Critique : Complot de famille

Johan Wyckaert | 14 novembre 2012
Johan Wyckaert | 14 novembre 2012

Complot de famille clôt non seulement le fameux coffret d'Universal regroupant 14 pépites d'Alfred Hitchcock, à présent disponible sur le marché, mais aussi l'incroyable filmographie du maître du suspense. Le cinéaste ne conclut pas avec un chef d'œuvre, mais avec un film rythmé, drôle, et plein de clins d'œil à ses précédents films devenus cultes, ce qui ne fait qu'ajouter au plaisir du spectateur. Ainsi, le scénario est ici confié à Ernest Lehman, qui avait déjà travaillé avec le cinéaste sur La Mort aux trousses, adaptation d'un roman de Victor Canning, Le cas Rainbird.

Blanche (Barbara Harris), vraie/fausse voyante presque nymphomane, et son petit ami George (Bruce Dern), plus chauffeur de taxi que réel acteur, tentent de récolter un magot qui leur a été promis par une vieille femme riche, mais seulement s'ils parviennent à retrouver la trace de son seul héritier, Eddie. Ce dernier est en réalité un escroc, interprété par un William Devane alors au début d'une très longue carrière (des séries Côte Ouest et 24 heures chrono, aux films Payback ou plus récemment encore The Dark Knight rises), aidé dans ses kidnappings et autres arnaques par la (fausse) blonde hitchcockienne Fran, jouée par Karen Black. Une situation de départ qui poussera le premier couple, plutôt pathétique bien qu'attachant, à mener sa propre enquête sur le second, s'aventurant ainsi tels deux faux détectives inconscients du danger qui les attend au tournant (l'histoire racontée à George sur Eddie adolescent nous prouve à quel point on a devant nous un personnage unanimement démoniaque).

Que ce soit dans leurs dialogues, dénués de toute grâce (le commentaire graveleux de George sur les fesses de sa compagne), leur relation qui fait fi de tout romantisme (« Mariage ? Tu sais comment me refroidir »), leur comportement plutôt minable (les uns n'hésitent pas à embobiner une vieille femme riche pour de l'argent, les autres à enlever un prêtre en pleine messe...) mais très humain finalement, et leur objectif tout à fait basique : une somme d'argent qui les sortirait provisoirement d'un quotidien ni misérable, ni reluisant... Hitchcock propose avec son dernier film une galerie de personnages très éloignés de l'élégance ou la naïveté de ses héros habituels. Mais pas de héros ici. Les méchants n'étant eux-mêmes pas plus sûrs de leur fait la plupart du temps, ce Complot de famille s'apparente presque à ce que feront plus tard les frères Coen avec leur galerie de losers plus ou moins sympathiques.

Néanmoins, Complot de famille, même s'il continue après Frenzy à briser d'une certaine façon les codes hitchcockiens avec ses personnages au comportement et physique banals, son suspense « absent » (on sait très vite ce qu'est devenu l'héritier porté disparu, qui sont les coupables et quel est leur plan), la vulgarité de ses dialogues, chose rare chez Hitchcock (qui témoigne de l'évolution de la société américaine), le film est par ailleurs comme souvent avec le cinéaste très rythmé, les 2 heures passant comme un éclair. Pas mal pour un homme de 75 ans qui tournait là son 53 ème  film.

Le long-métrage est également bourré de clins d'œil à la filmographie du cinéaste : Cette scène où les protagonistes sont coincés dans leur voiture hors de contrôle n'est pas sans rappeler La main au collet ou La mort aux trousses, même si ici elle a un côté bien plus grotesque, tandis que la séquence où Fran affiche une coiffure blonde typique des héroïnes d'Hitchcock, avant d'enlever sa perruque, renvoie à l'introduction de Pas de printemps pour Marnie. Le marin aperçu à la fin de ce même film n'est autre que Bruce Dern, l'interprète de George ici. Mais il y a également cette voiture garée sur « Bates Avenue », du même nom que le môtel de son célèbre Psychose...

On retrouve parfois toute l'ironie du cinéaste au détour de quelques passages mémorables, comme lorsqu'Eddie, l'escroc courant après la fortune, essaie dans un moment de panique d'éliminer celle qui venait pourtant lui annoncer qu'il allait toucher un gros héritage, ou quand un pasteur délaisse les enfants qu'il semblait accompagner pour boire un verre avec une jeune femme, sous le regard amusé de George et Blanche.

Difficile en voyant ou revoyant Complot de famille de ne pas penser qu'il s'agit là du dernier film du cinéaste avant sa mort. Et consciemment ou non, cette dernière est très présente au long de sa toute dernière réalisation : On notera ainsi que lors de son habituel (et dernier) caméo, le spectateur ne verra que la silhouette d'Hitchcock derrière la porte d'un bureau de..."Certificats de naissances et décès". Il y est également question de personnage se faisant passer pour mort, d'héritage et de testament. Dans l'une des scènes les plus réussies du film, le personnage de Bruce Dern tente d'interroger une femme lors de funérailles, et la suit dans un cimetière dont les chemins de terre ressemblent à un labyrinthe. Pour éviter tout problème, ce sont de fausses pierres tombales qui furent utilisées par l'équipe du film d'ailleurs, et les noms sur les tombes furent remplacés par Hitchcock, avec humour (noir), par ceux de journalistes invités lors d'une conférence de presse à l'époque. Toutefois, et c'est plutôt rare pour un Hitchcock, si l'on y fait bien allusion à des meurtres, pas un n'a lieu à l'écran de tout le film...

Si son ultime réalisation n'est de loin pas la plus marquante, Complot de famille reste presque 40 ans après un excellent divertissement jusqu'à la toute dernière minute. Ses clins d'œil à la filmographie du maître forment une sorte de testament touchant, emballé avec un rythme soutenu comme toujours, et de nombreuses touches d'humour. Et s'il marque la fin de la filmographie d'un véritable monument du cinéma avec bonne humeur, adressant au spectateur un véritable clin d'œil par le biais de son héroïne, l'air de dire « ce n'était que du cinéma », lors d'un final proche du happy end, il marque aussi à l'inverse les débuts de la carrière d'un autre monument : John Williams, repéré grâce au succès des Dents de la mer, et remplaçant le fidèle Hermann alors indisponible.

 

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