En liberté ! : critique braquage des cœurs

Geoffrey Crété | 21 mars 2021
Geoffrey Crété | 21 mars 2021

Adèle Haenel court après la vérité et s'embourbe dans les mensonges dans la nouvelle comédie de Pierre SalvadoriEn liberté !, où elle donne la réplique à Pio MarmaïAudrey Tautou et Damien Bonnard. Ou comment l'un des réalisateurs français les plus faussement ordinaires et vraiment décalés, opère encore un petit tour de magie, aussi poétique que rocambolesque.

IL EST LIBRE PIERRE

Le cinéma de Pierre Salvadori est un perpétuel numéro d'équilibriste. Les ApprentisAprès vous...Hors de prixDe vrais mensongesDans la cour : entre vaudeville et burlesque, romantisme et film de genre, le réalisateur jongle avec esprit et malice. Son goût pour les dialogues piquants et décalés, pour les personnages hauts en couleur, et sa capacité à transcender de petites intrigues pour en tirer de belles histoires humaines, en font l'un des auteurs les plus revigorants et précieux du paysage français.

L'amour du public oscille fortement, entre un succès comme Hors de prix (2,1 millions d'entrées, merci Audrey Tautou et Gad Elmaleh), et une sortie discrète comme Dans la cour (environ 386 000 entrées, pas de bol Catherine Deneuve). C'est bien dommage, tant Salvadori est l'un des (trop) rares représentants d'un cinéma populaire noble, malin et plein de fougue, qui aime et respecte autant ses personnages que les spectateurs. En liberté ! le rappelle encore une fois, avec une loufoquerie, une drôlerie et une sensibilité étonnantes.

 

photo, Adèle Haenel, Pio Marmaï Spectateurs du chaos

 

PRISON BREAK-UP 

Il y a d'abord Yvonne, flic mariée à un super-flic à la super-réputation, qui tente de se remettre de sa mort tandis que la communauté lui rend hommage avec une statue digne d'un mauvais western sur la place publique. Il y a ensuite Antoine, un gentil gars qui sort tout juste de prison, après avoir été attrapé pour le braquage de la bijouterie où il travaillait. Le lien entre les deux : le mari d'Yvonne était non pas un héros mais un ripou, et il a fait emprisonner Antoine pour se couvrir.

Assaillie par la culpabilité, Yvonne va donc décider de trouver Antoine, et voyant qu'il est tout sauf remis de cette injustice terrible, va tout faire pour l'aider. Même si c'est elle qui a bien besoin d'aide aussi. Il y a aussi Louis, le collègue amoureux transi d'Yvonne, et Agnès, la petite amie d'Antoine, qui attendu son retour.

 

photo, Adèle Haenel, Damien Bonnard Une scène parmi d'autre qui illustre la poésie de Salvadori

 

Il y a dans En liberté ! ce petit vent de folie propre au cinéma de Pierre Salvadori, et cet amour absolu des acteurs, servis par des rôles et scènes réjouissantes. La plupart sont des boulevards de comique burlesque ou d'émotion pure. Audrey Tautou, qui retrouve le réalisateur après Hors de prix et De vrais mensonges, est en territoire conquis, avec un charme ravageur. Damien Bonnard, en toute discrétion, est excellent. 

Pio Marmaï, secondaire dans Dans la cour, est ici sous le feu des projecteurs, et assure la mission avec une énergie spectaculaire. Il forme avec Adèle Haenel, toute neuve dans ce cinéma et ce genre, un duo explosif. La fragilité évidente de l'actrice aux deux César dans ce registre comique, est d'ailleurs parfaitement utilisée.

 

photo, Adèle HaenelAdèle Haenel dans un rôle inattendu

 

LES GRANDES ILLUSIONS

L'infinie tendresse avec laquelle Pierre Salvadori écrit et filme ses mauvais héros est irrésistible. Le jeu constant entre la réalité et le factice, et la réflexion omniprésente sur l'artificialité et la mise en scène, est beau. Dans En liberté !, tout le monde joue un rôle, change de prénom et de personnalité, utilise les accessoires livrés par le hasard ou le destin, pour avancer - même en boîtant, et même si c'est droit dans un mur.

Qu'Agnès mette littéralement en scène ses retrouvailles avec Antoine, dans une scène absolument magnifique, en dit long sur le rapport très beau et pur qu'a le cinéaste au cinéma et à l'illusion. Ce n'est pas anodin si le film s'ouvre sur un conte qui réécrit la réalité, et servira de toile blanche à Yvonne pour exprimer son amour puis sa colère. Plus tard, les aventures du duo loufoque deviendront littéralement un film sur les écrans des caméras de surveillance, sous le regard absorbé de policiers émus. Pour exister et vibrer, pour aimer même, ces personnages n'ont d'autre issue que de créer leur grande illusion, et essayer d'embarquer les autres dedans.

 

photo, Audrey Tautou, Pio Marmaï Ne vous fiez pas à l'image : le second rôle d'Audrey Tautou est magnifique

 

Chez Salvadori, le mensonge n'est qu'une bonne et noble intention, et le chaos est pavé de bonnes intentions. Et le réalisateur a un talent certain pour organiser ce cirque, notamment autour de gags géniaux. Un fumeur avec un sac poubelle sur la tête, une communication brouillée sous une combinaison SM, un chauffeur de taxi légèrement perplexe, et la magie opère. Elle témoigne même d'un vif désir de renouer avec un cinéma populaire d'antan, un peu naïf et loufoque, à l'image de cette introduction avec Vincent Elbaz en espèce de Belmondo casse-cou.

Le cinéaste n'a pas peur d'assumer ses envies, qu'elles soient très littéraires (la superbe scène à travers la porte de la salle de bain, la scène de "dialogue" nocturne sur la route), ou purement cinématographiques (l'envie de filmer cette fausse poursuite dans la foire, et filmer Adèle Haenel entre deux marionnettes). En liberté ! a tout d'une profession de foi : l'illusion est plus forte que la vie. Et la conclusion est là pour rappeler que c'est une chose naturelle et vitale.

 

Affiche

Résumé

Une fantaisie fantastique, aussi drôle que touchante, qui rappelle que Pierre Salvadori est l'un des réalisateurs de comédies les plus malins, honnêtes et inventifs actuellement.

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commentaires
Flo
23/03/2021 à 12:45

Ça a l'air foutraque avec son montage et ses acteurs trop speedés... surtout les deux principaux, ces piles électriques naturelles que sont Adèle Haenel et Pio Marmaï, pas toujours intelligibles (mais ce sont peut-être aussi les dialogues qui sont peu travaillés)...
Et pourtant, si on s'accroche bien, on a bel et bien un exemple de film de super-héros qui ne dit pas son nom, et qui se conçoit sur des ruptures de tons continues pour mieux en dégager une réflexion métaphorique sur l'idée de Narration.
Comme quoi ces super êtres, héros et vilains, envahis par des sentiments de culpabilité, de responsabilité, de rage et d'imagination sans bornes... ce sont aussi des êtres qui fabriquent ainsi leur(s) propre(s) légende(s), grâce à des actions hasardeuses qui semblent littéralement matérialiser leurs désirs profonds, d'une manière insensée digne d'illustrations des BD.
Cela quand ce ne sont pas les personnages eux-mêmes qui tentent consciemment de mettre en scène leurs désirs, avec plus ou moins de succès.
Avec en point central, faisant des apparitions régulières, une figure de pseudo héros jouée par Vincent Elbaz, dont chaques représentations (légèrement plus"BD" que celle du monde dit réel, ce qui fait un peu "ton sur ton") sont donc des mensonges, ou des films dans le film... et qui ne cesseront d'être modifiées encore et encore, sans être totalement démystifiées. Jusqu'à révéler leur vérité à la toute fin, dans les yeux d'un enfant.
Ainsi que des masques et costumes emblématiques ça et là, un jeu métaphorique avec certains des comédiens (une Audrey Tautou qui sur-apprécie les petits moments, comme une continuation de sa Amélie Poulain)...
Bref, même s'il a un peu trop tendance à sacrifier quelques jolies idées romantiques (la scène de la clé de l'appartement autour du cou) au profit du burlesque rapido et contradictoire... Ça reste un film qui arrive à dégager la petite part d'émotion suffisante pour ne pas être réduit à un simple exercice théorique. Car Salvadori aime beaucoup ses personnages, c'est ça qui compte.

greg67
22/03/2021 à 11:25

Une petite merveille ce film. Je l'ai vu l'année dernière, et d'avoir lu la critique ça me donne envie d'y retourner.

Ethan
22/03/2021 à 08:37

Pas mal ce film
Maintenant ça vaut pas Hors de prix
De vrais mensonges était déjà un peu en dessous

Sanchez
22/03/2021 à 00:13

J’ai oublié le running gag du mec qui veut avouer des meurtres au commissariat mais personne l’écoute. On se croirait dans un scetch de mauvais comique des années 80

fys
17/01/2019 à 10:18

Quel bonheur ce film ! Salvadori mélange les genres, on suit avec émerveillement l’histoire, les grosses ficelles, tout est trop, et on est dans le comique et le burlesque. Derrière cette comédie, derrière cette pagaille, ce chaos, de très bonnes questions sont posées tel que le rôle de la victime, la découverte de soi et des autres. On pense tout de suite à la séquence formidable de retrouvailles dans le jardin. Et pour finir, le film est -aussi- romantique, avec des dialogues au cordeau, et des acteurs vraiment tous épatants. Comédie hors du commun. Un très bon moment de passé !

Bordelaise
07/11/2018 à 14:14

Film d'une invraissemblance totale, à éviter. Pas palpitant, les scènes de violence sont inutiles. Je déconseille je m'y suis ennuyé j'ai résisté pour regarder jusqu'à la fin.

Geoffrey Crété - Rédaction
05/11/2018 à 14:11

@RiffRaff

Si, totalement ! Sujet similaire, sortis la même année... pinceaux emmêlés. Merci !

RiffRaff
05/11/2018 à 13:49

Audrey Tautou retrouve le réalisateur de 4 étoiles ? Vous n'auriez pas confondu avec Hors de prix, plutôt ?

Sinon je vous rejoins, ce film vaut clairement le déplacement. Une bonne comédie comme j'aimerai en voir plus souvent.

Birdy
31/10/2018 à 13:25

@ fedor : il y a quand même un casting vendeur, un réalisateur qui cartonne, je pense que ça devrait au contraire occupé le devant de la scène un bon mois.

fedor85
30/10/2018 à 19:20

un film français qui me donne envie. le truc hyper rare. donc, il va avoir une distribution de merde. persuadé

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