Critique : Lawrence d'Arabie

Jérémy Ponthieux | 19 novembre 2012
Jérémy Ponthieux | 19 novembre 2012

La consomption d'une allumette est stoppée net par le souffle sec d'un blond aux yeux d'un bleu perçant. Le soleil se lève dans le lointain d'une dune sableuse avec la grâce d'un miracle de nature. Sous un simple effet Koulechov, un mythe nait alors dans le cinéma américain et dans la culture populaire, à tel point qu'il poussera quelques cinéastes majeurs à prendre leur caméra pour essayer à leur tour. Nombre seront ceux qui tenteront avec roublardise de photocopier l'élan romanesque de ce monument du cinéma sans parvenir à en tirer une essence, voire une odeur. C'est que Lawrence d'Arabie, à l'aune de sa remasterisation patrimoniale, s'impose toujours comme une merveilleuse fresque psychologique doublée d'un film d'aventures à la portée historique pertinente. En somme, le vestige d'une certaine époque où la démesure hollywoodienne se conjuguait avec une réelle exigence filmique.

Lawrence d'Arabie est évidemment la capture d'une certaine esthétique moyen-orientale. Mais c'est d'abord le parcours mental du personnage éponyme, solitaire impertinent à la recherche d'un défi personnel. A l'instar d'un super-héros en devenir avec qui il partage plusieurs caractéristiques (l'intégration communale, la modestie, l'acceptation du destin, le costume sur-mesure...), le personnage est victime d'un parcours qui le dépasse progressivement et d'une cause qui l'amène à une aliénation fragile. Avec la précision diabolique d'une dramaturgie shakespearienne, le récit sait rester cohérent à chaque seconde qui s'égrène et fait ressentir comme peu d'autres la déliquescence de cet homme à la personnalité nébuleuse. Sa ténacité inspire un souffle romanesque au film qui lui vaudra ses célèbres moments de bravoure, et les fissures qui se dessinent au fil du récit font écho à l'humanité du sénateur Stoddard de  L'Homme qui tua Liberty Valance de John Ford. La galerie de personnages qui gravite autour de lui témoigne comme l'approche de David Lean de s'accrocher à une complexité humaine est la bonne, la direction d'acteurs brillante achevant de faire de Lawrence d'Arabie un film de personnages d'abord.

D'abord mais peut-être pas complétement, puisque la saveur de cette super-production s'avère immédiatement palpable dans ses longues plages de silence, logique captation du vide désertique où s'installe l'équipe de tournage. Rarement un film n'aura autant laissé la place au cinéma, celui d'une quiétude sauvage héritée d'un certain cinéma muet, où l'image seule suffisait à conduire les émotions et la pensée. L'image d'un Omar Sharif s'éloignant du chaud lointain sous l'œil inquiet de deux personnages à la dérive est de ces instants précieux dont regorge le film, où l'expression du vent, la beauté du paysage et l'essence même de la situation imprègnent la rétine, dans un respect solennel à la fois magnétique et pesant. L'évasion du spectateur devient alors totale, sans que ne soit miraculeusement laissée au vestiaire sa conscience critique, puisque le récit n'hésite pas à mettre en exergue un bourbier politique et humain dans lequel les bonnes intentions se craquèlent tragiquement sous le poids d'un Occident hypocrite. Ne reste alors plus qu'à saluer le brio technique du metteur en scène et de son chef opérateur, qui épousent l'impitoyable nature du désert avec un amour contagieux. Lawrence d'Arabie ou une étape capitale de la cinéphilie collective.

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