THX 1138 : Critique

Fabien Braule | 21 septembre 2004 - MAJ : 27/09/2023 10:58
Fabien Braule | 21 septembre 2004 - MAJ : 27/09/2023 10:58

Préalablement mis en scène sous la forme d'un court métrage de fin d'études, THX 1138 4EB marquait d'ores et déjà le goût prononcé de son auteur pour le cinéma expérimental, mélange étrange de science-fiction et d'un cinéma politisant. En s'écartant potentiellement de la vague de paranoïa qui déferlait dans les salles obscures de l'époque, Lucas s'échappait déjà du modèle hollywoodien, et se démarquait de cinéastes tels que John Frankenheimer (L'Opération diabolique, Sept jours en mai, Un crime dans la tête), Alan J. Pakula (À cause d'un assassinat), ou encore Sidney Pollack (Les Trois Jours du condor), responsables d'un réalisme moderne.

« Travaillons dur, augmentons la production. »

Si l'iconographie de Kubrick et de 2001 L'Odyssée de l'espace aura marqué toute une génération de cinéastes cinéphiles, nul doute que Lucas, avec THX 1138, s'affirme comme leur porte-parole. Espaces vides et symétriques rejoignent la turpitude d'une société totalitaire, où l'homme est marqué d'un numéro comme du bétail, reléguant au sentimentalisme et à l'émotionnel une forme ultime d'abstraction, claustrophobe et aseptisée. Dans cet univers monochrome, Lucas amplifie toutes formes de répressions. L'individu est assujetti aux contrôles multiples d'une société secrète qui analyse faits et gestes. La voix monotone de l'ordinateur cyclope, ressassant à longueur de journée un ironique « What's wrong? » dans l'armoire à pharmacie, marque autant la rencontre des univers de Kubrick et de Lucas (on pense à Hal 9000) qu'un état de dépendance lié aux drogues, garants d'une absence totale de liberté d'être et de penser. Et d'aimer ? Pas nécessairement. THX 1138 s'affirme aussi comme un constat cinglant, portant en son sein une idylle impossible entre deux êtres de chair et de sang, qui trouve son aboutissement lors d'une scène à l'ambiance métaphysique intrigante. Tex et Luh, amants déchus, se détachent par leur nudité et réchauffent de leur corps un espace à l'immensité étouffante, d'une blancheur virginale et frigide. La partition de Lalo Schifrin, aux motifs atonaux, se découvre, le temps d'une romance intimiste et nostalgique, un sentiment lourd d'amertume.

 

 

 

Ironie avouée à moitié pardonnée, THX 1138 impose le désir du cinéaste à s'attaquer au système économique hollywoodien, en se cognant frontalement au capitalisme et au mercantilisme. À l'image de cette représentation à la fois grotesque et terrifiante de la religion où l'isoloir s'apparente à un lieu de culte régi par l'État. La figure divine, à la voix robotique, semble davantage s'intéresser au système de production qu'aux problèmes propres à l'homme. Thématique récurrente dans la filmographie de Lucas, l'indépendance sert à la fois ses œuvres mais aussi son système de production en marge d'Hollywood via sa société Lucasfilm Ltd. Dès lors, la propagation des produits dérivés liés au succès de Star Wars peut être perçue pour ce qu'elle est : un moyen d'autofinancement voué à une liberté d'expression artistique sans précédent.

 

 

 

Ainsi, Lucas, en quête de perfection, construit son univers comme un peintre ses tableaux. En bon créateur d'images, « il enrichit ses cadres par touches successives ». Chaque version de ses films, chaque évolution dans l'ère du numérique est une couche de plus, modelant à l'intérieur d'une seule et même toile près de trente années de travail. Naît de cette obsession une formidable homogénéité dans ses œuvres. THX 1138 – The George Lucas Director's Cut arrive au moment où la première trilogie de Star Wars fait son apparition sur support numérique. Dès lors, le premier long métrage de Lucas peut s'apparenter à un Episode 0, marquant par ses changements une véritable filiation avec les deux trilogies.

Bien sûr, les similitudes existaient déjà auparavant, qu'elles soient purement thématiques ou formelles (les longs couloirs blancs et les hologrammes en sont les meilleurs exemples). Le véritable bouleversement, c'est que désormais THX 1138 – The George Lucas Director's Cut emprunte autant à Star Wars, alors que l'inverse était jusqu'alors uniquement envisageable. Dans son atelier futuriste, Tex construit des robots. Dans L'Attaque des clones, on construit sur Kamino une armée de clones suivant un modèle de fabrication à la chaîne ultra complexe. Désormais, la cohérence entre les deux œuvres trouve son point d'ancrage dans cette capacité à mélanger les époques, à faire de THX 1138 – The George Lucas Director's Cut une relecture à rebours de l'Épisode 2, elle-même influencée par la première version du film de 1971.

 

Résumé

George Lucas s'affirme comme le plus solitaire des cinéastes contemporains, déchiré par sa volonté de contrôle absolu et de modernisation à l'infini de ses œuvres. THX 1138 demeure à ce jour son œuvre la plus difficile d'accès, sans doute parce qu'elle est aussi la moins séduisante. Pourtant, malgré des choix formels déconcertants, THX 1138 est à l'image de 2001 L'Odyssée de l'espace : une expérience visuelle et auditive sans précédent, une œuvre de cinéma prolifique à l'univers indissociable de celui de Star Wars.

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