Papicha : critique cousue main

Simon Riaux | 23 mai 2022
Simon Riaux | 23 mai 2022

Papicha est ce soir à 21h sur France 4.

Présent en sélection un Certain regard, concourant pour La Caméra d’or, Papicha avec Lyna Khoudri fut une des belles découvertes du Festival de Cannes 2019. Pour son premier long-métrage, la réalisatrice Mounia Meddour revient sur la jeunesse algéroise du début des années 90, alors que se profilent les terribles années de plomb et la guerre civile.

L’ENFER DE LA MODE

Nedjma sera styliste, et c’est tout ce qui compte. Peu importe les hommes, peu importe l’étau moral qui se resserre rapidement sur sa génération et sur les femmes en particulier, sa liberté et sa passion pour la création sartoriale deviennent aussi indispensables que l’air qu’elle respire. Voilà pour le point de départ de Papicha, qui place le film dans le sillage d’un certain cinéma arabe et féministe, qui a connu un véritable regain de vigueur ces dernières années.

Des Femmes du Bus 678, en passant par Et maintenant on va où ? à Wadjda, Je danserai si je veux, Much Loved, ou encore La Belle et la Meute, le sujet fait les beaux jours des festivals internationaux et la concurrence se fait rude. C’est d’ailleurs ce qui porte initialement (un peu) préjudice au long-métrage de Mounia Meddour. Quand la cinéaste sort du regard de son héroïne, pour embrasser les nombreux personnages de sa chronique, on sent parfois que sa caméra a un peu de mal à trouver une voix propre.

 

photo Lyna Khoudri

 

Naturaliste, accrochée à ses personnages, la caméra scrute les visages, guette les émotions, la passion ou la nervosité qui monte, alors que l’horizon s’obscurcit, qu’on empêtre les corps féminins et que ceux des hommes se font de plus en plus conquérants dans le cadre. Toujours immersive, lisible et capable d’établir les enjeux dramaturgiques, la mise en scène souffre durant le premier tiers du film d’une dimension un peu trop attendue, impersonnelle. Une équation bouleversée après une bascule tragique qui pousse le personnage de Nedjma dans ses retranchements.

 

photoLa famille

 

L’ÂME DES GUERRIÈRES

Alors que la protagoniste de Papicha se lance à corps perdu dans la conception d’un défilé de mode qui cristallise toutes les aspirations qui sont les siennes, le découpage devient de plus en plus fluide et racé, désormais focalisé sur la sensorialité du récit. Ce dernier se ménage de longues plages, entre contemplation et décomposition de l’action, on assiste, souvent fasciné, au processus créatif et à la soif de vie affranchie qui la meut. Les matières s'allient, s'unissent, un pli donne forme et sens à un vêtement, tandis que la tension émanant de doigt labourant la terre d'une tombe nous renseigne sur le trouble qui croît.

 

photoUn espace public progressivement saturé de corps masculins

 

Ainsi, les mains plient, découpent, cousent, transforment la matière, les tissus, comme le verbe de Nedjma renvoie les islamistes dans leurs pénates. Quand on la somme de se couvrir d’un hijab, elle veille à redonner au tissu son sens premier, sa richesse initiale. Sans emphase, gravité de façade ou métaphore lourdingue, Mounia Meddour ausculte les peaux, sonde les cœurs, et permet progressivement à Papicha d’atteindre une grande finesse quand son héroïne lève le voile sur les multiples formes de l’oppression.

Car ici, même l’échappée ne peut être belle. Fuir les oppresseurs, c’est s’exiler loin de chez soi et épouser un autre homme, sans doute plus bienveillant, manifestement plus ouvert, mais moins propriétaire du destin qu’il prétend émanciper. Le premier film de Mounia Meddour a finalement cela de très beau qu’il préfère plutôt une liberté charnelle, évidente, à une démonstration attendue ou forcément facile, trois décennies après les faits relatés. Dans Papicha, la liberté se contente de ne pas mourir. Elle peut rencontrer l’opposition, l’agression et la mort, mais ce que constate cette caméra, âpre, mais toujours bienveillante, c’est qu’elle a un appétit qui ne se tarit pas.

 

Affiche officielle

Résumé

Au fur et à mesure qu'il épouse le regard de son héroïne, scrute les gestes d'une jeune femme refusant de se soumettre, Papicha gagne en force et en finesse.

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Lecteurs

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commentaires
rientintinchti
23/05/2022 à 22:00

Pas vu ce film mais ça sent le cliché et là encore, le progressisme téléguidé avec tout le cahier des charges des idéaux de modernité à remplir synchronisé avec notre ethnocentrisme culturel.
Dommage qu'ils ne fassent pas plus de films pour dénoncer les puissants qui contrôlent les médias, appauvrissent le peuple, les puissants qui paient très peu d'impots et choisissent l'évasion fiscale dans des paradis fiscaux.
Les puissants qui marchandisent le corps humain d'hommes et de femmes pauvres (gpa, réseaux de prostitutions etc.).
Les puissants qui détruisent notre modèle social d'entraide, notre modèle médical.
Pourquoi ne pas aussi faire un film qui pousserait à interdire la pornographie libre d'accès à tous sur le web y compris aux plus jeunes et qui dévaste l'esprit de ces derniers.

Bubble Ghost
08/07/2020 à 12:36

@Legifrance... Y a erreur... Je crois que là, tu t'es trompé de film...

legifrance
08/10/2019 à 13:09

Pour préciser et mieux voir le contexte du film, de manière plus globale.
La réal a dit Lundi sur France Inter que les persos étaient des héroïnes, au sens philosophique peut être, par contre au sens légal du terme il s'agit d'une infraction au code pénal, de partir à l'étranger sans autorisation de l'Etat de porter des armes à l'étranger et cela quelque soit le camp pour lequel vous combattez. Les héroïnes partent au Moyen Orient combattre par contre s'ils rentraient en France ce serait la prison, du moins en théorie.

Kraken
08/10/2019 à 13:01

ce n'est pas la mode ou des feministes ou des progressistes qui ont liquidé les barbus en Algerie, mais du renseignmement, et du militaire..
donc c'est aux europeens et Français avachis de se reveiller en regardant pourquoi pas ce film , sinon on peut aussi faire le remake made in France

Papichkou
07/10/2019 à 21:25

Ahhh les rues de Marseille...

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