1917 : mission critique

Alexandre Janowiak | 13 novembre 2022 - MAJ : 14/11/2022 15:24
Alexandre Janowiak | 13 novembre 2022 - MAJ : 14/11/2022 15:24

Après une longue période au sein de la franchise James Bond avec la réalisation de Skyfall et SpectreSam Mendes revient enfin à un film plus personnel grâce à 1917. Attendu en grande pompe pour son défi technique (un seul-plan séquence), ce long-métrage sur la Première Guerre mondiale a été récompensé de deux Golden Globes (meilleur drame et meilleur réalisateur) et de trois Oscars. Mérité ?

LE SPECTRE DE LA MORT

Spectre s'ouvrait dans un plan-séquence de près de 5 minutes ressuscitant judicieusement la figure de James Bond, passant d'une forme symbolique de cadavre à celle en costard qui a fait toute sa légende. Plutôt ingénieux malgré des trucages numériques très visibles, cette ouverture semblait finalement annoncer le futur projet de Sam Mendes. En effet, son nouveau film, 1917, est conçu comme un unique plan-séquence (en réalité plusieurs plans-séquences mis bout à bout à l'image du Birdman d'Iñárritu) pour narrer le périple de deux jeunes soldats au coeur de la Première Guerre mondiale.

Durant les multiples interviews accordées à la presse et celles visibles dans les featurettes promotionnelles, le réalisateur oscarisé d'American Beauty a toujours expliqué vouloir donner une sensation d'immersion totale au spectateur en utilisant ce procédé. Dès l'ouverture, impossible de nier que l'expérience s'annonce oppressante et captivante.

 

photo, George MacKay, Dean-Charles ChapmanUne multitude de décors impressionnants...

 

Alors que la caméra pose inauguralement son regard sur un pré apaisant et calme, son mouvement va rapidement embarquer le spectateur dans les tréfonds des tranchées creusées par les Britanniques. L'horizon s'éteint, la lumière se fait moins distincte, les espaces de plus en plus restreints et en quelques secondes, la caméra nous plonge au cœur de cette mission primordiale, mais quasiment suicidaire, confiée à Blake et Scofield.

Missionnés pour empêcher une attaque dévastatrice contre un régiment allié dont le frère de Blake fait partie, les deux jeunes soldats, respectivement incarnés par Dean-Charles Chapman (Game of Thrones) et George MacKay (Captain Fantastic), n'ont pas de temps à perdre et vont devoir traverser de nombreux obstacles pour espérer achever leur mission. Décidée à nous faire vivre leur périple de l'intérieur, la caméra ne quittera donc plus des yeux les deux messagers, offrant par conséquent un spectacle grandeur nature tout simplement phénoménal.

 

Photo George MacKay, Dean-Charles Chapman... pour suivre le périple des deux jeunes soldats

 

MISSION : PLAN-SÉQUENCE

Tourner un film en quasi plan-séquence semble devenu ces derniers temps le défi ultime pour les réalisateurs hollywoodiens. Il n'y a qu'à voir d'ailleurs à quel point les films usant du procédé ont été salués par leurs pairs lors des grandes cérémonies (Gravity, Birdman, The Revenant, Le Fils de Saul) ou comment des scènes en plan-séquence ont particulièrement marqué le public et la critique (True Detective, Kingsman : Services Secrets, The Haunting of Hill House, Creed) pour le comprendre.

Mais avec 1917, Sam Mendes se lance évidemment ce challenge dans un but encore plus ambitieux : l'idée d'immersion absolue et d'une continuité asphyxiante, oppressante et poignante. En effet, contrairement à Birdman qui se déroulait sur plusieurs jours malgré son unique (faux) plan-séquence, le film de guerre de Mendes se veut une expérience en temps réel, obligeant le spectateur à vivre en permanence les doutes et inquiétudes des personnages.

 

Photo George MacKay, Dean-Charles ChapmanUne aventure aux nombreux obstacles

 

Certes, l'idée d'un unique plan-séquence n'est pas toujours opportune dans 1917. À quelques reprises, elle provoque quelques temps morts ou situations fabriquées pour le bien des personnages et aussi la respiration des spectateurs. Ce temps réel est une idée géniale et l'ellipse de milieu de métrage (la mission doit être réalisée en 24h, mais le film dure 1h59) est judicieusement pensée et amenée avec beaucoup d'élégance et d'intelligence dans le récit ; mais le film manque parfois, en conséquence, de rythme (le plan-séquence, tel qu'il est conçu ici, empêchant toute accélération des déplacements des soldats).

Pour autant, ce sont ces moments d'apaisement qui en font précisément une oeuvre extrêmement juste. Avec cette mission à haut risque, les personnages sont toujours sur le qui-vive certes, mais avec le temps, ils baissent parfois leur garde et deviennent, à ce moment, des cibles vulnérables. Comme eux, le spectateur baisse la garde durant ces instants de poésie ou d'accalmie et se voit le souffle coupé par la menace qui jaillit soudainement devant ses yeux.

En cela, le défi de Sam Mendes est particulièrement réussi tant les moments de répit (le doux et tendre passage avec la française) sont très vite bousculés pour laisser place à quelques séquences tragiques (l'avion), démentes (le bunker explosif, le grand final), voire hallucinatoires (cette course-poursuite nocturne cauchemardesque).

 

PhotoLa séquence nocturne ou la leçon de cinéma

 

LA FOLIE DES GUERRES

Au-delà, si Sam Mendes a travaillé l'aspect technique avec maestria au côté du légendaire chef opérateur Roger Deakins, il n'en a pas oublié pour autant l'histoire qu'il voulait raconter dans 1917. En effet, on pourra reprocher quelques baisses de rythme lors de la traversée d'une plaine dévastée ou de tranchées désertées, mais ces moments de quiétude sont le moyen pour Sam Mendes et sa co-scénariste Krysty Wilson-Cairns de développer les deux compagnons d'infortune.

Tous deux sont liés par une mission commandée par les dirigeants inconscients d'une guerre terriblement longue, où les soldats perdent la notion du temps devant les tâches démesurées qui leur sont attribuées (ce passage court, mais révélateur avec Andrew Scott). Se plonger dans la Grande Guerre à travers le regard de ces deux jeunes soldats aux implications dissemblables (sauver son frère pour l'un, suivre les ordres qui lui ont été confiés malgré lui pour l'autre), mais à l'objectif similaire (avertir d'un terrible piège un régiment allié) provoque un attachement évident pour ces gamins envoyés au casse-pipe.

Un tournant majeur du film relancera d'ailleurs les implications d'un des personnages, et de fait, changera ses perspectives et décuplera son courage, sa détermination et sa pugnacité à ne pas faillir à la mission.

 

Photo George MacKayGeorge MacKay, inconnu du grand public dont le nom devrait rapidement résonner après 1917

 

Plus qu'un film sur la guerre, 1917 se dévoile au fur et à mesure comme un film contre la guerre. Le récit du film démontre l'absurdité des situations provoquées par le conflit, le détachement incompréhensible des hauts gradés et finalement la terreur engendrée au sein des troupes par les circonstances auxquelles elles sont confrontées physiquement (humidité, froid, boue) et mentalement (folie, hallucination, perte de repères).

Ainsi, grâce au plan-séquence immersif, des décors bruts et réels, un scénario simple et accrocheur et une musique émotionnellement déroutante (admirablement composée par Thomas Newman), l'oeuvre de Sam Mendes est une exceptionnelle fresque à taille humaine d'une guerre profondément inhumaine et tragique. Une oeuvre d'une viscéralité impressionnante dont le spectateur ne peut ressortir totalement indemne.

 

Affiche française

Résumé

1917 est une oeuvre virtuose d'une viscéralité dingue grâce à son unique (faux) plan-séquence. En plus de livrer un film spectaculaire, le parti-pris de Sam Mendes insuffle des émotions fortes (décuplées par une folle partition) et accentue le propos antimilitariste qui s'en dégage.

Autre avis Lino Cassinat
1917 est une expérience louable, mais sa témérité technique se retourne à plusieurs reprises contre elle et le drame s'amenuise au fur et à mesure qu'il bute contre un dispositif de mise en scène redondant, pesant, distant et désincarné. L'expérience demeure sympathique, mais elle reste assez quelconque pour qui a déjà vu les classiques du genre.
Autre avis Geoffrey Crété
Sam Mendes sait filmer la guerre, mais la raconte avec nettement moins de puissance et précision. D'où une démonstration de force parfois merveilleuse, mais qui semble un peu dispensable, voire gratuite.
Autre avis Arnold Petit
Plus qu'une incroyable prouesse technique et esthétique en temps réel, 1917 est une terrible et bouleversante immersion dans le périple contre-la-montre de ces deux soldats, projetés au milieu d'une guerre atroce et absurde qui les dépasse.
Autre avis Simon Riaux
S'il n'est pas le chef d'oeuvre espéré, 1917 va bien au-delà de sa seule maestria technique, proposant une expérience unique, paradoxale, intime et spectaculaire, héroïque et désenchantée.
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Lecteurs

(3.5)

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commentaires
Pierre. B
14/11/2022 à 19:51

1917, un film prenant jusqu'au bout.
Du grand spectacle, une photographie formidable d'une grande beauté Que dire de la musique, grande émotion. Du vrai cinoche. Pierre

Flo
14/11/2022 à 14:28

Du plaisir à revoir "1917" et sa redoutable puissance narrative, et un peu émotionnelle... mais pas assez, la faute à une distance créée par la dimension vidéo-ludique du film, sachant que nous n'avons aucun contrôle sur les pérégrinations du personnage au point d'être aussi "rincé" que lui à la fin - et peut-être aussi parce-que on peut considérer que dès le début, il est déjà un mort qui marche, plus assez pourvu en émotions (son voyage lui servant alors à redevenir un être humain, près à pouvoir enfin rentrer chez lui dans un avenir proche).

Les nombreuses interprétations qu'on peut découler de ce film peuvent également en diminuer l'impact, au vu de quelques idées narratives en trop. Par exemple Schoffield affronte peu à peu les quatre éléments : terre (enseveli), l'air (un improbable ennemi venu du ciel), le feu (la ville incendiée) et l'eau de la rivière, mais qui devient symbole de dépouillement (de son bardas de soldat) et donc de renaissance... D'accord, mais trouver un rapport significatif entre ça et son cheminement, ça peut sembler un peu trop sursignifiant.

Néanmoins, le fait que ça provoque des discussions après chaque visions est aussi stimulant que la tenue de la mise en scène, capable de beaux moments contemplatifs plus que d'esbrouffe.

Kyle Reese
14/11/2022 à 11:49

@Kelso

D’accord avec toi, il manque quelque chose, un supplément d'âme quoi parce que techniquement c'est superbement réussi et prenant niveau tension..
Pas encore vue à l'Ouest rien de nouveau (mauvais souvenir de lecture d'école, non pas que le roman soit mauvais mais je l'avais lu à reculons ) mais j'ai eu de très bon échos dessus.

Kelso
13/11/2022 à 23:42

j'ai revu 1917 il y a pas longtemps, mais il manque quelque chose à ce film, ce je ne sais quoi qui donne de l'émotion. Un beau défi technique mais ça s'arrête là. Par contre j'ai vu A l'ouest rien de nouveau sur Netflix et il n'y a pas photo il est nettement mieux à tous points de vue, je ne comprends pas d'ailleurs qu'on n'ait pas plus parlé de ce film qui est exceptionnel, que ce soit l'histoire, les effets spéciaux, les acteurs, les décors, tout est réussi dans ce film et certainement avec beaucoup moins de moyens que pour 1917.

The Poulpix
13/11/2022 à 21:25

Pour moi ce film se résume à son introduction et à son plan séquence ultra maitrisé, j'ai adoré l'ambiance de la tranchée et l’extrême justesse dans la reconstitution des costumes, néanmoins c'est vrai que ce film ne laisse pas de souvenir impérissable faute d'enjeu, d'une action molassone et d'un scenar trop léger.

bobforrester
02/09/2022 à 18:23

Je suis frappé par la coïncidence entre la nullité orthographique de certains commentaires qui confine à l illettrisme et leur indifférence à l'égard d'un film aussi poignant ! ni tête ni tripes !

Nijo66
20/12/2021 à 01:01

Je ne vois pas comment on ne peut pas aimer ce film... Sans aucun doute un chef d'oeuvre, et un des meilleurs films que j'ai pu voir au cinéma ces 5 dernières années

Ben voyons
19/12/2021 à 02:21

Ça s oublie vite ce film ou l absence de sang rend le tout peu crédible. Allez plutôt revoir Croix de fer de Peckinpah ou Requiem pour un massacre. Ce Sam Mendes est une grosse machine esthetisante sans âme

rientintinchti
18/12/2021 à 18:36

Pas encore vu mais parait qu'il y a une prouesse technique dedans niveau caméra. Bon après faut pas s'attendre à un truc du niveau des frères wachowski côté spectacle.

Tuk
18/12/2021 à 16:45

Je n'ai pas aimer du tout. Le scenario est d'une simplicité afligeante. je m'y suis bien ennuié !
La recontitution de l'époque est certe réussit mais tres mal mis en valeur. Je pense notemment ou les deux heros marchent dans le camps et ou l'on pourrait voir plein de choses mais qui finnalement ne passe que dans les coin de l'image, sans vraiment arriver a les mettre en valeurs.
Sur plus de la moitier du film, l'on arrive meme pas a diferrencier les heros alors qu'ils ne sont pourtant que deux a l'écran.
Quand a l'exercice de style, sur les transitions, lesplans sont tres facile quand il suffit de faire passer les persos dans un couloir sombre, voir noir ou encore au millieu d'une explosion de poussieres.
Un film completement surestimé pour ma part.
Certe, ce n'est pas le meme style, mais je vous invite a regarder "Lost in London" réaliser par et avec Woody Harrelson, qui lui arrive a réaliser un tres bon film en une seul prise !
https://www.dailymotion.com/video/x85704u

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