurs clients, parfois plus esseulés qu'excités. Dans cette ambiance où se côtoient transgression et normalité, la frontière est mince entre le bien et le mal. Anne ouvre la porte d'une sphère qu'elle conjuguait spontanément avec régression et néo-esclavage. Mais au fil de ses conversations, elle doit admettre que ces filles sont maîtresses des règles du jeu.

Le propos n'est ni politisé, ni édulcoré. Ces entretiens croisés, ponctués de scènes crues, laissent des questions en suspens, des incompréhensions, des zones d'ombre parfois frustrantes. Car si la journaliste s'empare de son sujet, elle est incapable d'en percer toute la profondeur, enfermée dans un carcan de pensées manichéennes. Son personnage s'effondre peu à peu, jetant un regard amer sur sa vie bien rangée. Le film dépeint trois destins de femmes profondément dignes, car la question de l'intégrité - physique et morale - est primordiale dans un monde où la chair est monnayée. Les séquences de discussions avec Alicja, fougueuse et séductrice, irradient un film qui ne tombe jamais dans le misérabilisme terne. Et même si Elles n'est pas toujours adroit, flottant par instants, il aborde avec fraîcheur un sujet particulièrement épineux.

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