Aviator : Critique

George Lima | 13 janvier 2005
George Lima | 13 janvier 2005

Deux heures quarante-cinq d'émotion et de savoir-faire! L'adaptation de la vie d'Howard Hughes sur grand écran ne pouvait incomber qu'à Martin Scorsese. Cinéphile, virtuose technique et adepte des personnages complexes, le réalisateur américain trouve en cette biographie épique et intimiste le parfait véhicule des thèmes, genres et enjeux qu'il affectionne depuis toujours.

Après Les Affranchis, Le Temps de l'innocence ou Gangs of New York, The Aviator revêt une occasion supplémentaire pour le cinéaste de s'adonner à son exercice favori : mêler petite et grande histoire. Bien que centré sur le prodige Hughes, le film, ancré dans l'âge d'or de l'aviation et du cinéma américains, se fait aussi l'écho de la superficialité d'Hollywood durant les années folles et de la corruption du gouvernement d'après-guerre. Un contexte historique qui n'est pas qu'une toile de fond, mais un acteur à part entière du film. Au-delà d'un cheminement intime quelque peu alambiqué, les mésaventures de Hughes étaient la conséquence directe d'une époque cadrée et conformiste dans laquelle son personnage en marge faisait mauvaise figure. Jouant un rôle primordial dans la construction du héros, le contexte ne pouvait donc, chez Scorsese, que bénéficier d'un traitement aussi appliqué que celui accordé aux autres protagonistes.

 

 

Minutieuse et documentée, la reconstitution du Hollywood des Années folles est tout simplement impressionnante. Scorsese a ce sens du détail qui fait de lui le candidat idéal pour de telles entreprises. Chaque décor, costume ou maquillage semble être le fruit d'un long travail de réflexion et de documentation qui confère la dose de véracité nécessaire aux films d'époque. Soignée et alternativement traîtée avec des effets numériques et des procédés de la « vieille école », l'image est constamment imprégnée du glamour et de la sophistication de l'âge d'or américain. Le tout se déroulant sur fond de rythmes jazzy et, au fil de rencontres, avec les élégants Jean Harlow (Gwen Stefani), Errol Flynn (Jude Law) et Faith Doumergue.

 

 

Sans oublier LA rencontre du film avec Katharine Hepburn, grand amour d'Howard Hughes. Faire revivre une icône à la personnalité aussi trempée et excentrique était un pari délicat. Mais Cate Blanchett a su s'approprier l'énergie, l'accent et la gestuelle de cette femme typée sans jamais la caricaturer. Plus que les rires qu'elles provoquent, ses apparitions insufflent au film un délicieux parfum de nostalgie. La nostalgie de ces actrices dont le talent, la classe et l'aura légendaires ne sont égalés par aucune de nos stars contemporaines. Quant aux cinéphiles, ils ne pourront qu'apprécier la rencontre entre Katharine et Spencer Tracy, qui en une scène très subtile renvoie à la légende du couple hollywoodien. Côté casting, le choix de Kate Beckinsale pour Ava Gardner est en revanche plus énigmatique. Le jour des essais, Scorsese avait sans doute délégué ses pouvoirs à un stagiaire fan de Pearl Harbor. Incarnation de la femme fatale au tempérament de feu et au caractère affirmé, Ava n'est ici qu'une poupée de porcelaine fadasse et sans la moindre aspérité. Mais ce n'est là qu'un léger hic qui n'entrave en rien la qualité d'une distribution emmenée avec brio par l'excellent Leonardo.

 

 

Di Caprio s'offre ici l'une de ses plus belles prestations qui pourrait définitivement le défaire de cette image d'acteur à minettes qu'on lui colle depuis Titanic. Là où un personnage phobique, complexe et torturé est souvent la porte ouverte aux exagérations, Leo évite le piège et ne cherche pas la performance. Sa jeunesse et sa fougue sont de parfaits vecteurs à l'exubérance de Hughes et son intelligence de jeu, appuyée par la direction complice de Scorsese, rend crédibles les ruptures psychologiques de son personnage, aussi extrêmes soient-elles. La séquence où Hughes, schizophrénique et paranoïaque, se terre dans sa salle de projection se prêtait à toutes les démesures, mais le comédien s'en sort habilement en jouant le retrait plus que l'hystérie. Si cette scène s'avère d'ailleurs aussi forte pour Di Caprio, c'est aussi parce qu'elle contient les thèmes les plus chers au réalisateur. Déchéance, folie et rédemption sont ici concentrées en une séquence représentative du cinéma scorsesien, puisque également appuyée par une mise en scène saturée et oppressante rappelant à bien des égards Les Affranchis, À tombeau ouvert ou encore Raging bull, qui prouvait il y a déjà vingt-cinq ans la maestria de Scorsese dans le biopic.

La biographie est pourtant un exercice fastidieux sur lequel des réalisateurs confirmés se sont cassé les dents. Comment, en effet, satisfaire tous les spectateurs quand certains aspirent à retrouver sur l'écran un génie de l'aviation, d'autres, un séducteur et magnat de cinéma, et que les derniers prient pour l'histoire du fou excentrique ? Il fallait faire des choix, au risque de subir les foudres de quelques spectateurs déçus.

 

 

Professionnellement, le scénario se concentre majoritairement sur l'aviation et l'essor de la TWA. Le titre était d'ailleurs on ne peut plus explicite. Certes, les explications sur la technique aéronautique sont peut-être trop nombreuses et auraient sans doute pu nous être épargnées au profit d'autres séquences. Mais peut-être étaient-elles nécessaires pour comprendre la passion qui animait cet homme de génie avide de découvertes. Bien qu'impressionnantes de savoir-faire filmique, les scènes d'aviation surprennent d'ailleurs beaucoup plus par leur charge dramatique et émotionnelle. L'essai du Hercules, les recherches en atelier ou le crash sont les reflets d'une personnalité dont les émotions s'articulaient au gré de sa réussite dans l'aéronautique. Également passionné de cinéma, l'aviateur était aussi un véritable précurseur dans ce domaine, bien que ce versant du personnage soit moins exploité à l'écran. Évidemment, l'aventure Hell's angels, avec son tournage marathon et ses 4,5 millions de dollars de budget, fait l'objet d'un gros plan scénaristique ; mais les autres films de Hughes sont à peine évoqués. De même que son combat contre le Code Hays et la censure, qui avait provoqué un véritable raz-de-marée à Hollywood pour la sortie du Banni et sa Jane Russell à la poitrine sulfureuse. Mais réaliser une biographie implique des choix, et Scorsese ne fait aucune impasse qui aurait pu nuire au traitement du personnage.

 

 

Les nombreux visages du milliardaire, du visionnaire de génie à l'homme phobique pétri de tocs en passant par le cinéaste et séducteur chevronné, sont évoqués avec plus ou moins d'importance, mais ils forment un tableau cohérent et explicite permettant au spectateur de cerner une personnalité dont la complexité semblait pourtant difficile à condenser. Un faiseur d'Hollywood se serait contenté de survoler les facettes les plus tortueuses en se concentrant sur les paillettes, le divertissement et le glamour. 

 

Résumé

Mais, loin de la biographie académique, The Aviator est un film spectaculaire et intimiste dont l'intensité du héros n'a d'égal que l'immense talent du réalisateur.

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