Batman, le défi : critique gothique

Julien Foussereau | 23 mars 2017 - MAJ : 27/09/2023 10:07
Julien Foussereau | 23 mars 2017 - MAJ : 27/09/2023 10:07

Trois ans après le monumental succès de Batman, Tim Burton s'attèle à la réalisation de ce deuxième volet. Entre-temps, le succès critique et public d'Edward aux mains d'argent lui a permis d'asseoir son statut d'auteur "bankable". Batman, le défi est un conte sombre et cruel 100% Burtonien dissimulé derrière une adaptation du comics de Bob Kane. 

Comme pour le premier opus, l'affiche du film est riche en informations.Trois visages masqués nous regardent : ceux de Batman, Catwoman et du Pingouin, mis sur un même plan, au delà du clivage bon contre méchants. Cette disposition annonce une ambiguïté voulue par Burton. Libéré des compromis du premier épisode, le réalisateur s'aventure davantage dans les entrailles malades de Gotham pour approfondir la dimension humaine et tragique de laissés pour compte devenus méchants. Il livre un portrait d'âmes damnées voulant retrouver leur dignité et leur salut par la vengeance.

Ainsi la magistrale scène d'ouverture révèle le funeste destin d'Oswald Cobblepot, enfant de la haute société, que ses parents ont abandonné, effrayés par sa difformité. Difficile ne pas voir dans ce berceau dérivant dans les égouts le chemin inverse de l'American Dream voire une relecture perverse de Moïse. Le spectateur ne peut s'empêcher d'éprouver un mélange de dégoût et de compassion pour le Pingouin, personnage digne d'un roman de Dickens. Dégoût car sa haine de soi mêlée à sa soif de vengeance, son animalité, sa frustration en font quelqu'un d'effroyable ; compassion pour sa quête d'identité et soi, son besoin de savoir pourquoi il a fini dans les ordures quand d'autres ont eu la belle vie.

 

photo, Danny DeVito

 

Selina Kyle alias Catwoman n'est pas pour autant sacrifiée. Il était déjà problématique de la situer dans le matériau d'origine : Maîtresse ou Némesis ? Elle intriguait déjà mais dans Batman le défi, Burton la dote d'un fascinant sens du tragique et offre certainement là à Michelle Pfeiffer son plus beau rôle. La comédienne émerveille en tablant sur deux registres : celui de Selina, ambitieuse mais fragile secrétaire du malfaisant Max Schreck (nom de l'acteur qui jouait Nosferatu dans le film de Murnau) et celui de son alter ego félin aussi sexy et combatif, que dangereux et impulsif.

La naissance de sa face sombre impressionne par son caractère mystérieux voire ensorcelant, débouchant sur le saccage cathartique de son appartement. Car ce qui bouleverse chez Catwoman est moins sa revanche contre la gent masculine qui n'a eu de cesse de la dominer, mépriser puis assassiner que son conflit intérieur entre ce qu'elle était et ce qu'elle est devenue : deux voies sans issue. Lorsqu'elle demande à Batman de l'aider à trouver "la femme derrière le chat", il s'agit à la fois d'un défi et d'une supplication. Son esprit n'est que paranoïa, peur et mal-être.

 

photo, Danny DeVito

 

Bruce Wayne est également un personnage névrosé. On le découvre dans sa bibliothèque seul avec ses idées noires, attendant inconsciemment que l'arrivée d'un nouveau psychopathe le fasse sortir de son manoir. Keaton approfondit ici sa maîtrise du personnage, lorgnant plus vers la violence sèchedu Dark Knight, exprimant une mélancolie dans le regard, face à Selina. Batman, le défi est pour lui l'épisode d'une double prise de conscience, celle de sa face sombre d'abord : quand le Pingouin l'accuse d'être jaloux parce que pour être un monstre, il doit porter un masque, Bruce ne dément rien, la deuxième est l'issue possible avec Selina, rapidement avortée.

 

photo, Michelle Pfeiffer, Michael Keaton

 

La scène du bal masqué, où Bruce et Selina découvrent leur secret respectif est à cet égard un moment d'anthologie. Avec une incroyable délicatesse, Keaton et Pfeiffer parviennent à nous toucher en faisant ressurgir les émotions cachées de leurs personnages. Le tour de force de Burton est d'avoir su retranscrire le fatalisme inhérent à tout comic book, sur ces deux visages. La magie de cette scène résume l'intégralité de Batman, le défi : malgré la corruption des mœurs, la perte des valeurs, il y a une volonté chez ces personnages de s'accrocher au peu d'innocence qui leur reste. La mise en scène de Burton lie ces personnages en faisant de Gotham un théâtre spectaculairement ténébreux. Jamais le gothique flamboyant n'aura aussi bien été mis en scène dans la filmographie du réalisateur.

 

photo, Michelle Pfeiffer, Danny DeVito


Burton filme une cité malade, une nouvelle Babylone où amour et bonheur sont contradictoires, où un homme chauve-souris et une femme chat ne peuvent s'aimer que derrière des masques tout en jouant à se faire mal ; quand un être difforme en quête de normalité ne trouve la paix que dans un enterrement de première classe avec ses amis à sang froid, les seuls qui ont jamais voulu de lui. Batman, le défi est certainement le plus grand film de super-héros tant la fusion Kane/ Burton est totale. 

 

Affiche officielle

Résumé

De par ses différents niveaux de lecture où le désespoir total s'entremêle avec des réflexions sur la normalité, le sexe, la mort et une fable sociale féroce, Batman, le défi est le plus grand film de Burton et assurément un chef d'oeuvre dans l'histoire du cinéma.

Autre avis Geoffrey Crété
Peut-on faire plus beau, plus tragique, plus excitant et fabuleux que cette Catwoman, ce Pingouin, ce Gotham enneigé ? Batman, le défi est la quintessence du cinéma de Tim Burton, bercé par l'univers de Batman. Qu'il soit relégué au second plan en dit long sur la manière dont le cinéaste a imposé sa vision.
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Lecteurs

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commentaires
ParisTexas
08/03/2022 à 18:26

Je trouve pas le pingouins hyper touchant c'est quand un mec qui veut tuer des enfants alors oui ça se comprend vue sont passé mais quand même ce type est répugnant j'arrive a trouver ça touchant contrairement à Catwoman où en vérité c'est elle qui pour moi donne le charme au film

Flo
26/02/2020 à 14:40

Encore un choc au cinéma: décidément les super héros d'alors ne sont pas spécialement destinés à être sympathiques et positifs. Burton s’offre aussi le luxe de nous donner la version Ultime du Pingouin (enfin à la hauteur de son alias) et de Catwoman, monstrueux et touchants à la fois. Même les comics n’ont que rarement été aussi loin dans leurs incarnations, mais pour un film c’est vrai que c’est un peu plus aisé de toucher le grand public durablement.
Plus Burtonien que le premier avec sa fête de Noël qui semble ne pas finir, "…Le Défi" est encore Culte pour beaucoup au delà de la mise en parallèle de son époque. Bien sûr, ces films là ressemblent plus à des opéras au décors grandiloquents et même légèrement « toc », mais c’est aussi pour ça qu’on les aime.

-Conseil cinéma pour mieux apprécier le film: Voir "Freaks", "Elephant Man" et "Edward aux Mains d’Argent".
-conseil comics: ceux des années 90, plus graphiques et torturés, comme "Arkham Asylum" par exemple.

Le rol’
24/03/2018 à 05:05

LE Batman ultime a mon gout.
Le chef d’oeuvre de Burton avec Ed Wood.

corleone
24/03/2018 à 00:12

Effectivement un chef d'oeuvre, seul bémol Michael Keaton(aussi bon acteur qu'il soit) dans la peau de Bruce Wayne, je l'ai jamais digéré.

Matt
23/03/2018 à 23:54

Le baiser électrique de Michelle Pfeiffer sur Christopher Walken et le mordillage du nez par Devito m'ont tellement impressionné étant jeune. Un très beau Batman mais clairement plus un film de Burton s'inspirant de l'oeuvre de Kane, qu'une vraie adaptation de l'oeuvre Bob Kane réalisé par Burton.

pokpok
23/03/2018 à 22:52

Je me suis toujours posé la question pourquoi la plupart des cinéphiles aime ces deux versions que je trouve chiant et sans intérêt. Je préfère de loin les versions de Nolan.

Dirty Harry
23/03/2018 à 22:27

Beau comme un conte noir pour adulte...l'un des trois meilleurs Burton, un film d'acteurs excellent (Walken), une atmosphère unique et une Catwoman inoubliable (merci mon happy-meal avec une femme en latex noir dedans).
Depuis je prend de la vichyssoise lorsque je broie des idées noires dans mon manoir.
Votez Oswald !

Faurefrc
23/03/2018 à 22:10

Peut-être pas le meilleur Burton (pour moi c’est Ed Wood), peut-être pas le meilleur Batman (The Dark Knight), mais incontestablement un grand film. Et la musique de Elfman : un monument du genre (avant qu’il ne se compromette dans l’infâme bouillie Justice League).

Slaine
23/03/2018 à 20:43

Pas mieux.. Un p tain de chef d"oeuvre..

Jojo
23/03/2018 à 20:39

Le meilleur film sur Batman et l'un des meilleurs films de Tim Burton, un chef d'œuvre !

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