Capharnaüm : critique qui fait grand bruit

Alexandre Janowiak | 24 mars 2021
Alexandre Janowiak | 24 mars 2021

Capharnaüm, ce soir à 20h55 sur Arte.

Acclamé par le public cannois, Capharnaüm a créé la sensation dans les derniers instants du Festival de Cannes et est rapidement devenu le grand favori de la compétition. Au final, le long-métrage libanais de la réalisatrice Nadine Labaki (CaramelEt maintenant on va où ?) a été récompensé du Prix du jury.

ZAIN LE KID

Zain vit de rien, des petites choses, de ce qu'il réussit à mendier ou de ce qu'il récupère en vendant des babioles ou des boissons rafraîchissantes aux touristes en quête de typicité culturelle. Un argent récolté dont Zain ne profite jamais. Il lui permet uniquement de nourrir sa famille et notamment sa petite soeur de 11 ans, Sahar, qu'il s'est juré de toujours protéger.

Mais le jour où le pire arrive à Sahar et que ses parents en sont les principaux responsables, Zain décide de les poursuivre devant la justice. C'est ainsi que s'ouvre Capharnaüm, au tribunal, à l'aube de la confrontation judiciaire de Zain avec ses géniteurs. Mais au lieu de nous livrer un film de procès, le récit décide de nous plonger au coeur d'un long flash-back (qui durera l'intégralité du film) pour divulguer toutes les raisons qui ont mené le jeune bambin de 12 ans à poursuivre ses parents.

 

Photo Zain Alrafeea, Nadine LabakiZain Alrafeea et Nadine Labaki

 

Nadine Labaki s'était révélé au yeux du monde en 2007 avec Caramel, passé lui aussi par la Croisette à la Quinzaine des réalisateurs. Avec son nouveau long-métrage, la réalisatrice libanaise continue à critiquer la société patriarcale de son pays, les conséquences qui en découlent pour les femmes tout en photographiant le quotidien des plus démunis.

Ainsi, elle suit les aventures de ce jeune Zain et ses multiples pérégrinations dans les rues grouillantes de Beyrouth. De ses nuits difficiles esseulé dans un parc d'attraction à sa rencontre avec une jeune immigrée clandestine éthiopienne ou son apprentissage pickpocket, la réalisatrice ne quitte jamais son héros des yeux. Avec l'aide d'une caméra portée, un style brut et un naturalisme assez saisissant (décors naturels, acteurs amateurs), elle essaye par tous les moyens de capter au plus près la misère ambiante.

A de multiples occasions, Capharnaüm a d'ailleurs des faux airs de Slumdog Millionaire voire du Kid de Charlie Chaplin (lorsque le gamin doit s'occuper d'un bébé).

 

Photo Zain AlrafeeaDes airs de Slumdog Millionaire

 

LA CITÉ DES PLEURS

A chaque instant, Nadine Labaki s'adonne donc à raconter l'histoire des réfugiés syriens. En partie grâce au jeu énergique du jeune Zain Alrafeea (qui n'aurait pas volé un prix d'interprétation cannois), elle réussit à provoquer une certaine émotion lorsque le spectateur s'émeut de son courage, sa détermination et sa volonté à survivre et s'en sortir.

Problème : si la metteuse en scène offre une vision très réaliste du Liban d'aujourd'hui et propose une réflexion intéressante sur la société et le monde arabe (notamment sur les femmes), le film pâtit d'un misérabilisme agaçant. Avec la force de son sujet, Capharnaüm aurait pu aisément émouvoir sans fioriture ni artifice. Malheureusement, le long-métrage joue de tous les stratagèmes pour accentuer le trait sur tous les déboires immortalisés à l'écran.

 

photo, Zain Al RafeeaSous le manteau

 

Entre une musique pompeuse et des ralentis par milliers, le dernier acte du film semble chercher les larmes de ses spectateurs plutôt qu'énoncer les problèmes de la société libanaise. Ainsi le pamphlet humaniste des premiers instants, alors qu'il perdait déjà de sa puissance après une bonne heure de métrage, finit de se transformer en discours misérabiliste emphatique.

L'ultime plan de Capharnaüm esquissant un sourire d'espoir plein de bons sentiments accentuera d'ailleurs les doutes sur le véritable dessein du métrage. L'intention humaniste est-elle sincère donc maladroite ? Ou fausse et finalement racoleuse ? Même si l'on penchera pour la maladresse, la frontière est trop fine pour en être sûr.

 

Affiche française

Résumé

Capharnaum jouit d'une véritable énergie grâce à sa mise en scène brute et son jeune comédien déterminé. Dommage qu'il tombe au fur et à mesure dans un misérabilisme larmoyant qui balaie toutes ses bonnes intentions humanistes voire les remet en question.

Autre avis Simon Riaux
Tour opérator de la misère tombant progressivement dans le prurit moraliste, Capharnaüm est infiniment plus méprisable que ceux qu'il croit dénoncer.
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Lecteurs

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commentaires
Flo
25/03/2021 à 13:55

En fait, c'est "Les 400 coups" mais à Beyrouth. Hauteur d'enfant (dégourdi), déambulations, parents à la ramasse. Mais avec un Antoine Doisnel tragique, qui a trop conscience de son statut... Et dont le sourire final est forcé : Nadine Labaki l'a précisé elle-même, il va bien aller en prison, il n'aura donc plus le temps de rattraper sa vie d'enfant qu'on lui a enlevé. Tout ce qu'il aura pû faire, c'est médiatiser sa situation pour pouvoir ainsi aider à sauver le bébé et sa mère. Leur donner une petite chance - comme ça sera le cas pour son acteur et sa famille au sortir du tournage. Une exception, mais qui ne fait que confirmer la règle de (sur)vie dans ces endroits : les adultes et les enfants y échangent leurs places, tout est sans dessus dessous. Le Capharnaüm, oui.

EliseR
25/03/2021 à 00:17

Contrairement à certains je vois dans ce film de la misère, des misères, et non du misérabilisme.
(Le misérabilisme, souvent mis en opposition avec le populisme, est une notion développée par le sociologue et épistomologue français Jean-Claude Passeron, en 1989. Elle décrit une attitude qui consiste à « [...] ne voir dans la culture des pauvres qu'une pauvre culture. » Wikipédia)
J'y vois aussi de l'énergie vitale, et beaucoup d'humanité chez ceux qui subissent, luttent, et parfois se perdent. Et, oui, j'aimerais croire qu'il est possible, dans de telles conditions, pour certains, d'être entendus.

patrick
28/10/2018 à 22:46

Je ne souhaite pas ici entrer dans votre vision, ni dans un conflit.
Juste vous partager ma sensation en précisant ceci d'entrée : Kiarostami (dont je suis fan) lui aussi "brutalisait émotionnellement" les enfants pour obtenir ce qu'il désirait (déchirer la photo avant la prise dans l'école, etc) et d'autres nombreux cas existent sur des manières très critiquables d'obtenir l'émotion ou l'effet voulu.
Ce débat est sans fin et reste valable pour tout objet artistique, mais bon...
A mes yeux, ce film mérite totalement son prix pour la raison suivante qui est essentielle (en dehors de toutes les "mesquineries" qu'on lui reproche) : il montre la complexité de la situation que vive ces gens (pauvres et riches) face à nous qui vivons ici dans une culture différente (pour faire simple). Ce film montre la nécessité et l'urgence pour certaines personnes de fuir cette réalité et trouver refuge ailleurs - en europe par exemple. Ce film montre qu'on ne peut "juger" du pourquoi ni du comment de l'arrivée des réfugiés, migrants, etc ici (sur un simple formulaire) et que notre devoir est de les accueillir, en humanité.
Malgré les "failles" du film (musique, etc) ce que défend la réalisatrice avant toute chose, est ce besoin d'humanité face à une telle complexité, d'où la nécessité de son "silence" dans le rôle de l'avocate. Les mots ne suffisent plus, il faut des actes forts et des prises de conscience plus que nécessaire.
Le garçon du film (et ses parents) sont aujourd'hui en Norvège et c'est déjà une immense victoire!
J'aimerais connaître le sort de la jeune fille et son bébé?...
Certaines critiques bien plus dures que la vôtre compare ce film au "Kid" de Chaplin qui là aussi est "sirupeux", mais est au-delà de vos analyses (qui pour le coup sont bien plus bourgeoises que les clichés du film Capharnaum), ce film atteint cet endroit essentiel et nécessaire aujourd'hui pour la majorité des citoyens, de voir l'arrivée des réfugiés comme une possibilité de réparer une Histoire bancale dont le capitalisme et nos gouvernements "suiveurs" sont responsables.
Regardez l'état politique de l'europe, les dernières élections, etc.
On ne croit plus les analyses pointues ni le mensonge généralisé.
On a besoin d'une vision honnête de la complexité qui se joue actuellement.
Et Capharnaum, avec toutes ses "faiblesses", véhicule cette force et cette "vérité" qui touche le plus grand nombre.
Libre aux puristes et autres "spécialistes" (ainsi qu'au grand public) d'approfondir la question auprès d'oeuvres ou analyses plus pointues et plus proches de vos attentes personnelles.
N'oubliez jamais que les vrais acteurs de ces drames sont ceux qui les vivent (les réfugiés) et ceux qui tentent de les aider concrètement (les milliers de bénévoles qui actent quotidiennement au sein des associations citoyennes).
Pendant ce temps le pape prie, le politicien obéit à la machine capitaliste qui est à l'origine de cette "crise" et l'intellectuel (ou critique) analyse (ou critique).
N'oubliez jamais que malgré les millions de livres écrits autour de Shakespeare (ou autres artistes "reconnus"), on en revient toujours à l'artiste et jamais à l'analyste qui ne résiste pas au passage du temps.
"Capharnaum" doit être diffusé dans toutes les écoles, dans tous les villages, les centres sociaux, les lieux culturellement défavorisés, les cités, etc
C'est un outil extraordinaire et vous le détruisez au nom de l'art.
C'est absurde...

nouvelle arrivante
27/10/2018 à 21:10

A la sortie de la salle de cinéma, j'ai dit : whoo c'était puissant. Je ne peux donc minimiser l'impact d'un film qui suit de près un jeune garçon empêtré dans la misère libanaise. Un visage blasé qui cache derrière la flamme de l'espoir visible a quasi toutes les sequences sert de point de vue à la condition de ceux vivant dans la précarité. Car oui ce gamin ne renonce jamais même quand le temps consacré à la recherche de nourriture empiète sur celui consacré à la rêveriE. Prenons les sequences suivantes : les sortd des filles est scenllée quand elles atteignent la puberté, elles deviennent bonnes à marier. ZAin, avec un f lair et une perspiccité de convertante pour son age, use d'astuces pour conjurer l'effet du temps sur sa soeur. Avec amusemet on retient la scene des deux enfants dosà la caméra avec la couche improvisee -e debardeur de zain roulé en boule- bien visible a travers le pantalon de Sahar. A plusieurs reprises l'avant du mini bus qui transportent les ecoliers

Alexandre Janowiak - Rédaction
26/10/2018 à 15:23

@catindri,

Pour être honnête avec vous, on préfère largement que le film vous ait plu et beaucoup ému plutôt que vous appréciez notre critique ou ayez le même avis que nous. C'est ça la beauté du cinéma, des avis différents et des émotions partagées ou non.

Bonne journée :)

catindri
26/10/2018 à 15:17

idem je n'ai pas du voir le mème film que vous. on peut comprendre, mais vous avez du vous armer soit d'une grande grande expérience cinématographique que je n'ai paŝ, soit d'un blindage anti émotions. Je ne suis que très rarement ému par un film?. celui ci m'a vraiment touché au plus profond, et je n'y ai pas vu de misérabilisme; juste la vie telle qu'elle est dans ces pays. a nouveau, on peut comprendre votre critique, d'un certain point de vue, mais c’est comme si nous n'avions pas vu le meme film.
bien à vous

Lo
23/10/2018 à 12:33

On n'a pas vécu le même film mais je comprends votre critique Simon. Merci pour l'éclaircissement ,

Simon Riaux
23/10/2018 à 11:45

@Lo

Pas de souci.

La représentation de la misère a plus à voir avec une forme de spectaculaire que quoi que ce soit évoquant l'empathie. Le film entend faire la différence entre bons et mauvais pauvres, certains méritant notre commisération, d'autres non. C'est une vision très bourgeoise et dangereuse de la misère, qui réfute toute responsabilité du système, pour désigner des individus coupables.
Et le procédé est d'autant plus choquant que c'est la réalisatrice elle-même qui se met en scène dans la partie procès du film. Oui, parce que le film organise littéralement le procès des mauvais pauvres, jugés par les instances artistiques et bourgeoises. Classe.

Et enfin, quand on se vante d'avoir torturé des mômes vivant dans la rue pour obtenir d'eux des scènes émotionnellement fortes, on est dans une démarche qui me semble toxique.

Lo
22/10/2018 à 23:37

Pouvez vous développer sur le côté toxique svp simon?

Simon Riaux
22/10/2018 à 15:00

@MIKLA

Zaïn est sa famille certes, mais ils sont très loin d'être les seuls personnages. Comme quoi les avis peuvent diverger grandement.

A titre personnel je trouve le film immensément toxique.

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