Critique : Les Aventures de Robin des bois

Eric Dumas | 31 août 2004
Eric Dumas | 31 août 2004

S'il est facile et sans grand intérêt de parler des Aventures de Robin des bois par les banalités qui s'y rattachent (la couleur verte des collants du héros, l'aspect prétendument kitsch de la photographie, l'image par excellence du film d'aventures... ), il est plus compliqué de remarquer, dans la filmographie de Michael Curtiz, des thématiques et caractéristiques abordables à la seule vision d'un de ses films. Avec une carrière riche et quantitativement impressionnante (5 films en 1931, 5 films en 1932, 7 films en 1933, ... ) le réalisateur peut s'enorgueillir d'avoir visité tous les genres. Coréaliser avec William Keighley, qui fut remplacé après deux mois de tournage, Michael Curtiz apporte au film un style formel, des idées de mise en scène, et quelques-unes de ses thématiques. Si l'homme possède un trait visuel remarquable, il n'en néglige pas pour autant le fond.

Ce qui frappe immédiatement, c'est la puissance esthétique qui se dégage de l'œuvre. L'utilisation du Technicolor (en plein essor à l'époque) est particulièrement astucieuse et évoque une richesse, une vigueur, une tonicité et un chatoiement jusqu'alors inégalé. La couleur sert ici la métaphore, l'association d'idées, telles qu'un verre de vin qui présage le sang, le costume de Robin qui offre une dissimulation dans la végétation, ou encore les flammes d'un feu de cheminée qui plongent le prince Jean et ses partenaires dans des traîtrises infernales. Elle sert aussi à construire des espaces. Les plans larges sont de grandes fresques. Qu'il s'agisse du repas dans le château, du banquet dans la forêt, ou du tournoi de la flèche d'or, l'espace est construit sur des jeux de lumières, des angles modelés par une architecture géométrique, et des teintes qui le découpent et le façonnent. Bien entendu, le passage qui marque le plus les esprits reste, sans aucun doute, le grand duel final au cours duquel des ombres démesurées se substituent aux personnages. À la fois grande idée de mise en scène, travail plastique impressionnant sur les éclairages, utilisation épique des décors, et mouvements d'appareils incroyables (l'une des nombreuses caractéristiques du réalisateur), tout concorde à faire de ce plan la quintessence d'une image du cinéma hollywoodien.

De façon plus discrète, plus insidieuse, plus délicate et plus compliquée, le réalisateur va aborder certains thèmes qui lui tiennent à cœur. Quel qu'ait été le genre, parmi la grande variété qu'il a traitée, Michael Curtiz a souvent dépeint des univers tristes et sombres. Ici, c'est sous le joug d'une tyrannie, d'une dictature, qu'il aborde la critique sociale. La multiplication des impôts, la cupidité de certains hommes, la pauvreté d'un peuple, la place hypocrite d'une haute sphère de l'Église (et une petite phrase acerbe envers les croisades), l'utilisation de la violence, les éléments mettant en lumière les conséquences d'une mauvaise politique, sont au cœur de l'œuvre. La domination d'un peuple est au centre de nombreux de ces films : Casablanca et l'occupation allemande, L'Aigle des mers qui devient une parabole sur l'Amérique des années quarante face au nazisme, ou encore Le Vaisseau fantôme qui reste, comme l'expose Jacques Lourcelles : « […] la plus convaincante dénonciation qu'on ait faite au cinéma du fascisme, de la dictature et de toutes les maladies du pouvoir. » Michael Curtiz aime aussi les figures du mal. Dans le film, il crée une galerie de méchants qui, même si elle reste très caricaturale, n'en est pas moins représentative. Le prince Jean, Sir Guy de Gisbourne, le shérif de Nottingham, ou encore l'évêque de Black Canons, sont des émissaires de l'enfer. Il dénonce avec ces personnages les grandes instances du pouvoir : la royauté, les dictateurs, l'Église. Le réalisateur souligne les dangers de toutes formes politiques autres que démocratiques ou républicaines.

On ne s'étonnera pas, alors, d'une possible comparaison entre Michael Curtiz, son Robin des bois, et le travail de Georges Lucas sur les épisodes de sa saga Star Wars. Si l'on reproche souvent au second de privilégier la forme et non l'inverse, c'est oublier que monsieur Lucas donne aussi un sous-texte à ses films. Plus largement, on peut comparer les composantes artistiques des deux œuvres, telles que les constructions narratives ou les travaux musicaux auquels se répondent, dans une certaine mesure, les partitions d'Erich Wolfgang Korngold et John Williams. Le grand duel final du film de Curtiz est typique de la saga opératique star-warsienne ou plutôt l'inverse. L'œuvre Curtizienne est une source incontestable d'inspiration pour les deux trilogies de Lucas. Avec une opposition quasi manichéenne des personnages, le soutien d'un héros par son peuple (comme le souligne le montage alternant le duel et le combat des peuples), une histoire mêlant romance, complots, humour et trahison, la construction scénaristique ne cesse d'alimenter la comparaison. Preuve est faite que le cinéma peut être un art populaire qui privilégie tout autant la forme que le fond, la possibilité d'allier un soi-disant cinéma commercial et un véritable travail d'auteur.

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