Critique : Alamo

Laurent Pécha | 5 octobre 2004
Laurent Pécha | 5 octobre 2004

Projet ambitieux, budget imposant, décors énormes (une ville entière reconstruite), reconstitution minutieuse, tout a été fait pour qu'Alamo, remake colossal du mythique western de John Wayne, soit l'un des événements cinématographiques de l'année 2004. Le verdict fut totalement à l'opposé des espérances placées dans cette super production de plus de deux heures quinze : un flop presque total au box-office US (22 petits millions de dollars de recette pour un budget avoisinant les 100 millions), des sorties timides dans le reste du monde et un « direct to vidéo » sur notre territoire (décembre 2005). Comme, en plus, le film se fit attaquer de toutes parts par les critiques américaines, il semblait bien qu'Alamo était destiné à être un film maudit, raté, à mille lieues des promesses que la article-details_c-trailers avait laissé espérer.

Si, effectivement, le film de John Lee Hancock n'est pas la grande épopée tragique et poignante attendue au vu de la dramaturgie exceptionnelle qui entoure l'histoire du siège d'Alamo, il n'en demeure pas moins une œuvre dense, narrativement riche, aux personnages complexes et à bien des égards spectaculaire lorsque les combats font rage. En choisissant d'ouvrir son film sur quelques plans montrant l'issue du combat, tout en faisant annoncer par un cavalier la mort de tous les défenseurs du fort Alamo, Hancock impose implacablement un seule et unique axe de vision au spectateur : celui de la véracité des faits racontés. En excluant toute idée de suspense, le cinéaste joue la carte de la mémoire et du regard méticuleux sur une époque et ses protagonistes. Un choix pour le moins risqué, et qui gangrène malheureusement la première partie du film. Reposant ainsi avant tout sur la mise en place des personnages et leurs motivations pour se retrouver à Alamo, l'histoire a du mal à trouver son rythme de croisière. Les quatre fers de lance du récit ne sont ainsi pas traités avec les mêmes égards. Si Travis (Patrick Wilson, la révélation du film) et Crockett (Billy Bob Thorton, étonnamment convaincant) sont esquissés avec beaucoup de justesse et possèdent un vrai charisme, Houston (Dennis Quaid, sous-exploité, sauf dans l'ultime quart d'heure) et Bowie (Jason Patric, plutôt bon, mais qui souffre d'un personnage mal écrit) ont bien du mal à être dignes de leur rang (primordial) dans les tenants et les aboutissants de l'aventure.

Se montrant donc quelque peu maladroit dans son exposition, en dépit d'un sens graphique remarquable, Hancock est sauvé par l'arrivée à Alamo. Le film prend alors les allants de tragédie qu'il s'est d'emblée imposés, et petit à petit la tension se noue. Lancé (enfin) sur les bons rails, le cinéaste peut alors laisser libre cours à diverses petites saynètes recréant la vie quotidienne de l'époque, et donnant ainsi un attachant cachet d'authenticité au récit. Il se permet aussi d'égratigner la légende, peignant un Crockett depuis longtemps dépassé par son propre mythe, et s'offre une très jolie séquence musicale (Crockett égayant au violon la marche funèbre des Mexicains). Prenant son temps, Hancock s'épanche avec plus ou moins de bonheur sur l'ennemi, le camp mexicain, d'où émerge la personnalité du général Santa Anna, même si trop schématique.

La force du film à ce moment-là est de ne jamais oublier ce pourquoi, finalement, le spectateur s'est déplacé. Ayant à cœur de ne jamais perdre de vue son « attraction » principale, le siège d'Alamo, Hancock fait habilement monter la pression en insérant à intervalles (plus ou moins) réguliers les quelques affrontements entre Texans et Mexicains, qui trouveront leur apothéose dans l'ultime attaque nocturne. Celle qui nous fera basculer dans l'horreur et qui permet au réalisateur de signer une séquence de cinéma grandiose à l'esthétique visuelle bluffante. Morceau d'anthologie, où la grandiloquence du récit ne connaît plus aucune limite (des milliers de figurants, des coups de feu qui partent dans tous les sens, des explosions incessantes, des empoignades d'une rare violence...), et qui se voit magnifié par la superbe photo, trouvant là son apogée, avec notamment un plan large et en hauteur du fort totalement assailli, plan qui restera longtemps gravé dans notre mémoire.

Orchestrant avec une vraie maestria ce malheureusement trop court assaut (seulement 13min, mais visiblement fidèle à la vérité historique), Hancock semble conclure son film en beauté. C'était sans compter sur une habitude semble-t-il récurrente de Touchstone qui, après avoir prolongé Pearl Harbor jusqu'à la revanche des ricains à Tokyo, poursuit le récit plus loin que le massacre d'Alamo et offre à l'armée de Sam Houston l'occasion de venger les siens. Un dernier quart d'heure rondement mené mais qui n'apporte que peu de choses à l'essence du film (mis à part un efficace « Remember the Alamo » vociféré par Dennis Quaid).
Au final, si le cœur et le regard cinéphiles restent du côté du Alamo de Wayne, la tentative de relecture historico-spectaculaire de Hancock mérite bien des louanges, et surtout pas le traitement presque désabusé que lui offre le détenteur des droits en France avec une simple et unique sortie vidéo.

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