Critique : La Dame de trèfle

Thomas Messias | 12 janvier 2010
Thomas Messias | 12 janvier 2010

Discrètement mais sûrement, Jérôme Bonnell s'est fait une place dans le paysage cinématographique français. Son quatrième long, La dame de trèfle, lui permet d'explorer pour la première fois les frontières du film noir tout en continuant à creuser son propre univers : petits villages forçant les rencontres, cellule familiale vue comme le point névralgique de l'existence, personnages fragiles et souvent délicats. Bonnell a cette façon, désormais reconnaissable, de dresser un portrait saisissant en un nombre minimum de coups de pinceaux, d'en dire le moins possible pour fasciner au mieux. Et ce film-là n'échappe pas à la règle.


C'est l'histoire d'un recel qui mène à un crime parfaitement évitable mais hélas bien réel. Nul doute que dans une grande ville, son auteur malheureux - Malik Zidi, plein de grâce et d'inquiétude - aurait pu se terrer dans l'ombre et compter sur le classement du dossier. Mais les petites communautés sont des pièges où tout se dit et tout se sait, et c'est là que réside la beauté première du film de Bonnell : faire de la place du village, de la boutique du fleuriste, du bistrot du coin autant de zones à risques pour qui souhaite ne pas se faire remarquer et rester impuni. C'est dans ce carcan intime et chaleureux que le pauvre Aurélien est contraint de continuer à évoluer, pour faire comme si. L'opposition entre sa fébrilité et l'assurance mal contenue de sa chère soeur est magnifiquement décrite.


La soeur en question se nomme Argine, du nom de la dame de trèfle du jeu de cartes. Argine vit avec son frère, se laisse un peu vivre, apprend l'anglais (un peu), picole (beaucoup). Argine minaude, danse, crie, se laisse aller et offre un contrepoint étonnant à la détresse de son frère. Jusqu'à ce que la réalité les rattrape, évidemment. Somptueux personnage, composé avec folie et fougue par l'immense Florence Loiret-Caille. Ne mâchons pas nos mots : en plus d'être absolument craquante, cette fille au naturel incroyable est l'une des plus grandes actrices de son temps. Directeur d'acteurs patient et à l'écoute, maîtrisant qui plus est des clairs-obscurs à tomber, Bonnell lui permet de se déployer comme jamais, et de façon d'autant plus irréelle qu'Argine est finalement assez peu connectée à l'intrigue policière qui concerne son frère.


Mais il y a un mais, ou plutôt deux : s'il est une fine lame dans plus d'un registre, Jérôme Bonnell a encore des progrès à faire niveau mise en scène. Dans La dame de trèfle, il y a régulièrement des plans d'une maladresse évidente qui viennent casser le rythme ou la magie de l'instant. Lorsqu'on dispose d'interprètes d'une telle classe et d'une lumière aussi splendide, il est tellement dommage de rompre le charme en n'étant pas tout à fait à la hauteur... Autre réserve, qui survient in extremis : à la fin du film, le sort de certains personnages est réglé quand celui d'autres reste ouvert. Jusqu'à ce qu'un carton vienne, le temps de trois phrases platissimes, sceller le destin des héros... On a envie d'oublier illico ces quelques secondes de trop et de laisser à ces gens jusque là si libres la possibilité d'exister au-delà du générique.

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