La Vie aquatique : critique à flot

George Lima | 21 février 2005 - MAJ : 09/03/2021 15:58
George Lima | 21 février 2005 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Hors norme. Difficile de trouver adjectif plus approprié que celui-ci pour qualifier les films de l'ovni Wes Anderson.

Adepte des énergumènes en tout genre (Rushmore, La Famille Tenenbaum…), le jeune réalisateur américain s'attaque ici à un morceau de choix et à un symbole typé : le commandant Cousteau. A ceci près que le pape des océans n'est plus un protecteur de la nature et un pionnier renommé mais un commandant narcissique, moqué, froid et plus cupide qu'écolo. Bill Murray, dont la carrière a été revigorée par Wes Anderson mais aussi et surtout grâce au magnétique Lost in Translation, trouve ici un rôle à la mesure de sa démesure. Fumeur de pétards, partisan des armes à feu, fou dangereux à ses heures et amateur de jeunes minettes, Zissou est aussi proche de Cousteau qu'Ingmar Bergman l'est de Billy Wilder. Prétendument aventurier des mers et savant scientifique, Steve Zissou est lui aussi cinéaste comme feu Jacques Yves. Mais Le Monde du silence a sombré dans les Abymes pour faire place à une série de films ridicules, truqués et montés de toute pièce par le commandant et sa horde de bras cassés. La présentation du premier documentaire dans la scène d'ouverture est simplement jouissive, les productions Zissou se rapprochant plus du film de vacances que du long-métrage animalier ou écolo. Cette séquence d'ouverture donne d'emblée la couleur et le ton du film.

 

Photo Bill Murray, Willem Dafoe

 

La vie aquatique sera déjantée, drôle et kitsch. Très, très, kitsch à l'image des décors et accessoires cheap du film. Lumières phosphorescentes, créatures aquatiques en carton pâte ou encore maquettes de bateaux dignes d'un set de Playmobil, rien ne nous est épargné pour le plus grand plaisir de nos zygomatiques. Cet aspect «fabrication maison » se manifeste aussi dans les costumes de l'équipage Zissou tour à tour coiffé de bonnets rouges (cf Cousteau), étriqué dans des combinaisons en latex brillant ou serré dans des shorts trop moulants. La palme de l'élégance revenant à Willem Dafoe, aussi grotesque dans sa tenue de matelot que dans celle du Bouffon vert. A la différence près, qu'ici, l'effet est voulu et très efficace. Visuellement décalé, La vie aquatique l'est aussi dans le ton. Chez Anderson, le calme est de courte durée et annonce la tempête. Pour preuve, les scènes de prise d'otages qui oscillent sans arrêt entre tension (certes limitée) et pétage de plombs. La scène dans laquelle Zissou prend les armes pour défendre son bateau et bute tous les pirates dans un accès de folie furieuse, incontrôlable et immodérée est jubilatoire.

 

Photo Cate Blanchett, Bill Murray

 

Indéniablement doté d'un humour singulier, l'odyssée Zissou manque en revanche de rythme. Anderson enchaîne trop de scènes d'exposition ou d'explication et verse dans la redite, délaissant le tempo enlevé nécessaire à la comédie. Mais le sourire revient dès que les pieds nickelés partent à la chasse au requin jaguar ou aux méchants pirates. Le sauvetage de l'assureur sur l'île déserte est digne de Casino Royale. Accoutré à la James Bond, le commando Zissou est sur le pied de guerre pour sauver le pauvre captif. Mais la mission sera rapidement compromise par un bataillon de sangsues dans une flaque d'eau, un second jaloux du fils prodige de son idole, un chien boiteux et … des combinaisons qui les éloignent en tout point de la classe légendaire de 007.


Un ridicule assumé et travaillé qui rend le film original et jubilatoire en tout point, la bande son y compris. Les morceaux, pour la majorité, sont de surprenantes reprises de David Bowie, interprétées à la guitare par le musicien brésilien Seu Jorge, également membre du casting. Un rôle figuratif mais moins inutile que d'autres dont la seule fonction semble être le remplissage de tableaux.

 

Photo Cate Blanchett, Owen Wilson

 

Car c'est bien là le principal défaut du film : le traitement des personnages est inégal. Difficile évidemment de faire autrement avec une telle distribution. Mais pourquoi ne pas avoir zappé les personnages décoratifs pour se concentrer sur les principaux ? Dafoe, qui obtient un des rôles les plus intéressants, excelle en coéquipier colérique et aveuglement admiratif de son supérieur. En revanche, Anderson ne laisse pas assez de marge et d'espace à Goldblum qui avait pourtant un beau matériau de base avec ce rôle de gay partiellement assumé. Owen Wilson, habitué de l'univers Anderson, est quant à lui trop fade pour convaincre face au géant et charismatique Murray, qui vole chaque plan dans lequel il apparaît. Malgré l'affiche idyllique, impossible de détacher son regard de Bill Zissou dans la scène finale du sous-marin. Sa mélancolie, sa fierté et sa cocasserie captent toutes les attentions quand, enfin, il parvient à toucher du bout des doigts l'objet de sa quête.

 

Affiche française

Résumé

Après le fantaisiste La famille Tenenbaum, Wes Anderson prouve une fois de plus qu'une comédie américaine peut divertir et intéresser sans être branchée, outrancière ou gaguesque. Le talent et l'originalité suffisent.

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