Memories of murder : critique tortueuse

Eric Dumas | 15 février 2005
Eric Dumas | 15 février 2005

L'année 2004 aura sans doute été celle de la découverte, en France, du cinéma coréen (si l'on excepte quelques réalisateurs réputés comme Kim Ki-Duk, Im Kwon-Taek…dans des registres différents). Si l'on peut s'inquiéter, plus ou moins, d'un éventuel phénomène de mode, à venir, dans nos vertes contrées, cette arrivée aura permis l'émergence de quelques jeunes cinéastes en passe de devenir de véritable « icône » de ce pays ; Park Chan-Wook en tête. Réalisateur désormais célèbre pour le politique JSA, le glacial Sympathy for Mr Vengeance et le sombre OldBoy, il est accompagné désormais par son compatriote Bong Joon-Ho dans une représentation d'un cinéma de genre en pleine évolution.

Memories of Murder ne se contente pas d'être un simple film policier, un thriller, comme il pourrait être facile de le ranger, aux côtés de Seven de David Fincher ou encore du Silence des agneaux de Jonathan Demme. L'alliance des tonalités est subtile. Le métrage mêle, tour à tour, le tragique, le comique, le dramatique, l'intime… Et si le réalisateur classe son film dans la catégorie « Thriller rural », c'est pour mettre en opposition l'aspect urbain des films traditionnel du genre et la situation géographique décalée et paysanne du sien. Avec sa galerie quasi caricaturale de personnages au final assez juste (du flic campagnard bestial au citadin réfléchi, du malade pervers à l'attarder mental, du policier violent au suspect délicat et introverti…) le réalisateur présente une population d'apparence déréglée mais ordinaire et authentique. Ancré dans le contexte social et économique coréen des années 80, le réalisateur parvient à retranscrire une atmosphère démodée et « surannée ».

Grâce à un grand soin apporté aux costumes et une forme de désaturation de la photographie qui immerge les spectateurs dans des teintes grises, ocres et passées (tout en permettant à la couleur rouge de mieux ressortir), il parvient, en outre, avec sa mise en scène, à prolonger l'aspect quasi « réaliste » du film. Interprété par des acteurs venus majoritairement du théâtre (à quelques exceptions près) et peu connus du grand public via le grand écran, avec sa multiplication de plans longs voire de plans séquences en caméra portée particulièrement perceptibles, par le naturel des coups portés entre les protagonistes (aucune répétition ou chorégraphie, des accidents douloureux encore visibles à l'écran…), le film impose son aspect documentaire de façon troublante.

 

Pour appuyer d'avantage le cœur même de son récit (la recherche du meurtrier de plusieurs jeunes filles préalablement torturées), Bong Joon-Ho axe sa mise en scène sur la thématique de l'identité. Élément indissociable de l'enquête, la recherche du criminel passe par la rencontre avec des suspects aux caractéristiques différentes et distinctes (en apparences). Tour à tour pathétiques, dérangés, effacés, réfléchis, résignés ou rustres, les personnages passent de façon progressive et inéluctable d'un état à un autre afin de mieux retranscrire le flottement, la confusion générale et désespérée de la situation.

La question de la culpabilité traverse également le film à l'aide de nombreux plans sur les mains. Elles trahissent les responsabilités de chacun dans les évènements marquants de l'histoire. Responsables de signatures accablantes, de fausses preuves, de crimes involontaires ou sujets de perplexités, elles trahissent des actes réels et des solutions fantasmées aux innombrables interrogations. Cette quête absolue d'un coupable n'est autre qu'un miroir tendu aux comportements enfouis de chacun des intervenants.

Et si les 40 premières minutes peuvent sembler un peu longues, c'est pour mieux masquer le rythme à venir et la mise à plat d'éléments narratifs insoupçonnables. La fin ne délivre pas son choc immédiatement. Elle inscrit, en chacun de nous, une souffrance et une rage qu'un dernier et ultime regard à la caméra, dans un instant présent, fini de rendre palpable par son extrême impuissance et ses éternelles lamentations.

 

 

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