Critique : La Dame de trèfle
Discrètement mais sûrement, Jérôme Bonnell s'est fait une place dans le paysage cinématographique français. Son quatrième long, La dame de trèfle, lui permet d'explorer pour la première fois les frontières du film noir tout en continuant à creuser son propre univers : petits villages forçant les rencontres, cellule familiale vue comme le point névralgique de l'existence, personnages fragiles et souvent délicats. Bonnell a cette façon, désormais reconnaissable, de dresser un portrait saisissant en un nombre minimum de coups de pinceaux, d'en dire le moins possible pour fasciner au mieux. Et ce film-là n'échappe pas à la règle.
C'est l'histoire d'un recel qui mène à un crime parfaitement
évitable mais hélas bien réel. Nul doute que dans une grande ville, son
auteur malheureux - Malik Zidi, plein de grâce et d'inquiétude - aurait
pu se terrer dans l'ombre et compter sur le classement du dossier. Mais
les petites communautés sont des pièges où tout se dit et tout se sait,
et c'est là que réside la beauté première du film de Bonnell : faire de
la place du village, de la boutique du fleuriste, du bistrot du coin
autant de zones à risques pour qui souhaite ne pas se faire remarquer
et rester impuni. C'est dans ce carcan intime et chaleureux que le
pauvre Aurélien est contraint de continuer à évoluer, pour faire comme
si. L'opposition entre sa fébrilité et l'assurance mal contenue de sa
chère soeur est magnifiquement décrite.
La soeur en question se
nomme Argine, du nom de la dame de trèfle du jeu de cartes. Argine vit
avec son frère, se laisse un peu vivre, apprend l'anglais (un peu),
picole (beaucoup). Argine minaude, danse, crie, se laisse aller et
offre un contrepoint étonnant à la détresse de son frère. Jusqu'à ce
que la réalité les rattrape, évidemment. Somptueux personnage, composé
avec folie et fougue par l'immense Florence Loiret-Caille. Ne mâchons
pas nos mots : en plus d'être absolument craquante, cette fille au
naturel incroyable est l'une des plus grandes actrices de son temps.
Directeur d'acteurs patient et à l'écoute, maîtrisant qui plus est des
clairs-obscurs à tomber, Bonnell lui permet de se déployer comme
jamais, et de façon d'autant plus irréelle qu'Argine est finalement
assez peu connectée à l'intrigue policière qui concerne son frère.
Mais
il y a un mais, ou plutôt deux : s'il est une fine lame dans plus d'un
registre, Jérôme Bonnell a encore des progrès à faire niveau mise en
scène. Dans La dame de trèfle,
il y a régulièrement des plans d'une maladresse évidente qui viennent
casser le rythme ou la magie de l'instant. Lorsqu'on dispose
d'interprètes d'une telle classe et d'une lumière aussi splendide, il
est tellement dommage de rompre le charme en n'étant pas tout à fait à
la hauteur... Autre réserve, qui survient in extremis : à la fin du
film, le sort de certains personnages est réglé quand celui d'autres
reste ouvert. Jusqu'à ce qu'un carton vienne, le temps de trois phrases
platissimes, sceller le destin des héros... On a envie d'oublier illico
ces quelques secondes de trop et de laisser à ces gens jusque là si
libres la possibilité d'exister au-delà du générique.
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