Critique : Voyage à deux

Julien Foussereau | 15 décembre 2005
Julien Foussereau | 15 décembre 2005

En 1967, Stanley Donen est un réalisateur qui a déjà derrière lui près de vingt ans de métier avec un paquet de chefs d'œuvres inoubliables tels que Un jour à New York, Mariage royal et l'incontournable Singin' in the rain pour la période musical, sans oublier les comédies sophistiquées et glamour comme Charade et Drôle de frimousse, déjà avec Audrey Hepburn. Quand Voyage à deux sort sur les écrans, tout laisse à penser que le maître prend du bon temps avec une petite comédie romantique. Gros malentendu car si le film devait se résumer en une phrase, ce ne serait sûrement pas l'attendue « Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants » mais plutôt « Voici comment ils vécurent ». Dès les premiers plans du film, le ton est donné, doux-amer quand le coupé Mercedes du couple Wallace s'arrête devant une église où est célébré un mariage. Elle remarque que les héros du jour n'ont pas l'air heureux. Il rétorque sans sourciller « Pourquoi le seraient-ils ? Ils viennent de se marier ! ». Là où une profusion de films s'attache à décrire pendant deux heures la séduction entre un homme et une femme suffisamment neuneus pour ne pas se rendre compte avant qu'ils sont faits l'un pour l'autre, Stanley Donen choisit de se concentrer sur l'après, sur les conflits internes d'une relation capables de miner le quotidien. En ce sens, Voyage à deux est véritablement l'autopsie d'un couple.


Stanley Donen aurait très bien pu inscrire cette radiographie maritale dans le train-train journalier (métro, boulot, dodo) avec quelques évènements clés (le mariage, la naissance du premier enfant) et dérouler tranquillement la vie de couple, du bonheur aux mesquineries. Le coup de génie vient du scénario de Frederic Raphael qui décide de prendre la température sur quatre périodes du couple Wallace, quatre périodes de vacances en France équivalant à douze années de concubinage pour mieux les mélanger « façon puzzle ». Afin de matérialiser sur l'écran ces flashbacks non chronologiques s'imbriquant dans tous les sens, Stanley Donen emprunte des techniques narratives popularisées par la Nouvelle Vague. Concrètement, le présent de la narration (Mark et Joanna prennent l'avion puis la voiture pour aller à la réception donnée par Maurice Dalbret à Saint-Tropez) et les souvenirs se chevauchent constamment par le biais de transitions visuelles et auditives brillamment écrites. La complexité de cette structure narrative confère au récit une remarquable efficacité (il va sans dire que l'impact du film serait moindre si les quatre segments étaient déroulés dans l'ordre) puisque le contraste entre les différentes époques saute immédiatement aux yeux : l'utopie des débuts sans le sou laisse place au cynisme de la réussite bourgeoise, la tromperie empiète sur la vérité, le désir est débordé par la désillusion. Stanley Donen illustre ces différences temporelles par l'élégance habituelle de sa mise en scène en donnant un charme fou à la campagne française. Son sens du rythme, héritage des comédies musicales, est un atout incroyable dès lors qu'il s'agit de basculer d'une vignette à l'autre. Enfin il dirige superbement le couple vedette.


Quand elle accepte de tourner Voyage à deux, Audrey Hepburn n'est plus l'ingénue au regard pétillant de Vacances romaines. Il n'empêche que sa classe naturelle est toujours là et elle ne jouera plus jamais aussi bien qu'ici. Face à elle, Albert Finney, alors jeune premier lui tient la dragée haute avec sa prestation sarcastique et sa présence magnétique. Voyage à deux ne serait pas un tel chef d'œuvre sans leur alchimie. Car feindre de tomber amoureux en sortant son plus beau regard enamouré est une chose, représenter sur douze ans un couple qui bat de l'aile en est une autre. Qu'ils crachent leur répliques avec dégoût, qu'ils affichent des moues de colère rentrée face à l'ennui conjugal, les deux comédiens forcent le respect en excellant dans les moments dramatiques (le poignant face à face lors de l'adultère de Joanna) et comiques (tout le passage avec les époux Manchester et leur insupportable Ruth).


Au final, les Wallace s'aiment toujours après douze ans de vie commune, mais on peut difficilement parler de happy end. Joanna et Mark ont fait reculer la menace de divorce mais rien ne laisse croire qu'ils vont connaître le bonheur. Le film termine comme il a commencé, sur la route, à la croisée des chemins. On se demande alors si le couple roulera sur l'asphalte des nationales françaises l'été prochain. Parce que amour et bonheur ne riment pas toujours et un tel bon sens rend Voyage à deux bouleversant.

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