Critique : Millions

Johan Beyney | 27 juin 2005
Johan Beyney | 27 juin 2005

Feriez-vous entendre à un enfant le bruit d'une scie s'acharnant sur un os ? Montreriez-vous à un bambin un bébé mort par la négligence de ses parents junkies ? Un moribond agonisant après une morsure de requins ? Une armée de zombies ? Non bien sûr. Vous comprendrez alors aisément la frustration de Danny Boyle qui n'a jamais pu montrer à ses enfants le travail de leur cher pôpa. Plutôt que de persévérer dans le trash et d'attendre patiemment que sa progéniture atteigne l'âge légal pour y avoir accès, le réalisateur a décidé de s'assagir. Et quitte à faire un film visible par ses enfants, autant aller jusqu'au bout de la démarche et faire un film pour enfants.

Amis de l'hémoglobine, de la violence sociale, physique ou morale, n'attendez donc pas de Danny Boyle qu'il vous satisfasse. C'est à un conte que vous aurez affaire (la sortie du film était d'ailleurs initialement prévue pour Noël), avec apparitions fantastiques et bons sentiments de rigueur. Bien que livrant avec Millions un film plus lisse que ce à quoi il nous a habitué, le réalisateur de Trainspotting n'a pas pour autant vendu son âme aux diablotins.

Le synopsis de Millions rappelle bien évidemment celui de Petits meurtres entre amis : au contact d'une somme d'argent substantielle – et d'origine douteuse -, les personnages vont changer, évoluer. Nouveauté de taille : en raison du prochain passage à l'euro de la Grande-Bretagne (presque un film de science-fiction finalement !), cet argent doit être dépensé, et vite. Mais la différence fondamentale entre le premier et le dernier film de Danny Boyle tient à la nature des dépositaires de l'argent : des enfants. Pas mesquins, pas méchants, pas paranos, les personnages ne sont pas encombrés du rapport complexe qui unit les adultes à la notion d'argent. Les fils Cunningham viennent d'emménager avec leur père dans une ville nouvelle de l'Angleterre, un endroit neutre et sans passé où tout reste à inventer. Dans ce cadre, les milliers de livres qui leur tombent sous la main font figure de baguette magique pour réaliser leurs rêves et construire un nouveau monde. L'un joue à l'homme d'affaires et se paie toute la panoplie : portable, service de sécurité et soucis d'investissement. L'autre, fasciné par les saints et bien décidé à les rencontrer (ce qu'il fera régulièrement), se lance dans une recherche naïve de gens pauvres que quelques liasses pourront soulager. Si le scénario multiplie les références religieuses, il se garde pourtant de verser dans le mystique de pacotille et offre une réflexion sur la foi et la force de la croyance propre à l'enfance : un hymne à l'imagination. À l'image d'une scène d'ouverture où l'on voit le décor surgir du sol, Danny Boyle profite de cette histoire et de ses protagonistes pour créer un univers que parsèment quelques petits trésors d'inventivité visuelle.

Face à ce sac rempli de billets, les deux garçons font preuve d'une volonté candide et touchante, portés par cette idée enfantine que tout est possible. L'arrivée du peu engageant « propriétaire » du magot (dont l'histoire permet de retrouver le Danny Boyle des films précédents), l'échéance trop courte du passage à l'euro, les aspirations sentimentales de leur père auront cependant vite fait de leur apprendre que non seulement l'argent ne résout pas tous les problèmes, mais qu'il ne saurait tout acheter. Une morale certes entendue, mais livrée dans un film riche et dynamique, empreint d'un réjouissant humour british, sensible sans être mièvre, et porté par le souffle de l'enfance. Un joli conte qui séduira autant les adultes à l'âme d'enfant que les enfants qui s'imaginent adultes.

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