La Belle et la Meute : critique sonnée pour le compte

Simon Riaux | 6 mars 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 6 mars 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Les drames consacrés à l’oppression des femmes par les hommes et/ou des régimes patriarcaux sont devenus un genre à part entière, synonyme de bienveillance de la part de la presse, de sauf-conduit en direction des tapis rouges de festivals internationaux autant que du brevet d’œuvre politique. Par conséquent, quand l’une de ces œuvres s’impose également comme une création cinématographique de haute volée, elle n’en devient que plus visible. C’est le cas de La Belle et la Meute de Kaouther Ben Hania.

BAD COP / BAD COP

Inspiré par un fait-divers survenu en 2012, le film suit la nuit cauchemardesque subie par une tunisienne de 21 ans, violée par des policiers, qui va tenter malgré les circonstances et la pression des autorités, de faire reconnaître les faits et de porter plainte. Le sujet est difficile, le principe narratif (une action concentrée sur une quasi-unité de temps, évoluant au cœur de faubourgs et institutions anonymes) proche de l’ascèse et a l’ambition d’ausculter également le corps social d’un pays ébranlé par une toute récente révolution. Si Kaouther Ben Hania y parvient avec autant de brio, c’est grâce à son incroyable mise en scène.

 

Photo Mariam Al Ferjani, Ghanem ZrelliDes comédiens impeccables

 

Le principe en est à la fois simple et infiniment complexe dans sa mise en œuvre. Exclusivement composé de longs plans-séquences, La Belle et la Meute provoque dans un premier temps un sentiment hypnotique tour à tour malaisant et fascinant, qui l’autorise progressivement à flirter avec les frontières du surréalisme.

Le dispositif confère à ce récit un sentiment de réalité aussi indiscutable qu’étouffant. Les interminables errances dans des espaces anonymisés, dont l’absence de vie confine à la violence pure, tandis que nous suivons la démarche claudiquante de notre héroïne, sonnée et pourtant mue par une force inébranlable, s’animent ponctuellement, soulignant paradoxalement la solitude à laquelle est promise l’héroïne par les circonstances.

 

Photo Mariam Al FerjaniUn sentiment d'oppression généré essentiellement par la lumière

 

EFFET DE (SUR)RÉEL

Si la réalité de l’ensemble frappe au visage, La Belle et la Meute ne joue pas pour autant la carte du naturalisme, et use des lieux traversés pour créer des espaces aux frontières de fantasmagorie, grâce aux interactions parfaites de la photographie et de la caméra. La spatialisation du moindre mouvement, chaque ballotement des corps, tous les mouvements agitant policiers, médecins, quidams, aboutissent au déploiement d’un ballet glaçant et terriblement humain.

Et c’est sans doute là ce qui achève de faire du métrage une œuvre passionnante : son refus de transformer ses protagonistes, jusqu’au plus veules et secondaires, à de simples fonctions. Victime, révolutionnaire aux intentions doubles, officier corrompu, journaliste opportuniste, pas un d’entre eux n’est renvoyé à un rôle fonctionnel ou à un cliché stérile.

 

Affiche officielle

 

Résumé

Impeccablement nuancé, cinématographiquement accompli, interprété avec une précision psychologique qui impressionne souvent, La Belle et la Meute est une des créations les plus fortes et abouties d’un genre qui ne nous avait pas durablement imprimé la rétine depuis le surpuissant Mustang.

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commentaires
Patty
21/02/2024 à 17:46

Film courageux, trop peu médiatisé.
Pourtant , bien qu’après « metoo » les choses évoluent, le chemin à parcourir pour le respect et la reconnaissance de la femme comme égale de l’homme reste immense.
Le fossé est d’autant plus grand dans les pays musulmans qui , eux, loin d’évoluer, voient les droits des femmes se réduire comme peau de chagrin !
De plus, la corruption des services publics, comme la police, complique encore la situation des femmes, qui se voient impuissantes et muselées face à la domination masculine qui a droit de vie et de mort sur elles.
C’est un scandale d’autant plus grave que peu de personnes influentes ne le dénoncent.
Merci à l’auteur du film de l’avoir fait.

jhudson
07/03/2019 à 02:37

Diffusé en ce moment sur OCS.

Film éprouvant , qu'on ne risque pas d'oublier qui malheureusement est passé assez inapercu.
.
Par contre Mustang est un film très sur évalué, pompant allégrement Virgin Suicides que ça en devenait gênant .

Ça m'a fait pensser a Syngué sabour, pierre de patience en 2012 , autre film que presque personne n'en vu.

Ded
24/10/2017 à 19:31

La victime, confrontée à une administration kafkaïenne et des services (in)hospitaliers peuplés de personnel incompétent (la gourde qui demande à son collègue masculin vers quel service orienter une victime de viol !!) et dénué d'affect, tombe de Charybde en Scylla. La caméra nous épargne le voyeurisme d'une reconstitution aussi pénible que malsaine de l'agression et les seules images fugaces ne nous dévoilant pudiquement qu'un douloureux "masque" de souffrances sont utilisées intelligemment en parallèle à des actes similaires nous terrassant d'une décharge compassionnelle. Car la violence n'est que psychologique et c'est là que réside la puissance dramatique du métrage. Le malaise, instillé dès le départ de ce calvaire, va crescendo jusqu'à la scène finale à laquelle je ne reprocherai humblement qu'une certaine "théâtralité", ce qui, au regard du choc émotionnel que représente l’ensemble de l'œuvre, est bien peu de chose...

Finnigan
23/10/2017 à 10:50

Superbe film, merci pour la critique et le coup de projecteur

miaoumiaou
21/10/2017 à 11:16

Complétement d'accord avec Simon Riaux. C'est un film à voir d'urgence car un petit film comme ça ne restera pas longtemps à l'affiche sauf si il y a du bouche à oreille. Allez le voir, c'est un poing qu'on se prend dans la tête, on n'en ressort pas indemne de ce film qui est pour le coup très horrifique.

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