Critique : Faust

C’est une vieille querelle de cinéphiles, de celles que l’on aime aborder entre connaisseurs, en étalant, avec ce qu’il faut de pédantisme et de provocation, des théories farfelues et pleines d’une subjectivité bienvenue. Quel est le plus beau des Murnau et, par là-même, quel est le plus beau film muet, et donc, le plus beau film de l’histoire du cinéma ? C’est, comme toujours, la faute à Truffaut et à son assertion sur le caractère intouchable de l’Aurore. De là, chacun voit midi à sa porte, préférant l’expressionnisme novateur de Nosferatu ou la richesse mythologique de Faust, mais les dissidents existent et ne jurent que par Tartuffe ou le Dernier des hommes.

Pour apporter, sans une once d’humilité, une pierre à l’édifice, avouons notre préférence pour le Faust de Murnau, œuvre dont la puissance visuelle, dans ce qu’elle a de naïveté, de théâtralité et de fulgurances purement cinématographiques, ne connaît que peu d’équivalents (chez Lang, Eisenstein, Cocteau, Tati, peut-être…). Le réalisateur conçoit ses images en termes de tableaux animés, aussi bien empruntés chez Rembrandt (la retraite de Faust âgé, voisine du « Philosophe en méditation ») que dans les excès romantiques ou moyenâgeux (de Bosch aux préraphaélites). Les effets spéciaux sont ceux de la scène ou quelques trucs connus depuis Méliès.  L’outrance est de rigueur, le symbolisme doit être évident, voire écrasant.

Faust, chez Murnau, doit autant à Goethe qu’à Dante, et surtout il doit tout à un désir démesuré d’art total, comme seuls les pionniers du cinéma osaient se le permettre. Il est question de Foi, en Dieu, évidemment, mais aussi en une technique, un langage. Murnau veut concilier récit exemplaire, quasi biblique, avec la beauté visuelle pure et même une certaine exigence de divertissement. Car Faust n’est pas un chef-d’œuvre taillé dans le marbre, c’est un spectacle ludique, plein de folie, et d’une vie bouillonnante, inventive et sublime.