Critique : Frenzy

Johan Wyckaert | 12 novembre 2012
Johan Wyckaert | 12 novembre 2012

Frenzy, l'un des derniers films d'Hitchcock, adapté du roman d'Arthur La Bern, est aussi celui du retour sur ses terres anglaises après de nombreuses années passées à Hollywood. Point de Sean Connery ou Grace Kelly ici, mais des acteurs et des personnages au comportement et au physique des plus banals, au service d'un film à l'accent britannique prononcé : pas uniquement dans son introduction, un long plan aérien de Londres, mais dans sa majeure partie, car le film fut filmé dans le quartier de Covent Garden, où Hitchcock passa son enfance. Si les deux films se situent dans le même quartier, Frenzy n'a pourtant rien à voir avec le My fair lady de George Cukor sorti quelques années plus tôt.

Le film fut tourné au sein même de ce vieux marché de fruits et légumes, véritable jardin d'Eden très peuplé et rassurant, cachant pourtant un assassin. Les scènes d'intérieur furent, elles, filmées dans les célèbres studios de Pinewood. Le cinéaste revient au genre policier qui lui est familier, dans lequel Blaney, un loser total (Jon Finch) se retrouve accusé à tort d'un meurtre perpétré par un certain « tueur à la cravate ». Frenzy lui permet de filmer des rues qu'il a bien connues, d'évoquer le célèbre Jack l'éventreur dès la première scène, qui trouve ici un descendant, et de parsemer son film d'éléments récurrents dans sa filmographie : L'humour noir, l'ironie, le faux-coupable, le suspense...

Ainsi, dès le début du film, le personnage principal sera vu en train d'ajuster sa cravate, laissant supposer qu'il est le coupable, jouant avec les attentes du spectateur, tentant de le berner à la manière du véritable coupable. Si celui-ci sera découvert assez tôt, cela n'enlèvera rien au suspense, et surtout au rythme du film, frénétique (comme son nom l'indique), le montage d'Hitchcock laissant peu de temps au spectateur de respirer. Même si par instants, ce rythme fou semble s'arrêter, au détour de quelques scènes à la poésie macabre (cette caméra qui quitte lentement le lieu du crime, avec pudeur, laissant simplement deviner le reste), ou pastorale (la pomme croquée par un personnage juste avant de mourir).

Frenzy présente une galerie de personnages à part dans la filmographie d'Hitchcock. Si le personnage principal est un faux-coupable comme il les affectionne, il est un chômeur alcoolique et violent, sur qui le sort semble s'acharner. Les personnages féminins n'ont rien de sensuel (leur corps sera d'ailleurs dévoilé de manière crue, et souvent morbide), les victimes sont retrouvées gisant sans grâce aucune, une grimace grotesque sur le visage. Quant au tueur, il est à la fois lâche et ridicule, au charisme absent, ses actes motivés par la frustration sexuelle (ses envies étant d'ailleurs jugées, dénoncées par un personnage féminin). Une frustration qui semble d'ailleurs toucher la plupart de ses personnages, pas forcément sexuelle (le discours rageur de Blaney au restaurant).

Malgré son nihilisme (les personnages sont quasiment tous égoïstes, cupides ou lâches, ou tout ça à la fois), le film réserve de nombreuses scènes à l'humour tantôt léger (les petits plats de la femme du policier entre autres), tantôt noir (le discours sur la propreté de la Tamise interrompu par un corps flottant, la virée à l'arrière d'un camion du tueur)...

Avant-dernier film du cinéaste, Frenzy ne fait peut-être pas partie de ses chefs-d'œuvre, et n'est peut-être pas aussi reconnu que ses réalisations précédentes, il reste néanmoins une oeuvre à voir et à revoir, qui ne laisse aucun répit, et tout juste une étincelle d'espoir dans la nature humaine, perdue dans la grisaille et le froid londoniens.

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