Critique : Un roi sans divertissement

Sandy Gillet | 26 avril 2008
Sandy Gillet | 26 avril 2008

Après Crésus, qui permit à Jean Giono de passer enfin derrière la caméra pour ce qui restera son seul et unique film en tant que cinéaste, l'un des plus grands écrivains français du XXe siècle réitérait l'expérience, tout du moins au niveau de l'écriture, en adaptant lui-même Un roi sans divertissement, chronique romanesque qu'il écrivit en 1946. Sur le papier, cette étude de l'âme aux multiples personnages, qui se double d'une enquête policière se situant dans le Trièves, aux confins de l'Isère et de la Drôme en plein XIXe siècle, se transforme, sous la plume volontaire de Giono, en une sorte d'épure tragique en forme d'explication de texte radicalement différente de la lettre du roman.

 

 

Dorénavant situé sur les plateaux désertiques de l'Aubrac, l'action est condensée sur la période qui va de Noël au jour de l'an, avec pour seuls décors les murs de pierres noires des maisons et la neige qui en recouvre les toits jusqu'à en saturer l'horizon lui-même. Un capitaine gendarme y est dépêché par un procureur du roi à la retraite afin d'élucider la disparition d'une petite fille. Le premier plan du film est d'ailleurs ainsi fait que, sur une complainte chantée par Jacques Brel, on découvre au milieu d'un paysage d'un blanc immaculé au format Scope une tâche noire grossissante que l'on devine bientôt comme étant un cavalier. Formidable composition qui donne ainsi le ton d'un film certes tourné sur pellicule couleur, mais dont la dessaturation extrême des décors et de la photo renvoie à la volonté d'un Jean Giono d'en faire une œuvre en noir et blanc avec pour seule couleur le rouge du sang défigurant la neige.

 

 

Une neige à la fois personnage à part entière et thème central du film, puisqu'elle symbolise cet ennui qui peut faire basculer le bon père de famille en un meurtrier en série, ne serait-ce que par simple besoin de divertissement. Comme le dit le personnage du procureur joué par Charles Vanel : « L'amour est le théâtre du pauvre, le meurtre est celui du riche ou des rois. » L'homme est ainsi fait qu'il a besoin de se distraire à tout prix, faut-il devenir meurtrier pour cela, faut-il en mourir pour en réchapper définitivement. Ce que le capitaine Langlois finira par comprendre trop bien, lui qui mettra fin à ses jours puisque lui-même contaminé par ce qu'il faut bien considérer comme le fléau ultime de l'humanité.

 

 

Telle est la conclusion d'un film proche de la fable métaphysique qui n'est pas sans rappeler Blaise Pascal et son essai philosophique intitulé Un roi sans divertissement est un homme plein de misères, et cette morale austère où le penseur classique condamne les vaines agitations des hommes comme autant de moyens de fuir la misère de leur condition.
De ce « scénario littéraire », François Leterrier (père de Louis Leterrier, réalisateur du Transporteur et de Danny the Dog. Si si, vous pouvez vérifier !) réalise ce qui sera le meilleur film de sa carrière (on lui doit un Emmanuelle et des comédies pour la plupart oubliables, à l'exception des Babas cool, avec Christian Clavier et Anémone en 1981). Cela se mesure encore aujourd'hui tant dans la modernité du message véhiculé (la thématique du meurtrier, dont l'attitude et les obsessions finissent par déteindre sur celui qui le « chasse », fait les beaux jours de la production hollywoodienne de ces vingt dernières années) que dans un esthétisme formel proche de l'hypnotisme qui confère la fascination pure et simple.

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