Critique : Colonel Blimp

Sébastien de Sainte Croix | 13 avril 2006
Sébastien de Sainte Croix | 13 avril 2006

Suite au succès de 49ème parallèle et d'Un de nos avions n'est pas rentré, films qui participent à l'effort de guerre réalisés avec le concours du ministère de la guerre, Michael Powell, pour son film suivant, se tourne vers une bande dessinée satyrique « Colonel Blimp » où l'auteur - David Low - fustige le conservatisme de l'establishment militaire britannique sous les traits d'un colonel ventripotent et rigide. Emeric Pressburger se lance dans la rédaction du scénario : une histoire d'amitié entre un soldat britannique et son homologue allemand à travers les trois guerres qui les feront s'affronter. Rappelons que nous sommes en 1942 et que la guerre bat donc son plein.


Pressburger, véritable initiateur du projet, puise alors dans ses souvenirs personnels (d'origine hongroise, il a fui l'Allemagne nazi et trouvé refuge en Angleterre) et dresse un portrait sans complaisance de l'évolution des mentalités britanniques et germaniques depuis le début du siècle. À ce titre, Théo Schuldorff, le gradé allemand (Anton Walbrook, un habitué des productions Powell / Pressburger) se montre plus lucide et ouvert d'esprit que son homologue britannique, Clive Candy, obtu et borné qui ne parvient pas à se défaire d'une vision de l'Europe obsolète à l'heure du nazisme. Le bel esprit du début du siècle, la guerre « courtoise » n'existe plus, il faut changer d'optique si l'on veut comprendre cette nouvelle guerre et vaincre l'ennemi. C'est d'ailleurs sur un malentendu concernant la bonne manière d'aborder une opération entre un jeune soldat et le colonel Clive Candy que s'ouvre le film, long flash back couvrant plus de 30 ans d'amitié contrariée par les vissicitudes de la Guerre. Premier film de Powell en technicolor, Colonel Blimp est un véritable feu d'artifice d'inventions visuelles (le traitement du passage du temps, le travail sur les décors : une marque de fabrique pour le duo) où la mise en scène flamboyante et enlevée (le premier duel opposant les deux officiers) sait se faire plus discrète, se mettant au diapason du récit : la scène dans laquelle Théo Schuldorff demande l'asile politique après avoir fui le régime nazi, plan séquence sublime de simplicité, reste l'un des discours les plus émouvants et les plus justes sur la guerre et son absurdité …


Dans cette peinture d'un monde exclusivement masculin, les auteurs offrent à Deborah Kerr un triple rôle, celui de l'amour perdu et retrouvé à travers le temps par le colonel Blimp / Candy. Les trois visages de l'amour pour le colonel Candy se matérialisent sous les traits de Deborah Kerr à trois époques différentes. Via ces personnages Powell et Pressburger célèbrent l'esprit féminin, témoignent de l'évolution de la condition de la femme à travers ces décennies troublées et louent l'intelligence féminine plus prompte à anticiper et s'adapter à l'évolution des mentalités que les hommes. C'est par leurs regards que Blimp / Candy apparaît ridicule, idiot, borné autant que touchant et maladroit.


Le ministère britannique des armées tolèra difficilement cette amitié anachronique en 1942, qui plus est quand le personnage de l'allemand se révèle sympathique et plus subtil que l'Anglais. Churchill demanda d'ailleurs à lire le scénario…. Powell qui comptait sur Laurence Olivier pour incarner le personnage de Candy et espérait sa démobilisation pour l'occasion se vit opposer un refus catégorique. L'armée britannique mit une mauvaise volonté évidente à aider les cinéastes à boucler leur tournage. Argument qui sera repris sur les affiches du film : « le film que Churchill a voulu interdire » ce qui n'empêchera pas Colonel Blimp de remporter un franc succès.


Première production des Archers, société fondée par les deux compères, première co-réalisation pour Powell et Pressburger, le film sera malheureusement amputé d'une bonne demi-heure pour son exploitation outre-atlantique et mettra près de dix ans à atteindre les écrans français. Il faudra toute l'énergie de Scorsese et Coppola pour que le film soit enfin montré dans son intégralité en 1982 - soit près de 40 ans après sa sortie initiale.

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