Gangsta : critique qui a la haine

Christophe Foltzer | 27 février 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 27 février 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Adil El Arbi et Bilall Fallah avaient déjà défrayé la chronique en 2015 avec leur film Black, version brutale de Roméo et Juliette qui avait vue sa sortie en salles annulée en 2016 dans notre beau pays. Heureusement, leur nouvel opus ne connaitra pas la même injustice. Et c'est tant mieux !

Dès le départ, Gangsta affiche ses intentions : une histoire pop et un peu méta dans la banlieue belge d'Anvers, un port qui est en réalité une plaque tournante du trafic de drogue international. Aucune perspective d'avenir pour une jeunesse désoeuvrée, un repli communautaire certain, une société dans la société où seule la loi du plus fort domine. C'est là que le jeune Adamo (fantastique Matteo Simoni) et ses trois potes d'enfance, Junes, Volt et Badia, tentent de devenir quelqu'un.

Pour ces jeunes marqués par un parcours difficile et ne rêvant que de luxe, la seule solution est le trafic de cocaïne qu'un important caïd vient proposer au père de Badia, plutôt consacré au haschich. Mais entre la vie fantasmée et la dure réalité du terrain, le fossé est énorme et c'est une véritable guerre de gangs qu'ils vont déclencher bien malgré eux.

 

 

IL ÉTAIT UNE FOIS EN BELGIQUE

Partant d'un postulat assez classique et archi rebattu, Gangsta montre très vite qu'il n'a pas pour ambition de révolutionner le genre auquel il s'attaque mais bel et bien de fournir une variation sur ce thème qui ferait écho à la génération d'aujourd'hui. Et, disons-le d'emblée, il le fait très, très bien.

Alors que les premières minutes nous font furieusement penser à une rencontre entre La Haine et Pusher saupoudrée de Scott Pilgrim, Gangsta utilise ces références dans un but bien précis : nous livrer une série B énervée, drôle tout autant que tragique aux multiples tiroirs qu'il va falloir fouiller pour en trouver le véritable coeur.

 

PhotoMatteo Simoni, extraordinaire

 

Car Gangsta, c'est avant tout une histoire d'amitié, un récit de grandeur et de décadence de quatre branleurs qui se rêvent flambeurs et qui vont se donner les moyens pour y arriver. Il faut d'emblée reconnaitre aux réalisateurs Adil El Arbi et Bilall Fallah leur incroyable capacité à créer un univers entier fantasmé dans une réalité très ancrée. Prenant comme terreau la banlieue belge dans tout ce qu'elle a de plus misérable, les metteurs en scène ne choisissent jamais l'option de la victimisation ou de la dénonciation sociale et politique de façade mais, au contraire, utilisent ces éléments comme ressorts dramaturgiques pour nous faire plonger dans la tête de leur héros Adamo et sa vision déformée de la réalité.

Et, une fois que l'on a compris cela, le film se révèle enfin à nos yeux ébahis. Si l'intrigue est cousue de fil blanc et ne surprend guère dans le déroulement de ses événements, ce choix très conscient sert en fait totalement son propos. Parce que Gangsta ne parle que de cela : de gens paumés, ensevelis sous une tonne de culture populaire dans laquelle ils se sont enfermés pour oublier leur quotidien misérable et qui en ont fait une réalité qui va maintenant se heurter au vrai monde. Et, de ce strict point de vue, le film est une éclatante réussite.

 

PhotoQuatre branlos contre le monde

 

GAME OVER MAN, GAME OVER !

Avec sa mise en scène ultra-rythmée et ses trouvailles visuelles super efficacesGangsta utilise en effet tous les codes du moment : jeunesse bling-bling, musique rétro-synth du feu de dieu, utilisation des néons, mais ne le fait jamais gratuitement. Ce qui donne au film un aspect plutôt inédit et assez étrange qui mixerait le daté et l'intemporel, le plaçant encore davantage dans une case plus relative à l'expérience synesthésique. Mais, là où le film brille, c'est dans ses personnages.

 

Photo GangstaLe moment le plus maladroit du film. Il dure moins de 20 secondes.

 

Gangsta aime ses personnages, qu'ils soient protagonistes ou antagonistes, à valeur égale, et profite surtout de son histoire pour brosser le portrait d'une génération désenchantée avant même d'avoir les moyens de s'en sortir. Qu'il s'agisse des quatre branlos, fortes têtes du quartier mais réunis autour d'une même identité de groupe qui leur assure une survie et leur permet de compenser les drames de la vie par l'amour qu'ils partagent l'un pour l'autre, ou d'Orlando Marie, le caïd qui vient dealer de la cocaïne à Anvers, tous sont façonnés autour d'un drame fondateur dont la réaction conditionnera leur vie.

Ce qui impressionne, c'est que dans ce genre ultra-codifié, les réalisateurs arrivent à faire exister de véritables êtres humains, complexés, écrasés par leurs traumatismes, névroses et inconscients, plongés dans un univers anxiogène à l'horizon bouché qui les pousse de fait à faire les mauvais choix. Mais Gangsta n'est pas dans l'accusation gratuite et immature d'un système puisque, s'il nous dépeint un univers pourri jusque dans les hautes sphères, il n'oublie jamais de nous rappeler que le choix nous appartient et que, quoi qu'il arrive, nous sommes seuls maîtres de notre destin.

Et c'est là que le film remporte la victoire, dans cette volonté évidente de se servir des codes du genre pour transcender son propos, de prendre le spectateur par les sentiments pour mieux lui expliquer la vie sans jamais être moralisateur. D'aborder ces personnages avec une telle tendresse qu'ils en deviennent automatiquement touchants, même lorsqu'il s'agit des pires crapules.

 

Photo

 

Alors bien sûr, le film n'est pas parfait. Gangsta pêche quelque peu par une construction en chapitres un peu trop lourde, une longueur qui handicape le flow du récit (le film dure un peu plus de deux heures) et certaines ruptures de ton pourront peut-être sortir le spectateur le moins habitué à ce procédé de l'histoire. Dans le même ordre d'idée, on pourrait lui reprocher de perdre en cours de route les personnages de Volt et Junes.

Mais, qu'on ne s'y trompe pas, nous avons affaire là à un grand film populaire, inventif et nerveux quand il le faut (la dernière partie est à ce titre extraordinaire) tout autant qu'intelligent, profond, humain, émouvant et sensible. Un truc assez rare, un film avec un énorme coeur qui n'oublie jamais de regarder là où ça fait mal avec toujours ce qu'il faut de tendresse, très bien construit dans sa narration et ses personnages, en plus d'être, d'un strict point de vue formel, très joli et efficace.

 

affiche

Résumé

Gangsta est une très belle surprise. Loin de sacrifier aux clichés du film de banlieue, le film les utilise et les détourne avec intelligence, coeur et passion pour nous livrer une toute autre histoire. Comme disait Yves Boisset, "La vie est un choix" et Gangsta en est un excellent exemple à ne pas rater.

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Lecteurs

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commentaires
Lopezbandito
07/03/2018 à 02:14

Le film est très bon grâce à sa réalisation. L'histoire est certes assez classique parmi d'autres histoire de ce registre mais la réalisation rend le tout très bon de même la narration est très bien trouvé. Bien sur il faut aimer le genre pour bien rentrer dans le film. Quoi qu'il en soit le message du film, qui est explicité à la fin est parfait. Tous les films de gangster amène à cette réflexion mais ce film la pose directement au spectateur : très bonne idée.
Voilà un commentaire que j'espère constructif en tout cas mieux qu'un "c'est nul" sans argument ;)

Rodgers
03/03/2018 à 12:06

D une nullité absolue !
D une lourdeur insupportable

Christophe Foltzer - Rédaction
27/02/2018 à 13:38

Ouais, au début on craignait de se taper un transfuge de Samouraïs mais après, on a vu le film, et on s'en est voulu de notre gros à-priori.

Hank Hulé
27/02/2018 à 13:16

L'affiche par contre, elle sacrifie aucun cliché du film de banlieue...

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