Critique : Syriana

Louisa Amara | 20 février 2006
Louisa Amara | 20 février 2006

« Syriana désigne, dans la langue des tacticiens de Washington, un très hypothétique remodelage politique du Moyen-Orient. Dans notre film, le mot revêt un sens plus abstrait. Syriana désigne le rêve fallacieux de refaire des États-nations à notre image ; c'est un mirage. C'est un titre approprié à un film qui aurait pu se passer à n'importe quelle époque, dans n'importe quelles circonstances lorsque se conjuguent l'ambition effrénée de l'homme, son orgueil démesuré et de vieux fantasmes impérialistes. » Ces propos de Stephen Gaghan, scénariste et réalisateur de Syriana, illustrent bien les qualités et défauts de ce film : des ambitions louables et atteintes pour certaines, et un grand flou artistique gênant pour d'autres.

Le film choral est un exercice de style difficile dans lequel se sont déjà brillamment illustrés Robert Altman avec Short Cuts, et plus récemment Paul Haggis avec le magnifique Collision. La succession de scènes un peu disparates est soutenue généralement par un fil rouge : le propos politique et/ou social du film. S'inspirant visiblement de Traffic, dont il était déjà le co-scénariste, Stephen Gaghan s'attaque peut-être à un projet trop lourd pour son deuxième film. Doit-on rappeler que son premier essai, Abandon, était un infâme navet, avec Katie Holmes (évidemment !) et Benjamin Bratt ? Alors oui, il faut bien commencer par quelque chose. Mais visiblement Stephen Gaghan a encore un peu de mal à se débarrasser de certains réflexes de scénariste et ne maîtrise pas totalement la grammaire cinématographique. S'il réussit à donner du rythme au film grâce une mise en scène énergique, de gros moyens techniques, et un montage vif, il se perd parfois en digressions dans un scénario déjà complexe. Plusieurs histoires sont beaucoup mieux traitées et donc plus intéressantes que d'autres. Ainsi les histoires de gros sous des compagnies texanes dont Jeffrey Wright, Christopher Plummer et Chris Cooper sont les vedettes, sont tellement floues qu'elles peinent à maintenir l'intérêt du spectateur (à moins qu'il soit avide d'informations financières et autres délits d'initiés).

À sa décharge, le roman de Robert Baer, ancien agent de la CIA, dont Syriana s'inspire en partie, était déjà dense et difficile à adapter. George Clooney a visiblement effectué un véritable travail de recherche et d'interprétation. Crédible et juste, son histoire d'agent infiltré de la CIA rapidement trahi et lâché par ses supérieurs est de loin l'un des plus fascinants segments de ce puzzle.
Les enjeux politiques de la région, expliqués dans les scènes avec le prince saoudien Nasir et son conseiller interprété par Matt Damon sont pour le moins intrigants et donnent au film toute sa crédibilité historique et politique.

La plus belle partie (celle qui aurait mérité tout un film) est celle consacrée aux jeunes ouvriers pakistanais enrôlés par des terroristes dans une école coranique. Ces scènes ponctuent le film en donnant des explications plausibles à ce phénomène d'embrigadement. Sans pour autant excuser les attentats, Stephen Gaghan donne à voir le point de vue de jeunes désespérés qui ne trouvent pas leur place dans ce monde régi par l'économie de marché. On retiendra un effort certain de réalisme : décors naturels, attention particulière aux langues et dialectes parlés dans le film, des costumes et une lumière appropriés.

Et puis, même s'il n'est pas vraiment abouti, le film aura au moins le mérite de lancer le débat sur les relations plus qu'ambiguës entre les États-Unis et l'Arabie Saoudite. Produit par un grand studio américain, c'est suffisamment rare pour être souligné.

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