Le Vent se lève : critique palmée

Nicolas Thys | 13 mai 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Nicolas Thys | 13 mai 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Depuis ses débuts, dans les années 60, le cinéma de Ken Loach repose essentiellement sur le conflit : conflits sociaux et familiaux contre la pauvreté, l'injustice ou la domination dans Raining stones ou Kes par exemple et conflits plus directement violents et guerriers dans Land and Freedom sur la guerre civile espagnole ou Carla's song sur le Nicaragua. Le poignant et très réussi Le Vent se lève se situe plutôt dans cette deuxième catégorie même si les frontières entre ces deux types de conflits restent assez poreuses.

Dans ce drame poignant Loach s'attache cette fois à un sujet sensible en Grande Bretagne : l'Irlande à un moment clé de son histoire entre 1920 et 1922 et à son combat pour une Indépendance qu'elle n'obtiendra pas. À cette époque, les Black and Tans, des troupes anglaises, sont envoyées en Irlande et se montrent particulièrement cruelles et sauvages envers un peuple innocent. Certaines personnes vont alors se regrouper et lutter contre les injustices.

L'un des intérêts du film réside dans un mélange intelligent entre fiction et document, entre métaphore et réalité, qui intervient dans le film et parvient à passionner. Si les faits généraux relatés : combat, injustices, pauvretés ont réellement existé, les deux héros du film sont quant à eux fictifs mais symbolisent parfaitement l'union et la scission qui ont pu exister à cette époque entre deux clans dans toute l'Irlande. Les deux meneurs auxquels va s'intéresser Ken Loach seront Damien et Teddy, deux frères dont les liens très forts finiront par être anéantis à l'occasion de la signature d'un traité de paix en 1921 qui va les opposer. Si, pour Damien, ce traité est une escroquerie qui va à l'encontre de ce pour quoi ils luttaient, pour Teddy, il est un instrument permettant plus tard une réunification des deux Irlande.

 

photo, Cillian Murphy

 

Si le cinéaste semble dans la première partie du film proche des irlandais, de ceux qui vivent dans la misère et l'injustice, la deuxième partie est plus subtile et nuancée. Sans véritable juger ni prendre part, il va tenter de comprendre les positions des deux hommes face au traité et finalement conclure à l'absurdité de cette guerre qui va une nouvelle fois virer à la tragédie. Plus largement cette opposition entre les deux hommes va symboliser la division entre les deux clans face au traité : les pro-IRA et ceux qui veulent la paix. Malgré tout la fautive pour Loach restera toujours l'Angleterre : c'est elle qui a provoquée cette guerre, cette dissension et cette rupture entre deux frères et c'est elle la plus cruelle, génitrice du malheur d'un peuple.

Le seul défaut majeur du film réside peut-être dans la méconnaissance du sujet pour les non-initiés, ceux qui ne connaissent pas l'histoire de l'Irlande et de cette période et que Loach semble tenir pour acquise et notamment en ce qui concerne la signature d'une trêve. Malgré tout le scénario tient parfaitement la route, les motivations de chaque camp se fait clairement ressentir et même sans être historien amateur, il est tout à fait possible de suivre le récit et d'être pris dans les événements qui se déroulent à l'écran. Peut-être serait-il utile de voir Michael Collins de Neil Jordan auparavant sur les mêmes évènements pour avoir un aperçu historique plus complet. À noter aussi que Loach a su éviter le piège de la romance mièvre et désuète.

 

photo, Padraic Delaney, Cillian Murphy

 

Mais l'intérêt de Le Vent se lève n'est pas simplement politique ou scénaristique. Ce film place véritablement Ken Loach au rang des grands metteurs en scène de notre temps. Si comme souvent le jeu des comédiens tombe juste : ils n'en font ni trop ni pas assez, ce qui frappe davantage encore c'est l'utilisation prodigieuses des couleurs, des lumières et le rendu de la matière qui sont complètement au service de l'action et des acteurs. Face au vert naturel et mis en avant de manière éloquente des plaines d'Irlande, paysage idyllique sur lequel se déploient pourtant des hommes armés prêts à tuer et qui devient une terre de misère à fuir, intègrant de manière tout à fait adéquate le discours du réalisateur sur l'horreur de la guerre et la bêtise des hommes, ce sont toutes les nuances de blancs, de gris et de noir qui s'offrent au spectateur. Le noir de l'enfermement, du repli sur soi, des geôles morbides, le blanc du brouillard duquel sortent les comédiens et qui semblent ôter toute visibilité et renforcer l'aspect cadavérique d'une nature qui se refuse à laisser faire ces actes barbares sans pouvoir réagir.

Résumé

On a souvent associé Ken Loach à Mike Leigh et à toute une tendance du cinéma britannique, quasi néo-réaliste par moments, qui a tendance à faire du social sa pierre de touche. On pense à Stephen Frears ou même à des comédies sur fond de psychodrame comme Full Monty, les Virtuoses ou Billy Elliot par exemple. Mais parmi les représentants de ce mouvement cinématographique britannique, Ken Loach a su sortir du lot et trouver son style. Et quoi qu'en disent certaines mauvaises langues, sa palme Cannoise est amplement méritée.

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commentaires
titin083
14/05/2018 à 09:43

Vive le 7 em art ! Empathie ? mci Ken

Papet
14/05/2018 à 09:12

Un fiml avec des acteurs qui joue comme le plus naturellement possible et qui nous eneut au maximum

Eddie Felson
14/05/2018 à 06:58

Je l’ai revu hier soir & plussoi les critiques ci-dessus : très grand film.

Gaspard
13/05/2018 à 19:20

D'une beauté froide sans être esthétisante avec des acteurs au diapason, permettant de percevoir les nuances d'une époque et le sort des oppresses par le prisme d'une tragédie antique, du Ken Loach grand cru sans la tendance au misérabilisme qui caractérise parfois ses films les moins flatteurs (même si la plupart restent poignants). Alors obtenir une Palme d'Or pour son film somme, a l'unanimité du jury et de la main d'un des plus grands cinéastes contemporains, cela rend grâce à Cannes de savoir reconnaître un grand artiste lorsqu'il donne le meilleur de son art! Une des plus belles Palme des 15 dernières années!

Gemma
13/05/2018 à 17:18

Très belle critique. Très beau film très bon réalisateur.

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