Critique : Looking for Eric

Thomas Messias | 11 mai 2009
Thomas Messias | 11 mai 2009

En 1997, Éric Cantona quittait les pelouses et déchirait à jamais le coeur de millions de footophiles. Partageant depuis son temps entre le beach soccer et la comédie (prestations souvent savoureuses dans des films souvent nuls), Canto a cette fois trouvé chaussure à son pied grâce à Ken Loach et Paul Laverty, qui lui offrent le rôle de sa vie : lui-même. Dans Looking for Eric, Cantona est Cantona, monstre de talent et de charisme qui apparaît à un autre Eric, principalement les soirs de fumette. La vie d'Eric est moins prestigieuse : deux mariages ratés, deux beaux-fils ingrats qui le prennent pour leur domestique, une fatigue chronique... Le footballeur va alors lui servir de conscience, de coach, d'inspiration. Pour reconquérir sa dignité perdue, se rapprocher des siens et leur éviter des ennuis. Ça ne ressemble pas à du Ken Loach. Pourtant c'en est, et pas du frelaté. Derrière l'argument fantastique (ou onirique) (ou psychiatrique) (on s'en fout complètement) se cache un pur film loachien, évidemment plus dans le ton de My name is Joe que de Raining stones. Plus drôle que d'habitude, mais pas forcément plus léger.


Il semblerait que tous les dix ans, Loach ait besoin d'ouvrir les vannes et de relâcher toute la pression accumulée au fil des films. Bien que traitant d'évènements souvent sombres, le film semble naître d'une envie d'optimisme. À moins que ce soit d'un besoin d'optimisme. Looking for Eric ménage son lot de scènes jubilatoires et positives, mais ressemble au final à ces grands dépressifs qui alignent les tapes dans le dos et les grands sourires pour tenter de se convaincre qu'ils vont mieux. Ça marche pendant un temps, et puis les illusions s'en vont. Cela justifie totalement le traitement naïf et excessivement positif proposé par le scénario, qui s'emploie à rester drôle jusqu'au bout. Et qui y réussit pleinement. La dernière grande scène du film, que l'on pourra appeler la scène des masques, est à la fois drôle, réconfortante et surréaliste, mais pas dépourvue de violence. C'est la preuve selon Ken Loach que la bonne humeur et l'entraide sont de formidables atouts, mais que la lutte peut difficilement se passer d'actes destructeurs. Une scène qui tend à synthétiser à elle seule le cinéma de ce grand monsieur, dont la thématique favorite a toujours été l'observation de l'homme dans sa réaction face à l'adversité et à l'oppression.


Mais puisque comédie il y a, parlons donc comédie : les scènes où Eric et Éric se retrouvent face à face sont de purs moments de bonheur, qui atteignent l'air de rien des sommets de profondeur. Quand l'un se pose mille questions sur sa vie en lambeaux, l'autre lui répond par des aphorismes de son cru, d'autant plus délicieux qu'ils sont débités de façon sentencieuse par un Cantona se régalant de ce petit jeu d'auto-dérision. Les deux hommes font connaissance, les rapports s'affinent, la complicité grandit, et l'esprit est toujours là, transcendé par des dialogues d'une exquise justesse. Et par une interprétation juste géniale : face à King Eric, l'inconnu Steve Evets est une vraie révélation, sans nul doute l'une des meilleures trouvailles de Loach, car aussi candide, fragile et finalement déterminé que peut l'être le film. C'est peut-être un Ken Loach mineur (et encore), mais ça reste une oeuvre pleine et admirable, deux heures de vrai beau cinéma, à conseiller aux fans de foot comme aux autres, aux femmes comme aux hommes, aux loachiens convaincus comme aux béotiens. Ooh! Aah! Cantona!

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