Critique : Les Chaussons rouges

Sébastien de Sainte Croix | 13 avril 2006
Sébastien de Sainte Croix | 13 avril 2006

En brossant le portrait de cette jeune ballerine déchirée entre son amour pour un musicien et celui qu'elle porte à son art, le duo Powell Pressburger signait avec ces Chaussons rouges leur film le plus emblématique. La thématique du film pourrait se résumer à cette citation de Powell « …que rien ne compte que l'art, et que l'art vaut qu'on meurt pour lui ». Le duo, s'emparant d'un conte de H.C Andersen, tourne le dos à leurs précédents films prenant pour cadre la seconde Guerre Mondiale et livre un véritable manifeste surréaliste et onirique.

Réunissant une équipe cosmopolite (techniciens et acteurs de toutes nationalités), mêlant acteurs professionnels et danseurs de ballet (Moira Shearer en tête) le duo se lance alors sous le regard bienveillant des producteurs dans un film musical supposé rivaliser avec les comédies musicales hollywoodiennes de l'époque, tout en affirmant son caractère profondément européen. Le film va vite prendre une dimension sentimentale et personnelle pour Powell qui retrouve le sud de la France pour y tourner les extérieurs, là où il a fait ses débuts (aux studios de la Victorine comme assistant de Rex Ingram). Autre similitude, le personnage de Lemontov - incarnation de l'artiste exigeant et jusqu'au boutiste reflète pour une bonne part la personnalité des deux auteurs pour qui seul compte le film.

Voulant pousser plus en avant son goût pour l'expérimentation esthétique, Michael Powell se heurte d'abord à l'incompréhension de son directeur artistique dont il se sépare au profit d'un peintre allemand novice en la matière (il remportera l'Oscar) ; insatisfait de la musique du ballet il fait appel une seconde fois à Brian Easdale (compositeur émérite du Narcisse noir) pour remplacer le précédent compositeur au pied levé. Powell livre avec le ballet des Chaussons rouges une séquence incroyable de 17 minutes emmenant le spectateur au coeur du ballet sans jamais montrer le public (une méthode dont s'inspirera Scorsese pour « chorégraphier » les combats de Raging Bull). Expérimentant, jouant sur la vitesse de défilement de la pellicule pour créer des trucages inédits, osant des superpositions et des transparences complexes, Powell et son équipe livrent une séquence inédite de « pure cinéma », une expérience unique comme la qualifie Martin Scorsese et Jack Cardiff - le chef opérateur attitré de Powell et pressburger.

Troisième film pour le compte des « Archers », après Une question de vie ou de mort et Le Narcisse noir, Les Chaussons rouges sera le film du changement. Mécontent du résultat les producteurs de la Rank refusent de sortir le film en Angleterre craignant un échec cinglant. Ironiquement, c'est le succès du film Outre-atlantique qui forcera les distributeurs anglais à sortir le film. Le succès est au rendez-vous malgré l'avis des critiques qui lui reprochaient sa trop grande violence (sic !). Si le film connaitra par la suite les honneurs de la critique officielle et offrira à ses auteurs une reconnaissance tardive, Powell et Pressburger pressentent la fin officieuse des Archers - première véritable compagnie indépendante où ils ont pu s'épanouir en toute liberté pendant près de 10 ans. De fait si quelques chef d'oeuvres restent à venir (La Renarde et Les contes d'Hoffmann en 1950 et 1951), les temps ont changé. L'enthousiasme de l'après guerre a en effet disparu faisant place à une conception plus formatée de la production cinématographique.

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