Critique : Be bad !

La Rédaction | 14 septembre 2009
La Rédaction | 14 septembre 2009
De tomber amoureux de la jolie Sheeni Saunders lors d'un séjour à Ukiah - la voix éprise et sincère retentit. Elle se fait entendre. Mais si l'on vous entend, cela ne veut pas dire nécessairement que l'on vous écoute. D'autant plus lorsqu'on a quatorze ans, un premier béguin et qu'il faut regagner, mal chaperonné d'une mère nympho et d'un zig poltron, son pavillon d'Oakland. Dès lors, d'amour et d'érection, Nick Twist n'aura plus qu'une idée en tête : rejoindre sa dulcinée. Car un béjaune peut-il se passer d'une découverte sentimentale - à gage d'érotisme - sitôt assimilée et intégrée ?

Dans son combat, l'adolescent apporte sa vérité, la vérité ou la réalité de sa personne, une réalité décentrée, inattendue, pour lui aussi inattendue, une révélation : il crée François, un double, un conseiller, un alibi, un John Dillinger façon Belmondo - le Belmondo d'A Bout de Souffle flanqué d'entre les murs à fleurs de la jouvencelle. La réaction générale (famille et bourgade) est de la refuser : pourquoi être dérangé par le gringalet ? Pourquoi faire un effort ? Le jeune voyou lui-même est étonné du retentissement qu'il peut désormais avoir. Il se sent heureux bien sûr. Il est surtout inquiet. Il lui semble qu'il n'a plus de points de repère. Parfois, il lui semble en avoir. Ils lui semblent peu stables, changeants, du sac à dos collé serré à la désinvolture de l'ectoplasme. De toute évidence, il est dans la contradiction. Est-ce parce qu'il ne sait pas encore mettre de l'ordre dans cette contradiction ? Faut-il qu'il agisse sous les conseils d'un hors-la-loi providentiel ou ne faut-il pas, qu'il vive ou qu'il ne vive pas? Qu'est-ce que veut dire être soi-même ? Ce soi-même, est-il relatif, absolu ? Est-il un carrefour où des forces diverses s'unissent et s'affrontent ? Doit-il s'ouvrir à la multiplication des individuations possibles ?

Malgré les doutes, la présence nouvelle et encombrante s'introduit en contrebande dans l'univers étroit du jeune homme et s'impose : Nick / François choisit de quitter ses habitudes, sa sédentarité résidentielle, bataille et quand il le fait, le fait avec véhémence. Aussi le film progresse à la manière du roman courtois : le chevalier transi, ici un puceau californien, affronte les obstacles pour approfondir la force de son amour et conquérir sa dame, cloitrée dans un donjon de caravane familiale. De voiture carbonisée en voiture coulée, de l'à-poil au déguisement, Nick / François défie les conformismes d'une bourgeoisie pétrifiée et asséchée, quitte à essuyer les bancs de la Juvenile Court. Et de nous rappeler  Buster Keaton en prise avec le même corps  trop maigre qu'il n'hésite pas à dupliquer (Frigo Fregoli),  travestir (Sherlock Junior) et précipiter sur bivoie (Cops).

La rébellion de Nick, comme la plupart des événements révolutionnaires, est peut-être un retour, une restitution favorisant la reconstitution d'une Nouvelle Vague, en lui-même évidemment (l'Antoine Doinel d'Antoine et Colette) et à l'échelle du film : transaction immanente (au sein d'un même photogramme) et progressive (d'un photogramme à l'autre) du poétique au prosaïque, du quotidien à l'insolite. Par exemple, tandis que la ferveur du novice se cristallise en un boy meets girl  tout prêt à l'extase, la proximité des sanitaires ébranle la lévitation promise. Et lorsque Nick enduit de crème solaire les outrances dénudées de sa belle, son sexe durci le condamne à s'étendre sur l'arête. Le film construit sa propre légalité, libère les motifs et les formes (les séquences animées approfondissent le tempérament burlesque de la mise en scène et des acteurs : Cera, Buscemi, Galifianakis) rêvant à sa propre mutation.

 

Maroussia Dubreuil

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