Shining : Critique

Julien Foussereau | 16 décembre 2007
Julien Foussereau | 16 décembre 2007

Après Barry Lyndon et sa veste commerciale douloureuse, Stanley Kubrick décide de frapper un grand coup en adaptant Shining, le best-seller fantastique de Stephen King. Ce dernier est d'ailleurs ravi que le maître achète les droits de son roman. Qu'il en profite, cela ne durera pas ! D'abord parce que le caractère obsessionnel de Kubrick le conduit parfois à appeler l'écrivain au beau milieu de la nuit pour lui poser des questions simples comme « Croyez-vous en Dieu ? » ou « Pensez-vous souvent à la mort ? »… Ensuite, Stephen King devrait se montrer plus méfiant : une œuvre littéraire entre les mains de Stanley Kubrick équivaut à une réappropriation géniale et totale dans laquelle le maître élimine tout ce qui fait obstruction à sa vision glaciale de la folie immanente au genre humain. Par conséquent : Kubrick dégraisse le livre aux trois-quarts afin de ne laisser que la moelle narrative originelle. Stephen King ne s'en remet évidemment pas (au point de préférer d'ailleurs une mini-série télé fidèlement bancale au livre avec Rebecca de Mornay dans le rôle de Shelley Duvall.)

 

 

On s'excuserait presque d'en rajouter une couche mais si le voyage dans les pages du roman est plaisant, il rivalise difficilement avec la terrifiante leçon de mise en scène de Stanley K. Ce dernier a rapidement compris que des pans entiers du livre ne fonctionneraient pas à l'écran (dont le final avec les haies en forme d'animaux qui prennent vie…pour les dubitatifs, revoyez La Jeune fille de l'eau !) En revanche, injecter deux fortes doses d'ambiguïté et de mystère dans l'histoire orienterait le récit vers une direction nettement plus intéressante. Au lieu de se conformer à un glissement du quotidien au fantastique, le cinéaste introduit un sérieux malaise dès le plan aérien d'ouverture avec la réorchestration synthétique de La Symphonie Fantastique d'Hector Berlioz par Wendy Carlos. Cette impression se confirme avec les membres dysfonctionnels de la famille Torrance : Danny, un gamin anormalement calme prétendant avoir un ami qui lui parle du passé et du futur à travers sa bouche ; Wendy, sa mère, jeune femme effacée, plus copine que mère avec Danny ; et, bien sûr, Jack, le père écrivain raté, alcoolique repenti après avoir battu son enfant, intéressé seulement par sa personne et son travail (ce n'est pas pour rien si l'hôtel s'appelle Overlook qui peut être traduit par dénigrer…).

 

 

Stanley Kubrick filme cette famille aux fondations branlantes évoluer dans le labyrinthique hôtel vide au moyen d'un procédé quasi inédit en 1980, une caméra harnachée à son opérateur capable de simplifier des mouvements tout en conservant la fluidité : la steadycam. L'utilisation qu'il en fait est stupéfiante dans le sens où la mobilité de sa mise en scène semble soumise à des impératifs géométriques tout bonnement vertigineux (de grandes lignes droites, évitement quasi systématique de trajectoires rondelettes, goût prononcé pour la symétrie et la perpendicularité.) Il matérialise grâce au grand angle et à l'impressionnant décor, un labyrinthe mental écrasant ses occupants : est-ce que les esprits malfaisants de l'hôtel rongent Jack ? Est-il victime du mal de l'isolation, le fameux cabin fever ? Ou bien s'agit-il d'une excuse pour justifier le massacre d'une famille qui l'a toujours ennuyée ? (on remarquera que lorsqu'il voit des fantômes, il se trouve face à un miroir à chaque fois) Et si Danny ne faisait que travestir un passé qui s'impose à lui ? ou pire, se sert-il de son pouvoir pour atténuer l'objectivité de sa mère vis à vis de son père ?

 

 

Ces questions que l'on se pose naturellement à force de multiples visionnages montrent que Shining version Kubrick est bien moins une affaire de fantômes qu'un film sur l'incommunicabilité, la folie qui en découle ainsi que sa force destructrice dans un environnement aussi isolé. Le premier de ses mérites réside dans son culot à avoir transformé la cellule familiale, la première des sociétés, en espace homicide. Dans le passage devenu culte des portes défoncées à la hache, Jack Nicholson (dans un rôle dont il ne parviendra jamais à se débarrasser complètement) ne détourne-t-il pas le conte des trois petits cochons et des phrases marquées fifties (« Wendy, I'm home ! » jusqu'au « Here'sssssss Johnnyyyyyyyyyyy », référence directe au Johnny Carson's show) ? Le second est beaucoup plus évident : Shining n'est pas un film livré clé en main, qu'il s'agisse des mécanismes de la terreur (jamais faciles et souvent construits dans une lenteur potentiellement rédhibitoire) ou dans sa conclusion car il est impossible de savoir avec certitude le pourquoi du comment. Les mauvaises langues peuvent y voir le résultat d'une adaptation brouillonne. Ils auraient tort. Ce sont ces zones d'ombre de Shining, combinées au tour de force visuel, qui trahissent la volonté première de Kubrick : celle de redéfinir les codes du cinéma d'épouvante et se poser en digne héritier de maîtres comme Robert Wise. Vingt six ans plus tard et pas une ride, il semblerait bien qu'il ait réussi sa mission.

 

 

Résumé

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