La Douleur : critique bouleversifiée

Simon Riaux | 12 février 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 12 février 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Emmanuel Finkiel nous avait tapé dans l’œil avec Je ne suis pas un salaud, drame social impeccablement mis en scène et interprété. Avec La Douleur, le cinéaste relève un sacré défi de cinéma et s’impose comme un créateur de formes passionnant.

 

ALLÔ LACAN BOBO

Publié en 1985, La Douleur est un texte de Marguerite Duras navigant entre autobiographie et fiction. Elle y revient sur la Seconde Guerre mondiale, et sur la souffrance provoquée par l’attente de l’hypothétique retour de son époux, fait prisonnier et déporté en Allemagne à la fin du conflit. Marguerite vit alors une liaison passionnée avec Dionys Mascolo, tout en cherchant à aider son époux, ce qui l'amènera à se lier à un policier français collaborateur particulièrement trouble. Sur le papier, La douleur accumule les pièges ou handicaps : une période vue et revue sur grand écran, un sujet universel mais pas forcément engageant, et l’adaptation d’un texte dont la dureté et l’aridité ne sont plus à démontrer.

 

Photo Mélanie ThierryMélanie Thierry livre une prestation ahurissante

 

Mais Emmanuel Finkiel ne se démonte jamais devant la complexité de la tâche et appréhende avant tout La douleur comme une matière première qu’il doit tordre et transformer pour en extraire un substrat cinématographique. Désireux de coller au plus près des sentiments complexes de son héroïne, le film doit jouer sur deux tableaux : rendre compte de la violence des émotions qui l’étreignent tout en donnant à sentir le formidable esprit littéraire de Duras, et la capacité de distanciation induite par sa langue, son style.

La douleur mêle ainsi des séquences plastiquement impressionnantes, qui jouent en permanence de la focale et de la profondeur de champ, saturent l’image ou la sur-découpent, avec de longs plans, plus « descriptifs » et dénués de voix off, où Mélanie Thierry peut déployer une partition affolante. Les escalades émotionnelles qu’elle provoque sont le plus souvent stupéfiantes et provoquent instantanément des décharges dévastatrices que l’on pensait justement réservées aux textes de Duras. Enfin, le metteur en scène ne s'interdit aucun dispositif, allant jusqu'à dédoubler sa protagoniste, faire dérailler complètement certaines séquences ou verser dans un symbolisme inattendu pour rendre compte des allers-retour de la pensée et de son écriture.

 

Photo Benjamin BiolayBenjamin Biolay et Mélanie Thierry

 

INTIME GUERRE MONDIALE

Avec une audace qu’on n’attendait pas, Emmanuel Finkiel mélange des genres à priori bien peu compatibles, qui vont du thriller historique, à la chronique existentielle et s’aventure parfois dans un pur kaléidoscope mental d’une épatante richesse formelle. La Douleur devient ainsi une proposition de mise en scène souvent d’une grande intelligence, toujours imprévisible dans ses soubresauts.

 

Photo Benoît MagimelBenoît Magimel, inquiétant

 

Capable de manier le divertissement badin (l’intrigue excitante portée par Benoît Magimel, impeccable en collabo ambigu et roublard), ou de représenter le temps d’un plan intentionnellement flou la violence des corps suppliciés, La Douleur est d’une richesse qui touche l’âme et le cœur dans un même mouvement déchirant. Ainsi, il suffit parfois d’un geste infime, d’une inflexion balbutiante, pour que la puissance du lien qui lie Marguerite à Dionys nous éclate au visage.

Et si le film est trop long, s’il se répète parfois, si la gravité des sentiments qu’il représente et répand peut heurter, voire oppresser par endroit, c’est paradoxalement parce son réalisateur atteint précisément son but. Donner à voir le monde à travers les yeux et le verbe d’une immense écrivaine, qui aura fait de La Douleur le prisme lumineux à travers lequel observer un monde en ruines.

 

Affiche

Résumé

Sans doute une des adaptations de Duras les plus intelligentes et formellement abouties, dont les décharges émotionnelles dévastent régulièrement le spectateur.

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commentaires
Sanchez
12/02/2019 à 21:30

La mise en scène m’avait mis une bonne claque. Juste un peu trop austère pour moi mais c’est très beau

Marc
13/02/2018 à 09:18

Une lente montée (d’où la longueur nécessaire du film) vers l’étouffement final de l’épouse ravagée de culpabilité. Seule une grande actrice est capable de nous donner ces images. Les comédiens qui l’entourent et l’emprisonnement sont au diapason. Préparez vous avant d’aller voir ce film. Le choc est violent : la douleur est multiforme (découverte progressive des horreurs nazies en arrière plan historique). Elle va s’insinuer en vous avant de se retrouver face au soleil éblouissant et au bruit calme des vagues de la mer de la fin du film.

jB
10/02/2018 à 09:53

Très beau film. l'univers, l'ambiance Duras est très bien rendu de même que l'atmosphère de l'époque.
le film est long mais pas trop, nécessaire pour subir la "douleur" de l'attente qui devient une raison de vivre puis ...
les acteurs sont excellents, Mélanie Thierry est admirable, que penser de ceux qui la trouvent inexpressive??
Magimel parfait et Biolay m'a bluffé, je ne suis pas un fan mais là, très bien.
si vous aimez le vrai cinéma, courez voir ce film.

mimi
10/02/2018 à 09:38

excellent sur le plan cinématographique mise en scène extraordinaire avec 1 actrice impassible mièvre qui joue mal

barbara
04/02/2018 à 22:24

L’histoire n’est pas belle,
la fin morbide nous aigrit,
les lenteurs s’y mêlent,
ce film ne m’a rien appris.

lilytem
28/01/2018 à 00:38

je n'ai aimé ni le jeu de Mélanie Thierry ,au visage inexpressif, en dépit de son joli profil, à la voix "off" monocorde et dépourvue d'émotion profonde ni le style caricatural de la prose plate et entrecoupée de Duras, ni les allusions trop banales à l'horreur des camps, ni surtout les lenteurs inutiles et insupportables de nombreuses séquences.

Simon Riaux
25/01/2018 à 10:49

@Gio

Magimel n'interprète évidemment pas Antelme, puisqu'il joue un gestapiste. Biolay est très très bien utilisé. Quant à la mise en scène, elle est vraiment très, très loin des clichés et parfaitement dans la continuité des précédents travaux de Finkiel, avec un boulot incroyable sur le hors champ, la profondeur de champ et la focale.

Si ces précédents films vous ont plu, vous devriez peut-être lui laisser une chance...

Gio
25/01/2018 à 10:22

Je n'ai vu que la bande annonce et je n'irai pas voir le film. Rien que la présence de Biolay me débecte et penser que Magimel puisse interpréter le personnage d'Anthelme encore davantage. Pour le reste, je n'ai entrevu qu'une série de poncifs... Je précise que j'avais beaucoup aimé les autres films de Finkiel

Azeite
23/01/2018 à 10:32

Vu hier... je ne suis pas adepte des drames, sans doute trop sensible que je suis là, mais là, autant avouer que j'ai adoré.
C'est si bien filmé, et joué (Magimel est incroyable et détestable dans son rôle de collabo !). La deuxième partie du film tient bien son nom, la douleur est palpable et nous transperce. À voir absolument !

Bob
17/01/2018 à 22:38

Je viens de voir le film et j'ai quitté la salle avant la fin. Pas aimé du tout. Des postures, des gestuelles...pas facile d'adapter Duras au cinéma surtout cet ouvrage qui avait scandalisé les proches de l'auteur. Peut-être ai-je tort ? Mais c'est mon avis.

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