Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban : critique obscure

Fabien Braule | 28 avril 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Fabien Braule | 28 avril 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Qu'il est loin le temps où l'univers d'Harry Potter nous privait, de par son aspect aseptisé, de toute relation à la magie, et nous donnait l'impression d'être, à l'image des costumes de ses héros, une franchise aussi réglementée que scolaire. Chris Columbus, épuisé par la réalisation des deux premiers épisodes, apporte à la saga la meilleure idée qu'il ait jamais eue : quitter son poste de metteur en scène pour ne conserver que celui de producteur.

TEEN WIZARD

À metteur en scène différent, univers différent. Alfonso Cuarón, à qui l'on doit RomaGravity et Les Fils de l'homme, se révèle l'homme de la situation, de la maturité et du changement. Avec dextérité, il se nourrit de l'univers de J.K. Rowling pour le digérer et accoucher d'une œuvre à l'univers romanesque aussi fidèle que personnel. De la première à la dernière image, rarement une œuvre de commande, et qui plus est au sein d'une franchise de cette envergure, aura suscité autant d'étonnement dans son renouvellement narratif et formel. Passé le logo Warner Bros., Alfonso Cuarón se place comme seul maître à bord, n'hésitant pas à transformer les tours de magie du petit sorcier en quelques tours de poignet insolites. De cette extravagante allégorie de la masturbation, où Harry, enfoui sous sa couverture, se livre en rythme au plaisir de la magie, le cinéaste pose ainsi le thème central du film : le passage de l'enfance à l'adolescence. Le maniérisme de Cuarón se démarque à de nombreuses reprises par son style « brouillon travaillé ».

 

Photo Daniel Radcliffe, Rupert Grint

 

La séquence d'anniversaire, excellent prologue au demeurant, devient le terrain de la quotidienneté et de la simplicité, et se rapproche ainsi d'une esthétique réaliste qui n'est pas sans rappeler celle de Et... ta mère aussi !. La caméra portée donne à l'image la même dynamique ; enracinée dans le quotidien, la scène surprend et interpelle. Si cette instabilité reflète parfaitement le caractère fragile d'Harry, en proie à un soudain excès de colère, elle révèle avant tout un adolescent en pleine crise, vulnérable et en quête d'identité. Aussi n'est-il pas étonnant que Cuarón ait troqué les éternelles robes de sorcier pour vêtir ses personnages comme des adolescents contemporains. Tour à tour, le retour régulier des images de reflet souvent instables perce l'âme tourmentée de l'apprenti sorcier, et Cuarón d'acquérir à la séquence du miroir une véritable portée métaphorique : Harry y est confronté à lui-même autant qu'aux sombres Détraqueurs, les gardiens d'Azkaban.

 

Photo Emma Watson, Daniel Radcliffe

 

BAGUETTE POETIQUE

Bien plus qu'il n'y paraît au premier abord, la poésie transcende la noirceur. Maître d'un réalisme qu'il faut qualifier de magique, tout droit hérité de la culture sud-américaine, Cuarón saisit les sensations et les sentiments sur le mode de l'allégorie. Si Sarah, dans La Petite princesse, découvrait la neige avec une captation des couleurs et des sentiments proches de celles du jeune Aureliano Buendia de Cent ans de solitude, il en va de même pour le jeune Finn des Grandes espérances. Seul au milieu de poissons exotiques et des étoiles de mer, l'océan s'affiche comme le reflet d'une âme pûre et candide.

Les éléments de la nature, captés par l'enfant, apparaissent comme la plus précieuse des choses sur Terre, comme une extraordinaire hyperbole alliant l'innocence à la fragilité et à la fertilité. Dès lors, le majestueux envol de Buck l'hyppogriffe, sublimé par la bouleversante partition de John Williams, confère à la séquence un élan de magie : Harry est transporté d'une incommensurable joie de vivre ; le temps d'un reflet sur l'eau, il apprend à jouir de l'instant présent. Transcendée, la scène trouve tout son sens dans la relation quasi charnelle qu'entretiennent l'animal et l'océan. Personnages et animaux entrent en communion avec la nature.

 

Photo Emma Watson

 

À la manière de ses Grandes espérances, Cuarón filme des extérieurs au grand angle, avec le souci d'inscrire les protagonistes au cœur de paysages verts, colorés et surexposés, où les vestiges du temps passé incarnent la mémoire de lieux effacés par la tourmente. Cuarón saisit avec sensibilité le potentiel nostalgique de l'œuvre et y insuffle une note douloureuse. Les personnages retournent à leurs origines, aux fondements de l'histoire familiale. Seul dans sa chambre, Harry retrouve la photo encore animée de ses parents : la simple contemplation se traduit en un instant intime et solennel, à l'instar de cette trace maternelle, une voix féminine calme et rassurante, qui contraste avec les ténèbres des Détraqueurs et de Sirius Black, le prisonnier d'Azkaban.

 

Photo Michael Gambon

 

DIRECTOR AND COMMANDER

Jouant sur l'association du souvenir et de la nature, le cinéaste manipule l'unité de temps à la manière de sa Petite princesse. Saisons et sensations se suivent et se croisent. Dénudé, grelottant ou renaissant, le saule-cogneur est une ode à la nature (on pense aux poèmes de Pablo Neruda) autant qu'une citation, à l'image de cette dernière feuille d'automne bercée par le vent, qui évoque les adaptations dickensiennes de David Lean. Plus encore, Cuarón redéfinit parfaitement à l'écran la transformation temporelle, sorte de retour vers le futur pratiqué par l'écrivain dans son roman. Le temps est bouleversé, les corps dédoublés se croisent et s'animent dans un univers de plus en plus sombre jusqu'à ce qu'apparaissent l'épanouissement et la prise de confiance du jeune héros. Alors, cette quête de soi, brodée autour du deuil familial, trouve un sens par l'innocence et la sincérité de ses personnages et de son cinéaste.

 

Photo Alan Rickman

 

Ce qui aurait pu n'être qu'une commande de studio des plus banales devient une oeuvre touchante, sincère et personnelle, fondée sur la rencontre de deux cultures, l'une anglo-saxonne et l'autre sud-américaine. La magie n'y occupe certes pas la même place, mais les deux cultures se complètent avec aisance et singularité. Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban est une véritable réussite et la preuve vivante que le cinéma peut être un divertissement grand public autant qu'une création personnelle. 

 

Affiche fr

Résumé

Véritable coup de maître que cette adaptation qui fonctionne autant comme blockbuster fantastique que rêverie personnelle.

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Lecteurs

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commentaires
crtbdnbfhn
11/07/2020 à 13:29

mais comment on peut regarder la bande annones

brucetheshark
01/05/2020 à 10:40

Pour ces qualités cinématographique, c'est de loin mon préféré avec l'épisode 5.
Sinon je suis d'accord que c'est une piètre adaptation (je l'avais détesté à la sortie, mais j'étais si jeune) mais là encore, la coupe de feu arrive à faire pire !

Arnaud (Le vrai)
29/04/2020 à 14:26

Tiens j'ai posté un commentaire qui a disparu :(

Je disais que la critique ne prends en compte que l'aspect filmique sans tenir compte de son aspect adaptation, ce qui est logique puisque vous etes la pour juger finalement de l'oeuvre et pas de sa place dans l'univers HP (livres et films)

Pour ma part je ne peux dissocier le livre duquel est adapté ce film, et en prenant ca en compte ce HP3 est pour moi clairement le plus mauvais de tous. On est dans une petite catastrophe a mes yeux, tant des choses importantes sont occultées (et aussi le changement radical des decors (du a l'incendit qui a ravagé ceux des deux premiers films) qui m'avait refroidis et sorti du film au niveau diegetique)

Apres c'est clair que si on ne prend que l'aspect visuel du film, comme vous l'avez fait dans la critique, ce HP3 est certainement le meilleur de tous (en meme temps quand on voit la pietre realisation des autres opus, ca n'est pas difficile)
Mais moi je ne parviens pas a faire abstraction du reste, et je le redis a cause de ca c'est pour moi le plus mauvais de tous les films HP, et de loin

Jojo
28/04/2020 à 20:20

Un épisode exceptionnel et tournant pour la saga !

Eddie Felson
28/04/2020 à 19:44

Bel article sur le 3ème opus.
Magnifique saga littéraire dont le pendant cinématographique, aussi imparfait soit-il, reste toujours agréable à regarder.
Au fait, TF1 compte-t-il diffuser les 8 films à suivre le mardi soir?

sseb22
17/04/2018 à 09:57

Attention, les "œ" ne passent plus dans le texte, ils ont disparu

Sigi
16/04/2018 à 22:07

"On se prend alors à espérer que Mike Newell (le cinéaste de Quatre mariages et un enterrement et du Cheval venu de la mer) fasse aussi bien pour le quatrième volet" Eh non.

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