J’accuse : critique d'une injustice

Alexandre Janowiak | 1 novembre 2021 - MAJ : 03/11/2021 11:21
Alexandre Janowiak | 1 novembre 2021 - MAJ : 03/11/2021 11:21

Au coeur d'une polémique, Roman Polanski n'a pas présenté lui-même son nouveau film J’accuse porté par Jean Dujardin sur le Lido de Venise. Malgré tout, après son dernier film, le très raté D'après une histoire vraie humilié à Cannes en 2017, le cinéaste franco-polonais retrouve-t-il sa maestria d'antan avec J’accuse ?

D'APRÈS UNE HISTOIRE VRAIE

Même à qui n'a suivi que légèrement ses cours d'Histoire plus jeune, Alfred Dreyfus est un nom qui évoque quelque chose. L'affaire qui lui colle à la peau est considérée comme l'une des plus grandes erreurs judiciaires de l'Histoire française (voire complot). Cependant, c'est sans doute la lettre ouverte d'Emile Zola publiée dans le journal L'Aurore - et au titre cinglant : J'accuse... ! - à propos de cette injustice qui est restée dans les mémoires. Pas étonnant donc que le nouveau long-métrage de Roman Polanski en reprenne l'intitulé dans son titre : J’accuse.

Pour autant, s'il est basé sur ce fait réel et adapté du bouquin D. du Britannique Robert Harris (co-scénariste du film), J’accuse s'attarde peu sur l'article dénonciateur du célèbre écrivain. Au contraire, le film se concentre essentiellement sur la quête de vérité du colonel Picquart, ancien professeur de Dreyfus devenu lieutenant-colonel et chef du service de renseignement militaire, lorsqu'il découvre qu'Alfred Dreyfus a été condamné à tort. De quoi lancer un récit aux multiples ressorts et manipulations.

 

photoJ'accuse... ! de Zola comme une évidence

 

LE BAL DES MENTEURS

Le cinéaste franco-polonais n'a plus tout le talent qu'il détenait dans les années 60-70 lors de la sortie de ses chefs-d'oeuvre de Rosemary's Baby au Locataire, mais il n'en garde pas moins une vraie intelligence de la narration.

Ainsi, l'ouverture de J’accuse impressionne par son cadre imposant et oppressant. L'instauration de l'intrigue - qui se met en place avec la dégradation militaire d'Alfred Dreyfus (incarné par un Louis Garrel austère) - est remarquable, extrêmement méticuleuse et procure une force immédiate au récit.

Loin de faire de son film une simple reconstitution historique, Polanski le transforme rapidement en thriller d'espionnage où Picquart joue au Sherlock Holmes. Une idée judicieuse qui redonne un véritable intérêt aux enjeux politiques, judiciaires et militaires derrière l'Affaire tout en lui conférant une avancée ludique et divertissante tout autant qu'instructive. Le film se veut alors une quête de vérité, de dignité et de justice au coeur d'un système perverti et manipulé par le mensonge et les préjugés, dans une première heure robuste.

 

photoUne séquence d'ouverture marquante

 

Malheureusement, si les intentions de J’accuse sont louables et les choix narratifs propices à un enfièvrement progressif, le film ne décolle jamais vraiment. Jean Dujardin a beau livrer une prestation remarquable dans la peau du Colonel Picquart, les multiples trouvailles de cet homme d'honneur prêt à beaucoup de sacrifices pour prouver l'innocence de Dreyfus, se suivent, se ressemblent et finissent par tourner en rond.

L'enquête bat son plein et pourtant, J’accuse s'enlise dans un rythme neurasthénique, voire totalement apathique, le récit donnant corps uniquement aux enjeux politiques et rarement à ceux humains. Nul doute que J’accuse aurait d'ailleurs pu devenir un grand film sur les défauts de la Justice tant il est le plus maitrisé et solide du réalisateur depuis The Ghost Writer en 2010, et ce malgré quelques incrustations numériques inabouties.

 

Photo Jean DujardinJean Dujardin impeccable

 

RÉPULSANT

Pour cela, il aurait cependant fallu que Polanski veuille vraiment parler de l'affaire Dreyfus dans son film. Au visionnage, difficile en effet de ne pas voir Polanski mettre en parallèle sa propre histoire avec celle du militaire français. Dans le dossier de presse du film, le cinéaste l'a d'ailleurs avoué pleinement : "Je connais bon nombre de mécanismes de persécution qui sont à l'oeuvre dans ce film et cela m'a évidemment inspiré".

Là est pourtant une immense erreur du réalisateur de penser pouvoir se comparer à la persécution dont a été victime Alfred Dreyfus. À leur grande différence, ce dernier a toujours été pleinement innocent au contraire du metteur en scène qui s'est lui-même reconnu coupable de viol sur mineur, en avouant lors de son procès en 1977 avoir eu des relations sexuelles avec une jeune fille de 13 ans.

Une comparaison dérangeante de la part du cinéaste de 86 ans donc qui est sans doute la raison principale de la puissance dégressive de J’accuse. À défaut de narrer jusqu'au bout avec passion l'histoire de son personnage, le cinéaste a voulu y greffer la sienne empêchant l'ensemble de se dévoiler pleinement et d'impliquer le spectateur émotionnellement.

 

Affiche française

Résumé

Avec J’accuse, Polanski offre plus un thriller d'espionnage qu'un film historique pur et dur. Une idée narrative solide qui s'enlise finalement au bout d'une heure dans un rythme neurasthénique et une absence d'émotion. Une apathie causée en partie par le choix de Polanski de faire un parallèle inconvenant entre son oeuvre et sa propre histoire.

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commentaires
Mauvaise Hélène
03/11/2021 à 17:19

@Hier vu d’aujourd’hui je crois pas que l'on trouvait ça cool ni même contemporain chez les personnes normalement constituées dans la France des années 70.
Juste un microcosme de... d’intellectuels qui espéraient faire entrer la pédophilie dans les mœurs françaises.

En fait on les connait tous et malgré leur age aujourd'hui ils ont toujours pignon sur rue.

Hier vu d’aujourd’hui
02/11/2021 à 11:33

Again Polanski a été jugé et condamné dans les années 70 pour les faits qui lui sont reprochés et les autres plaintes n’ont pas abouti
C’est sur qu’il a une attirance pour les jeunes femmes au point qu’Emmanuelle Seigner soit devenu sa femme depuis les années 90 et avec qui il des enfants (ce dont toutes les bonnes âmes de ce site se foutent)
Maintenant concernant les relations avec des mineures dans les années 70 .. c’était carrément une époque ou non trouvait ça cool (cf. La familia grande) …difficilement imaginable vu d’aujourd’hui (50ans…)
Enfin étonnant que personne ne parle de Sharon Tate .. un truc qui en tourneboulerait plus d’un sur ce site !

Tabata Cash
02/11/2021 à 00:59

@Loliter forever l'affaire Dreyfus telle qu'elle nous est présentée est un symbole, peu importe si tout est faux, ce qui compte c'est les conclusions que l'on doit en tirer : plus jamais ça.

Chris11
01/11/2021 à 18:51

@titi98 : "Concernant Woody Allen : si tu viens me dire en toute Honnêteté qu'il y a aucun doute que ce mec est un violeur d'enfant ou que c"est du même niveau que Polanski "

Polanski, Jackson, Allen, dans les trois cas quelqu'un se plaint d'attouchement voire plus. Donc si on brule le premier, il faut aussi bruler les deux autres.
Au final on se rend compte que quand le débat naît, ce n'est pas la vérité ni la victime qui compte, c'est "est-ce que le crime commis dépasse l'amour que j'ai pour son oeuvre?". SI oui, on brule, sinon on dit "ouais mais attends, là c'est pas pareil parce que gnagnagna".

Loliter forever
01/11/2021 à 17:02

il y a 50% de chance ou malchance que Dreyfus soit Kollabo mais on ne presente que la these inverse depuis des lustres,
ce serait interessant que l'antithese soit presenteé au grand public sous forme de documentaire ou de film
c'est comme le narratif covidien et vaccinal...on doute fort
verite d'Etat qaund tu nous tient( ou pas)

Blason
01/11/2021 à 16:53

Polanski c'est comme Rainn Wilson, Tom Hanks, James Gunn, il n'y aura que la justice divine pour recevoir le juste chatiment, en attendant ils peuvent faire ce qu'ils veulent.

Polanski, ca fait longtemps que je le boycotte, le mec s'excuse meme plus, il cherche pas à nier, juste à montrer qu'il s'en fout de ce que l'on en pense.

Flo
14/02/2020 à 14:07

…Il serait aussi intéressant de mettre en parallèle le fait que « Joker » ait été récompensé en même temps que « J’accuse » (respectivement Lion d’Or et Grand prix du jury), tant dans leurs point communs, et oppositions… finalement complémentaires:
Aux deux films une écriture très dense et fouillée, bourrées de contextualisations (crise économique pour l’un, contexte paranoïaque pré-Guerre pour l’autre)… dans une ambiance polardeuse, où une histoire labyrinthique et compliquée à résumer possède toutefois… une issue connue à l’avance.
Il y a la Particularité aussi de soigner son imagerie, en faisant « du beau avec du sale »… et de vendre le film autant sur des idées de prestige artistique que sur un parfum sulfureux, compte tenu de ce qui entoure médiatiquement cette sortie (le succès en salle vient aussi d’une envie du public de venir « s’y brûler »).
Et dans les deux, une critique amère des Systèmes d’oppression des Forts envers les soit-disant Faibles (en fait, les gens « différents »)… mais brouillée malicieusement de diverses manières:

À « Joker », un film assez bousculant (il donne Tout tout de suite, très vite), suivant d’un bout à l’autre une fausse victime, qui va profiter du Chaos ambiant pour devenir un sauvage Homme de Pouvoir… Et que joue Joaquin Phoenix de manière plus survoltée qu’à l’accoutumée.
Point de vue du criminel, comme dans un film de gangster.

À « J’accuse », un film au rythme de sénateur (il prend son temps de ouf), avec un casting entièrement masculin (et moustachu) – incluant également Emmanuelle Seigner, dont le jeu d’actrice n’est pas connu pour aller dans la pure sensiblerie…
Ce qui est moins le cas du Alfred Dreyfus que joue Louis Garrel, pas toujours présent à l’écran, mais seul personnage éminemment sensible, émotif mais toutefois digne du film (donc naturellement victime). Et dont le harcèlement identitaire ne sera progressivement vu, par procuration, qu’à travers le commandant Picquart tentant impartialement de l’innocenter en mettant en lumière les mécaniques accusatoires, et ceux à qui elles profitent le plus.
Personnage que joue Jean Dujardin comme un OSS 117 en version sérieuse, et encore plus imperturbable.
Point de vue du flic, comme dans un film de détective zélé (faisant la chasse aux ripoux).

Faire un Double Programme avec ces deux films doit être une expérience intéressante… ou alors, avec "Les Misérables" de Ladj Ly.

Agathe
01/12/2019 à 13:32

Au sujet de "J'accuse" que j'ai vu il y a une semaine, on est plongé en immersion complète dans une fin de XIXe siècle qui sent la poussière. Dans une lumière étouffée, les décors intérieurs et extérieurs sont restitués avec une précision étonnante et tout est fait pour qu'on s'imprègne de l'atmosphère de l'époque. On s'étonnera bien sûr de la force de l'antisémitisme qui semble généralisé et on s'interroge sur les racines du mal avec notre regard du XXIe siècle. On imaginera facilement que Polanski prêche pour sa chapelle, mais il est certain que nous n'avons aucune idée du niveau de haine aveugle de cette époque-là. Dujardin est parfait dans le rôle de Picquart et montre l'étendue de son talent, tandis qu'Emmanuelle Seigner - la femme de Polanski - ne parvient ni à ouvrir les yeux ni à exprimer grand chose. Le rôle de Dreyfus est tenu discrètement par Garrel qui est plutôt effacé ici, mais au-delà de "l'Affaire" c'est davantage la décomposition des institutions qui intéresse. La guerre n'est pas loin.

Paul en ski
23/11/2019 à 10:15

"Hexagone Papers".

Je dois bien dire que je n'ai pas vu le parallèle avec son histoire personnelle, chose que je craignais un peu avant d'y aller je dois bien dire.

Papillonbleu
17/11/2019 à 14:48

Fichez la paix à cet homme, il y a prescription !
Très bon film, sujet intéressant, à voir par des gens intelligents.

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