Critique : L'Entraîneuse fatale

Nicolas Thys | 12 juillet 2012
Nicolas Thys | 12 juillet 2012
Lorsqu'il réalise Manpower en 1941, Raoul Walsh a plus de 25 ans de métier derrière lui et c'est un metteur en scène prolifique qui a déjà su s'attaquer à de nombreux genres avec succès. Il a plusieurs chef-d'oeuvres à son actif comme They drive by night sorti l'année précédente. Les deux films ont beaucoup en commun sans jamais être identiques. Déjà ce sont deux drames sociaux sur fond d'amitié virile avec des protagonistes issus de la classe ouvrière, des électriciens pour le premier, des livreurs de marchandises pour le second. De plus, à chaque fois une femme s'impose dans le récit et elle brise la continuité de l'histoire, Marlene Dietrich ici et Ida Lupino dans le deuxième. Toutefois leur rôle est différent, deux femmes fatales dans les extrêmes opposés : Lupino jusqu'au bout de sa folie et de son désespoir devient un monstre, Dietrich joue le contre-emploi jusqu'à devenir une femme au foyer avec cette image étrange, risible et troublante, d'une vamp cigarette à la bouche vêtue d'un tablier de ménagère.

Autres similitudes : la nuit comme lieu du danger et de la peur, les blessures qui parcourent le film, les seconds rôles qu'on revoit comme une équipe indétrônable, certains paysages qui semblent tout droit tirés de villes provinciales réalistes. Et les acteurs principaux. George Raft, acteur aux traits bogartiens - il jouera d'ailleurs plusieurs fois à ses côtés - qui sera éclipsé par Humphrey les années suivantes. Si les deux faisaient la paire pour They drive by night, c'est avec Edward G. Robinson et son physique rond et non plus longiligne qu'on retrouve Raft dans Manpower. Si Bogart était pressenti pour le rôle, on n'ose imaginer qu'il eut pu le tenir comme Robinson, taillé sur mesure et que la caméra de Walsh modèle habilement. Cogneur abusif, c'est surtout un séducteur fatigué et fatiguant, poussif, l'éternel amoureux dont nul ne veut. Et comparé à l'impassibilité charmeuse de Bogart, qui deviendra le tombeur de ces dames un ou deux ans après avec Casablanca et Le Faucon maltais, le faciès patibulaire, désespéré et tout en grimaces de Robinson ne pouvait pas mieux tomber.

Le trio amoureux de Manpower et la situation de départ étant définis, il ne restait plus à Walsh qu'à mettre l'ensemble en images. Et si la forme est souvent classique avec un découpage clair et une ligne directrice efficace, les moments de grâce parcourent le film. Le montage de la séquence initiale et des scènes d'extérieur est excellent, apportant un rythme soutenu et haletant pour décrire l'urgence des situations et la dangerosité à laquelle les hommes sont confrontés. Et surtout, les jeux d'ombre et de lumière du directeur de la photographie, Ernest Haller, plus célèbre pour son travail sur Autant en emporte le vent ou Mildred Pierce, font merveille. Les intempéries baignent dans un climat de peur et d'horreur où l'angoisse se dissémine un peu partout.

Mais surtout, ils semblent refléter les états d'âme généraux des protagonistes, impuissants dans leurs actions face à une nature dominatrice, plombés de toute part et agissants plus par automatisme que par réflexion. Dietrich n'est pas maîtresse de ses sentiments, comme Robinson de ses émotions et Raft agit d'abord par instinct et préjugés autant dans ses rapports amicaux avec Robinson que vis à vis de Dietrich. Walsh est important un cinéaste de l'instant et du temps présent et son film, avec une adresse incroyable et une grandeur implacable, parvient à faire oublier le convenu du récit pour nous confronter à des relations de force improbables où puissance et impuissance s'affrontent jusqu'à l'inéluctable.

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