L'Interprète : Critique

Stéphane Argentin | 27 avril 2005
Stéphane Argentin | 27 avril 2005

Après deux longs-métrages encore très satisfaisants (Havana en 1990 et La firme en 1993), Sydney Pollack s'était fendu de deux romances déjà moins chaleureuses au cours de la seconde moitié des années 90 : Sabrina (1995), remake de l'excellent film éponyme de Billy Wilder avec une Audrey Hepburn exubérante, puis son « dérivé » tendance mélodramatique cette fois, L'ombre d'un soupçon (1999). Six ans après ce dernier méfait, le cinéaste renoue avec un genre qui lui a permis d'acquérir quelques unes de ses plus belles lettres de noblesses trente ans plus tôt, le thriller (on pense bien entendu au classique datant de 1975, Les trois jours du Condor).

Pour ce retour aux sources, Sydney Pollack s'est entouré d'une armada de personnalités au talent également bien établi. On trouve tout d'abord devant la caméra le couple Nicole Kidman – Sean Penn, tous deux auréolés de l'Oscar de la meilleure actrice et du meilleur acteur pour leurs interprétations respectives dans les drames The hours de Stephen Daldry et Mystic river de Clint Eastwood. De l'autre côté de la caméra, on trouve ensuite le directeur de la photographie Darius Kondji (Seven, Panic Room) et le compositeur James Newton Howard (à qui l'on doit les musiques des films de M. Night Shyamalan), tandis que des scénaristes rompus au genre complètent cet impressionnant aréopage : Charles Randolph (La vie de David Gale), Scott Frank (Hors d'atteinte, Minority report) et Steven Zaillian (Mission : Impossible mais aussi, dans des registres différents, La liste de Schindler et Gangs of New York).

 

 

Autant dire qu'avec un tel curriculum vitae, L'interprète avait toutes les chances de rafler le job et de permettre à son détenteur (Sydney Pollack) de revenir au sommet. Et même s'il est déjà arrivé qu'une telle accumulation de talents sur le papier aboutisse à un résultat individuellement excellent mais globalement difforme, ce n'est heureusement pas le cas de L'interprète. Signe du retour à cette grandeur passée, le cinéaste débute son film avec un petit détour par l'un des continents qui lui a valu son sacre en 1985, l'Afrique (Out of Africa, sept Oscars dont ceux du meilleur réalisateur et du meilleur film), avant de poursuivre dans un registre qui a permis à ses Trois jours du Condor de résister aux outrages du temps : une approche profondément réaliste et humaine du sujet.

 

 

Ancré dans une actualité aussi crédible que douloureuse (les multiples coups d'état dans les pays africains avec massacres de la population à la clé), L'interprète est avant tout une approche géopolitiquement plausible et palpable qui puise ses origines dans une intrigue humainement dramatique. Cette « palpabilité contemporaine » se ressent dès la présentation des lieux et des personnages et c'est sans doute pour atteindre ce but que le réalisateur a fait des pieds et des mains, non seulement pour filmer dans les rues de New York, mais aussi au sein même des locaux des Nations Unies (une première pour un long-métrage) et non dans des décors de studio partiellement construits et complétés numériquement en post-production.

À cette authenticité physique s'ajoute rapidement celle, émotionnelle, des deux protagonistes avec d'un côté un agent du FBI et de l'autre cette interprète aux parcours professionnels rigoureux et muent tous deux par des convictions fortes qui puisent leurs origines dans des drames familiaux distincts qui vont peu à peu rapprocher la protégée de son ange gardien. Pour autant, jamais le film ne verse dans la romance à l'eau de rose et les amateurs des traditionnelles scènes de baisers peuvent passer leur chemin. Le cadre étant désormais intégralement posé, les différents intervenants sur le film n'ont plus qu'à faire leur office, eux aussi avec professionnalisme, rigueur et sobriété.

 

 

Dans les rôles-titres, Nicole Kidman et Sean Penn campent avec une conviction confondante des personnages profondément meurtris, et tandis que le second atteint là les limites d'un faciès marqué par le chagrin et le remord, la première arbore avec une facilité presque déconcertante un visage alternant le solennel, la douleur et l'effroi. Les deux comédiens sont toutefois plutôt bien aidés dans leur tâche par plusieurs autres composantes, à commencer par un scénario qui passe lui aussi très habilement de la découverte progressive du passé des deux personnages au thriller pur en vue d'élucider le mystère entourant cette tentative d'assassinat, les deux étant bien entendu étroitement liés. Vient ensuite la photographie de Darius Kondji, capable de basculer de la neutralité la plus aseptisée au sein des locaux de l'ONU à la noirceur oppressante d'un Panic room et parfaitement épaulée par les partitions de James Newton Howard rappelant le tempo très tendu du Fugitif lorsque le thriller reprend ses droits. Les deux artisans de l'ombre n'en oublient pas pour autant la chaleur humaine dès que le récit s'attarde sur le passé des deux personnages avec des chants africains discrets et des couleurs de peau lumineuse (a-t-on jamais vu le visage de Sean Penn aussi buriné et celui de Nicole Kidman aussi rayonnant ?).

 

 

Autant dire qu'avec une mécanique aussi bien huilée et des représentants des différents corps de métiers aussi performants que complémentaires, Sydney Pollack n'a plus qu'à laisser filer les mètres de pellicule jusqu'au dénouement final. L'on pourra certes reprocher quelques longueurs dans l'approfondissement des personnages ou encore un paroxysme dans l'intensité quelque peu prématuré aux deux tiers du film lors d'une scène en pleine rue qui résonne là encore avec une actualité new-yorkaise douloureuse et diminue la résolution de l'intrigue, finalement plus attachée au drame humain qu'au suspense purement fictif. Mais ce sont là de menues réserves qui ne gâchent en rien cet excellent retour au presque sommet du grand cinéaste qu'est Sydney Pollack dont la voix de son Interprète porte très bien par delà l'écran pour délivrer son message de paix et de dialogue tout en finesse et en sobriété.

 

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