Critique : Monster

La Rédaction | 17 janvier 2005
La Rédaction | 17 janvier 2005

Il serait réducteur de résumer Monster à l'histoire d'une tueuse en série. Car, dans la même veine que Boys don't cry, qui lui aussi mettait en scène une histoire vraie, Monster nous peint, plus que le portrait d'une femme, celui d'une Amérique bien profonde et bien glauque. Une région où les homosexuelles sont chassées de chez elles et les prostituées racolent sur les autoroutes, où les seuls endroits où sortir sont des bars de routiers, et où les jeunes portent encore des jeans « neige » et des T-shirts ornés de chevaux. Ce décor de désolation est celui dans lequel Lee, prostituée depuis l'âge de 13 ans et SDF dès 14, vient se perdre. Et parce qu'elle n'a jamais rien eu, elle acceptera n'importe quoi. Une histoire avec une fille de cette petite ville, par exemple, de qui elle sera amoureuse de toutes ses forces simplement parce qu'elle n'a encore jamais aimé personne.

Mais nul besoin d'analyser l'histoire : elle est d'une limpidité et d'une « simplicité » déconcertante. Monster est une histoire à connaître et un film à vivre, émotionnellement, pour tout ce qu'il est : des « circonstances ».

Car il n'est pas tellement question, finalement, de la meurtrière, mais de la femme, de l'être humain. En prenant soin de poser le décor (le premier meurtre de Lee n'a lieu que vingt bonnes minutes après le début du film), d'un réalisme irréprochable, Patty Jenkins filme avec finesse et pudeur, nous attachant à ce personnage de « monstre », plus pathétique qu'autre chose, grâce aux gros plans sur son visage tellement expressif. Parce qu'elle veut avant tout l'expliquer. Et avec détail et nombre d'évènements (la manipulation de Tyra, la démarche de Lee pour « faire carrière », l'engrenage dans lequel elle ne peut / veut plus ressortir, devenant la justicière de sa propre cause…), la réalisatrice apporte un regard compatissant sur son personnage. Attention, il ne s'agit pas de l'excuser, mais du moins de prendre en considération le « dossier » de Lee. Ces circonstances qui, évidemment, et sûrement plus clairement pour les femmes que pour les hommes, sont largement atténuantes.

La musique de B.T. habille avec justesse tout le film, ajoutant de l'émotion aux scènes touchantes, adoucissant les moments tendres, et accentuant la tension lors des meurtres. Et cette osmose réalisation / musique contribue à la force, à l'intelligence et à la richesse du film.

Et puis il y a Charlize Theron. Ah, Charlize, comment est-ce possible ?! Qu'est-ce qui t'a pris ?! Avant de voir le film, un scepticisme grandiose nous envahit : « Ouais, facile, ils prennent une bombe, la défigurent, et puis voilà. » Oui mais « voilà », justement ! Il semble que nul autre n'aurait pu incarner Lee, tant Charlize est à fond dedans, époustouflante, tout simplement parfaite. Sacrée meilleure actrice à Berlin, aux oscars et aux Golden Globes, et c'est normal, Charlize offre une interprétation qui est au-delà du jeu d'acteur. Et si certains réfractaires la trouveront « too much », c'est tout simplement parce que le personnage lui-même est excessif. Une Lee excessive, naïve et faible, fascinante de souffrance et de mal-être, et qui rend Monster brillant et d'une humanité bouleversante.

Dans le genre « serial killer », l'Amérique ne nous a épargné que peu de choses. Mais comme on n'arrête pas l'innovation, voici Monster, basé sur l'histoire vraie d'Aileen Wuornos, première tueuse en série qui, vers la fin des années quatre-vingt, a défrayé la chronique outre-Atlantique en refroidissant pas moins de sept hommes, et qui fut exécutée en 2002 par l'État de Floride après douze années passées dans le couloir de la mort.

Voulant aller au-delà du documentaire signé Nick Broomfield, Patty Jenkins s'est donc intéressée pour son premier film à cette histoire de prostituée que la vie n'a pas épargnée. Ayant eu la possibilité de se plonger dans la correspondance épistolaire qu'elle entretenait avec son amie d'enfance, Patty Jenkins donne du coup une autre vision du personnage qui fut stigmatisé par la presse d'alors comme étant un monstre sanguinaire et froid.
Forte d'une caméra sensible aux moindres variations de ses acteurs, d'une Charlize Theron méconnaissable et impliquée dans son personnage et d'une mise en scène, certes classique, mais évitant l'écueil du « téléfilm racontant une histoire vraie », Patty Jenkins aurait pu s'en sortir avec les honneurs. Malheureusement, le parti pris de ne se focaliser que sur l'histoire d'amour homosexuelle et de reléguer en arrière-plan les crimes laisse le goût amer de la manipulation.

C'est qu'en humanisant plus que de nécessaire son personnage central, en le façonnant plus victime que meurtrier, on ne peut s'empêcher de penser que Patty Jenkins est elle-même victime du syndrome d'Oslo. La force et la conviction qu'elle met dans ses différentes interviews à se justifier et à contrecarrer de telles allégations ne peut que nous conforter dans ce sentiment.
Du coup, c'est avec circonspection que l'on voit le film, persuadé que nous n'avons pas affaire là à la retranscription fictionnelle d'une histoire vraie, mais plutôt à la volonté d'une cinéaste qui a un peu perdu son sujet en route et qui veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes.

Reste Charlize Theron qui, tel un De Niro au féminin, n'a pas eu peur de prendre quinze kilos et de s'enlaidir pour interpréter cette « serial killeuse » au grand cœur. Si on ne peut que saluer sa prestation et admirer le talent d'une dorénavant très grande actrice, on ne pourra s'empêcher de penser que la cause qu'elle a embrassée (elle est coproductrice du film) est mauvaise. Sinon à penser que la gueuse mène à merveille sa barque et qu'il fallait bien en passer par là pour obtenir l'oscar. Dont acte !

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