Midsommar : critique des fleurs du malaise

Geoffrey Crété | 25 juillet 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 25 juillet 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Il a retourné quelques estomacs avec son premier film Hérédité sorti il y a un an, et il revient avec un nouveau cauchemar qui va certainement occuper les esprits cet été encore. Ari Aster vous invite à un voyage nommé Midsommar, où Florence Pugh, Jack Reynor, William Jackson Harper et Will Poulter pénètrent dans une communauté suédoise pas très catholique.

LA COMMUNAUTÉ DE LÀ-HAUT

Le générique de Midsommar n'arrive pas avant une poignée de scènes, mais lorsqu'il apparaît sobrement à l'image sur le rythme entêtant de la musique de The Haxan Cloak, quelque chose s'est déjà passé. Découpage précis, gros plans, travellings léchés, ruptures de rythme, images perturbantes que la caméra n'a pas peur d'affronter et que le spectateur se doit d'encaisser : Ari Aster impose sa maîtrise simple et pure du cinéma en quelques minutes. Non pas pour secouer bêtement le public, lui asséner des coups faciles, ou lui donner les informations habituelles des débuts, mais pour poser les bases de la symphonie du chaos et de l'horreur à venir.

Midsommar est pourtant simple sur le papier, plus qu'un Hérédité qui court-circuitait le genre. C'est même un schéma classique, avec un groupe d'Américains qui voyage en Suède pour découvrir une communauté hippie new age, peuplée de gens habillés en blanc, qui boivent du thé, dansent pieds nus et vivent en toute sérénité au milieu de la nature. Certains sont venus pour étudier en vue d'une thèse, d'autres, pour panser leurs plaies profondes et intimes malgré eux. Le théâtre parfait pour un cauchemar en somme. Et c'est Florence Pugh, vue dans The Little Drummer Girl et The Young Lady, qui mène la danse macabre face à Jack Reynor - vu dans Transformers 4 : L'âge de l'extinction mais surtout révélé dans What Richard did.

 

photoLa Suède, ça vous gagne

 

SOUS LE SOLEIL DE SATAN

Un soleil qui ne s'éteint presque jamais, un jour infini comme une boucle infernale loin de toute civilisation, quelques cabanes en bois au milieu d'une prairie verdoyante, et Ari Aster plante le décor de son cirque de l'horreur. Cirque, car Midsommar joue plusieurs mélodies au fil du voyage au bout de l'enfer de ses héros. L'horreur le dispute au malaise, et le rire jaune fissure les murs de ce paysage faussement doux, qui semble toujours sur le point de s'écrouler pour devenir grotesque.

D'une observatrice au visage pas comme les autres et à une cérémonie dénudée passablement perturbante, en passant par une célébration achevée par quelques coups de marteau, Midsommar génère de puissantes images. Le jump scare est loin, et le territoire est ici celui de la frontalité, de la dureté, de la violence aigüe qui agit sur l'esprit. Les scènes s'étirent jusqu'à créer un malaise, où la nausée peut flirter avec l'ivresse.

Hérédité tournait sur ce même moteur, mais l'impact est ici décuplé grâce à ce décor chatoyant et lumineux, en décalage avec l'horreur. La maison hantée n'est plus, ou plutôt le monde entier en est devenu une : les portes du mal sont invisibles, tout a maintenant basculé pour étreindre et potentiellement étouffer les protagonistes, qui affronteront des menaces aussi bien extérieures qu'intimes, jusqu'à en être métamophorsés. Assembler un huis clos en plein air, transformer le plus beau des décors en paysage de l'horreur, provoquer un basculement des principes pour créer le trouble moral : Midsommar est un vertige.

 

photoBlanc comme les neiges de l'enfer

 

L'ENFER, C'EST MES AUTRES

Cette force dans l'écriture et cette maîtrise thématique confèrent à Midsommar une férocité jusqu'à ses ultimes instants. Ari Aster est un réalisateur brillant, qui manie la grammaire du cinéma avec un point de vue fort, mais c'est aussi un excellent scénariste. Le personnage de Dani, incarné par la fantastique Florence Pugh, en est une superbe démonstration. La manière dont il dessine cette femme abîmée et meurtrie, et utilise sa douleur comme moteur du chaos, donne au film une puissance folle à mesure que le groupe sombre dans les ténébreuses lumières du solstice.

En ça, Midsommar rappelle des films comme The Descent ou Melancholia, où l'horreur et la détresse féminines sont en phase avec la nature et la bête humaine, et où le monde finissait par se recomposer autour d'êtres à vif. L'héroïne est alors le coeur palpitant, dont le sang coule sur tout le film  pour le contaminer. Spectatrice, actrice puis finalement chef d'orchestre, Dani est la ligne de tension maximale des événements. C'est elle qui donne cette grâce à l'horreur, jusqu'à la toute dernière image. Et les réflexions (sur la communauté vs l'individualisme, le féminin vs le masculin, la culture vs la nature, la civilisation vs la liberté, l'inné vs l'acquis) ne font que gonfler le film jusqu'à en libérer sa terrible force, et laisser le spectateur dans un nuage de sang et de sérénité aussi beau que noir.

 

photo, Jack Reynor, Florence PughLe lieu de tous les cauchemars

 

Bien sûr, Midsommar marche sur les territoires de The Wicker Man de Robin Hardy, et rappellera d'autres films ça et là. La comparaison est inévitable, mais s'envole très vite. Ari Aster n'est pas là pour singer, rendre un simple hommage, ou répéter une formule. Pas plus qu'il ne force son cinéma dans le schéma du film de genre contemporain (les 2h30 en attestent et Aster a annoncé qu'il sortirait une version longue de 3h). Sous ses faux airs simplets, son deuxième film confirme qu'il trace un chemin spécial et précieux dans le paysage, avec une assurance folle, aux côtés des Jordan Peele (Get Out, Us) et autres David Robert Mitchell (It Follows).

Midsommar n'est pas le film d'horreur à consommer passivement (Ari Aster compose presque un jeu de pistes, dès l'intro, pour convier le spectateur au voyage), afin de récolter quelques menus frissons de tour de manège, avant de retourner à sa réalité. C'est une expérience, un poison radieux qui infiltre le système pour lentement en révéler ses effets. 

 

Affiche

Résumé

Après Hérédité, Ari Aster passe une vitesse avec Midsommar, cauchemar aveuglant d'une richesse étourdissante et d'une maîtrise folle. Un petit tour de force faussement simple, et un poison lent destiné à hanter vos jours et vos nuits.

Autre avis Simon Riaux
Sous son vernis de slasher païen, Ari Aster déploie une fable luminescente et cruelle, aux soubresauts terribles, portée par l'incandescente Florence Pugh.
Autre avis Alexandre Janowiak
Avec une mise en scène magistrale, Ari Aster nous transporte dans un cauchemar éveillé dont on ne peut (et ne veut) s'échapper dans Midsommar. Un chaos cathartique déroutant et fascinant, farceur et terrifiant, poétique et psychédélique. Une immense claque harassante !
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Lecteurs

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commentaires
cepheide
21/03/2020 à 10:59

Vu et déçu. Une réalisation magistrale, une actrice très forte et un décor superbe. Pour le reste c est la débandade. Du gore pas vraiment troublant mais crado, de la longueur et de l incompréhension.

Hérédité m avait claqué la face, mais je n en attendais rien. Celui là je l ai attendu comme un messie, et au final je y vois un bête smasher dans un écrin de diamant. Dommage.

Lilie
04/09/2019 à 17:39

Je n'aurais qu'un mot : l'horreur est humaine...

Euh
10/08/2019 à 00:27

Bon bah vu, et j'y retrouve les qualités et défauts de son premier film. Des plans qui marquent, du what the fuck récurrent et des scènes gorasses qui te réveillent, mais des personnages pas plus intelligents que dans un film d'horreur lambda avec des réactions (même quand ils ne sont pas sous l'effet de drogue) incompréhensibles, sans énorme surprise finalement, si l'on a déjà regardé quelques films du genre dans sa vie. Mais, le sentiment au final d'avoir vu un truc spécial, unique, malgré ses défauts, sans savoir si j'ai carrément aimé ou détesté, rien que ça c'est positif.

Mr Vide
07/08/2019 à 00:25

J' en sort.
Je suis monté dans le manège et je suis parti pendant 2h30. Quel expérience ! Rare la folie et le délire aussi bien représentés au ciné. Le malaise omniprésent. Une petite baisse de régime aux 3/4 et paf un final enivrant dans la face!
La réalisation est parfaite avec le sujet et les sensations a éprouver.
Bref , beaucoup aimé !

Dario De Palma
03/08/2019 à 09:20

Déception.
A part quelques cadrages tordus, une bande-son vaguement anxiogène et 2/3 effets gore "choc" on n'y retrouve pas l'efficacité et le maiaise d'"Hérédité", la faute à des personnages transparents et à une communauté folklo et ses rites un peu Z dont on se moque éperdument, et surtout un rythme pachydermique...2 longues heures et 25 minutes pour un scénario aussi léger?

tonton Strange movies
02/08/2019 à 17:16

Si Kubrick avait fait the wicker man, cela aurait donné Midsommar

Maîtrisé, inéluctable, fascinant, flippant, dérangeant.. D'accord avec la note donnée par votre site

Le film de l'année assurément..
Du coup je vais me refaire le déjà très bon hérédité ce week end - très bon mais plus tordu niveau scénario, et c'est ce qui le rend moins fort que Midsommar, qui est comme une montée dans un grand huit au niveau sensation

Matt
02/08/2019 à 09:37

C'est vrai la réalisation est assez démentielle et l'intro avant l'apparition du titre est claire net et précise. J'en ressors quand même en me disant c'était intéressant thématiquement mais au final pas très passionnant. Une deuxième lecture s'impose.

vacances
01/08/2019 à 21:43

Bon ben on n ira pas en vacances en Suède cet été.

J. Ciné
31/07/2019 à 23:44

J'ai préféré Hérédité.
Même si la bonne première partie conserve la même force narrative et visuelle de son premier long métrage, je trouve que la deuxième partie, qui pour moi, correspond à l'assimilation du dictate de la secte par les personnages, créé une atmosphère un peu trop vaporeuse qui déconnecte de la tension jusqu'à la mise en place. Heureusement, la conclusion nous ramène sur les chemins de la folie que constitue ce récit.
En tout cas, Ari aster réussi une fois de plus avec un sens de l'image impressionnant à nous rendre spectateurs de l'explosion d'un groupe ( ici d'amis, dans Hérédité, la famille) par le prisme de l'horreur et nous renvoie à nos propres égoïsmes et échecs en tant qu'être humain.

Simon Riaux
31/07/2019 à 17:08

@Kamikaze chanceux

Les pros ne croyaient pas non plus à Avatar et Intouchables.

Et pour le coup, qu'une salle plutôt destinée au très grand public ne fasse pas d'un film d'auteur barré son fer de lance, c'est assez logique non ?

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